« L’utile et le juste dans les contrats » c’est une célèbre chronique du Professeur Ghestin publiée au recueil Dalloz en 1982[2] , laquelle critiquait la ‘fiction’ de ‘l’autonomie de la volonté’, et prônait un équilibre permettant de concilier une liberté contractuelle éclairée, avec l’ordre public, l’intérêt général, le cas échéant sous le contrôle du juge. « L’utile et le juste », la conciliation de la liberté contractuelle (source de dynamisme économique) avec la protection de la partie dite ‘faible’, c’est la martingale que poursuit l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant ‘réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations’.

La réforme, très ambitieuse, refond de nombreuses et célèbres dispositions du code Napoléon. Les articles 1131, 1134, 1135, 1142, 1147, 1165, vieux compagnons d’études, sont morts au champ d’honneur de la ‘modernisation’ et du re engineering législatif. Le Code est mort, vive le Code ! Pas de révolution, les fondamentaux demeurent, beaucoup de règles jurisprudentielles établies sont codifiées, mais la réforme aura des conséquences pratiques importantes. Les avocats, juristes d’entreprise, entrepreneurs, universitaires et bien évidement les magistrats, vont devoir rapidement se mettre à la page. Beaucoup de pièges et chausse-trappes pour les rédacteurs de contrats et probablement beaucoup de contentieux à venir. Le pilier du droit des contrats devient quelque peu… flexible.

Principes généreux du droit et méthode Coué

Un rapport au Président de la République publié le jour de l’ordonnance résume l’esprit de la réforme. On n’échappe pas au jargon du service après-vente de la Chancellerie. Il s’agirait de «…moderniser, pour faciliter l’accès (du droit des contrats) et sa lisibilité pour l’ensemble des praticiens du droit ». Hommage anachronique à « l’esprit du code civil, à la fois favorable à un consensualisme propice aux échanges économiques et protecteurs des plus faibles »; cela ne mange pas de pain ; celui du bon juge Magnaud ? État de nécessité et nécessité de l’État… La référence énigmatique aux « valeurs humanistes du droit français » laisse perplexe. Les réformateurs, modernes Valla, Budé, Cujas, sont-ils à la recherche de la pureté originelle du droit (du code Justinien, du code Napoléon ?), ou bien de l’arche perdue du solidarisme contractuel ? Il se pourrait en réalité qu’ils soient paradoxalement des (post) glossateurs, malgré eux… Jean Gaudemet rappelle que « la vérité en droit vient des témoignages, non de l’autorité des docteurs ».
La méthode Coué et l’aveuglement sont de mise s’agissant de l’impact de la Réforme sur le rayonnement du droit français à l’international : « En dotant ainsi la France de règles lisibles et prévisibles, protectrices mais efficaces, rigoureuses mais pragmatiques, cette ordonnance, répondant à une forte attente en-dehors de ses frontières, lui permettra de renforcer l’attractivité de son système juridique. Elle garantira aux investisseurs un cadre juridique clair, efficace et adapté aux enjeux d’une économie mondialisée et en perpétuelle évolution ». ‘Ça va mieux’…On se rassure comme on peut.

Des innovations, clarifications, et une codification de règles jurisprudentielles établies

Beaucoup de dispositions ne sont qu’une codification de règles jurisprudentielles établies. On citera le pacte de préférence, les régimes des négociations pré-contractuelles, du contrat cadre, de l’offre et de l’acceptation, les jurisprudences Chronopost et Faurecia. L’article 1170 nouveau du code civil, répute non écrite « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ». Certaines clarifications sont bienvenues ; par exemple l’élargissement du devoir de bonne foi, non seulement au stade de l’exécution, mais aussi lors de la formation du contrat. La disparition de l’’objet’ et de la ‘cause’ n’est pas une catastrophe. Les concepts avaient été dévoyés. On les retrouve en creux avec la nécessité d’un « contenu licite et certain », et la cause de l’obligation est désignée sous le concept de ‘contrepartie’.

Au titre des innovations, relevons un mécanisme interrogatoire (consistant à interpeller le titulaire d’un droit pour l’amener à prendre parti et lever une ambiguïté du contrat) ainsi qu’un mécanisme de notification unilatérale en cas de manquement grave d’un co-contractant (avec possible recours judiciaire a posteriori). Consolidation donc, mais pas uniquement.

