Opus n°1 : la clause hybride arbitrale-étatique, une clause à éviter
Cet article marque le début d’une série sur les bonnes pratiques à adopter pour rédiger une clause de règlement des différends précise et efficiente. La première d’entre elles est de choisir de manière non-équivoque entre l’arbitrage et la juridiction étatique car leur coexistence dans un contrat est conflictuelle, ou du moins problématique. L’opus n°1 est donc consacré à la clause hybride arbitrale-étatique, clause qu’il est souhaitable d’éviter au profit d’une clause compromissoire.
Définition
Le terme de « clause hybride » couvre entre autres les clauses qui combinent plusieurs modes de règlement des différends, en laissant aux parties le choix de recourir à un tribunal arbitral ainsi qu’à une cour étatique. Par opposition aux clauses d’élection de for qui désignent plusieurs cours étatiques, on les nommera « clauses hybrides arbitrales-étatiques ». Elles prennent souvent la forme suivante :
Les Parties reconnaissent que tout différend découlant du présent contrat sera tranché par le Tribunal de grande instance de Paris ou par un tribunal arbitral constitué [ad hoc ou conformément au règlement d’une institution arbitrale].[1]
La clause hybride arbitrale-étatique, une validité et une exécution incertaines
Des clauses hybrides arbitrales-étatiques sont souvent incluses dans les contrats de financement, entre banques et emprunteurs. En effet, il a été remarqué que les établissements financiers étaient peu enclins à soumettre leurs litiges uniquement à l’arbitrage.[2] Aux côtés de l’arbitrage, ils incluent souvent la juridiction de New York ou de Londres dans la clause de règlement des différends afin d’obtenir des summary dispositions peu après la survenance du litige.[3] De même, l’importance des mesures conservatoires[4] et la volonté d’avoir une possibilité d’appel[5] sont des freins avancés par l’industrie financière pour justifier l’adoption de clauses hybrides arbitrales-étatiques.
Cependant, aucun cas ne permet d’affirmer la validité de ces clauses en droit français et la doctrine indique qu’elles « sont susceptibles de donner lieu à un contentieux préalable au contentieux principal » et « vont donc à l’encontre de l’esprit d’une clause attributive de juridiction dont le principal but est de fixer par avance la juridiction compétente en vue de faciliter la procédure de solution juridictionnelle des contentieux contractuels ».[6]
Dans l’arbitrage international, certains auteurs indiquent qu’elles s’opposent même à l’hypothèse de base de la Convention de New York de 1958 qui consacre que les conventions d’arbitrage sont exclusives et ne tolèrent pas la coexistence avec la compétence des cours nationales.[7] Leur validité et leur exécution sont donc incertaines.
La clause compromissoire simple, une sécurité juridique renforcée : panorama des éléments fondamentaux à insérer
Il convient de rappeler que c’est la liberté des parties qui caractérise la substance des clauses compromissoires. S’il est néanmoins préférable d’utiliser les clauses types des institutions arbitrales,[8] il est par exemple possible de mentionner expressément le pouvoir des arbitres de rendre des summary dispositions, des mesures conservatoires et de prévoir une possibilité d’appel de sentence (mentions sujettes aux dispositions de la loi du siège de l’arbitrage).
Pour les mesures conservatoires, la plupart des règlements d’arbitrages comportent cette possibilité, que ce soit sur demande des parties[9] ou par défaut.[10] Avant même la constitution du tribunal arbitral, le règlement de la Chambre de commerce internationale prévoit la désignation d’un arbitre d’urgence qui peut prendre une décision sous forme d’ordonnance, en attendant la sentence finale du tribunal arbitral.[11] La possibilité d’appel de la sentence est envisagée par certaines lois d’arbitrage, comme la loi anglaise,[12] et par certains règlements d’arbitrage, comme celui de la American Arbitration Association.[13] Quant aux summary positions, les règlements du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements et de la Singapore International Arbitration Centre prévoient expressément la possibilité pour les arbitres de rejeter une demande si elle est manifestement sans fondement ou manifestement hors de la juridiction du tribunal arbitral.[14] Enfin, la note de la Chambre de commerce internationale aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage accorde également ce pouvoir au tribunal arbitral dans le cadre de l’article 22 du règlement.[15]
En somme, il est tout à fait possible d’inclure une clause compromissoire sur mesure afin de s’adapter au mieux aux contraintes des parties et de l’industrie, ou de choisir un règlement d’arbitrage avec des dispositions semblables.
D’une manière générale, les parties doivent privilégier les clauses compromissoires exclusives, sans référence aucune à une cour nationale, afin d’éviter toute ambigüité qui impliquerait délais et