Incertitudes s’agissant de la sécurité juridique et de la force obligatoire des contrats

Une moderne ‘summa divisio’ distingue les contrats ‘d’adhésion,’ des contrats ‘de gré à gré’ (nouvel article 1110), chacun relevant d’un régime différent. Elle sera d’une mise en œuvre délicate. Le critère de la « liberté de négociation » est particulièrement subjectif. Le rappel d’un principe général de liberté contractuelle n’est pas forcement rassurant ; « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi » (nouvel article 1102 al 1). Nous avons tous appris à la Faculté de Droit qu’au commencement était l’adage « Pacta sunt servanda ». Est-ce toujours le cas ? Le Professeur Mekki dans une tribune de la Gazette du Palais (« Qui dit contractuel dit juge ? ») s’interroge.

Au débotté on citera (1) l’anéantissement automatique des clauses qui dans un contrat d’adhésion créent « un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » (nouvel article 1171), (2) la généralisation de la réduction de prix, unilatérale, en cas d’inexécution imparfaite d’une obligation, (3) l’admission de la violence en cas d’abus par un contractant de « l’état de dépendance dans lequel se trouve » son cocontractant. L’abus consiste à obtenir « un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte », engagement procurant au premier « un avantage manifestement excessif » (nouvel article 1143). De belles plaidoiries en perspective !

Last but not least, l’introduction d’un régime d’imprévision. En soit l’idée n’est pas mauvaise. Beaucoup de contrats à long terme, notamment internationaux, contiennent des clauses de ‘hardship’; mais pourquoi diable ce régime baroque, inutilement complexe ! « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe» (nouvel article 1195). Avec un ciel si bas, le canal de Craponne est pendu… Les curieux se référeront avec profit à l’article 107 du code civil algérien[3] ; l’imprévision est difficile à mettre en œuvre mais son régime beaucoup plus clair et cohérent qu’en droit français.

Conclusion

Protéger la partie faible ? Dans son Traité élémentaire de droit civil le doyen Planiol ne faisait pas dans la dentelle : « Le Droit ne doit pas se soucier de protéger les imbéciles »[4]. La formule est frappée au coin du bon sens. Autre temps, autre mœurs. Protéger la partie faible ? Pourquoi non. Mais évitons la démagogie et gardons-nous des effets d’annonce et délices de l’hétérotélie (« Je fais le mal que je ne veux pas, je ne fais pas le bien que je veux »). Prenons garde également de ne pas jeter le bébé (de la liberté contractuelle et de de la sécurité juridique) avec l’eau du bain (de jouvence d’une modernisation/ lisibilité quelque peu chimériques).

Et puis, a-t-on les moyens humains et financiers de cette belle ambition de protection sur le mode à la mode de ‘flexi-sécurité’ ?! La réforme ne va pas manquer de générer de nouveaux contentieux alors même que les tribunaux croulent sous les dossiers. « Au royaume des idées les faits n’ont pas d’importance » (Valéry).

Le Professeur Mekki a une lecture originale (trop subtile ?) de l’ordonnance du 10 février. Il voit dans la « pulvérisation des standards juridiques » et « l’imprévisibilité de la loi » un message subliminal et paradoxal, un effet repoussoir délibéré de peur du juge. Le législateur serait plus cynique que naïf… Vive la Médiation et les ‘Mode Amiable de Règlement des Différends’ ! En tout état de cause, si elles veulent éviter les mauvaises surprises et les aléas du contentieux judiciaire, les parties ont plus que jamais intérêt à soigner la rédaction de leurs conventions et à bien border les contrats.

Afin d’y voir plus clair sur cette réforme, le 24 juin prochain, le Professeur Vincent Mazeaud, Stéphanie Faber, et votre serviteur animeront une formation Vendredi Velasquez sur le thème « Réforme du droit des contrats et rédaction des clauses contractuelles ; nouvelles contraintes et nouvelles perspectives ». Seront notamment abordées, les clauses abusives, clauses relative au prix, clauses limitatives de responsabilité et clauses d’imprévision.
Nous vous attendons nombreux !
  Contact : antoine.adeline@squirepb.com  


[1] Emmanuel Gounot, « Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé : étude critique de l’individualisme juridique », Dijon,‎ 1912
[2] Jacques Ghestin, D. 1982, Chron., 1.
[3] « (…)  Toutefois, lorsque, par suite d’événements exceptionnels, imprévisibles et ayant un caractère de généralité, l’exécution de l’obligation contractuelle, sans devenir impossible, devient excessivement onéreuse, de façon à menacer le débiteur d’une perte exorbitante, le juge peut, suivant les circonstances et après avoir pris en considération les intérêts des parties, réduire, dans une mesure raisonnable, l’obligation devenue excessive. Toute convention contraire est nulle ». [4] Cité par un jugement très cocasse du Tribunal correctionnel de Metz du 27 mai 1982 (Gaz Pal 1983 no1, p 79).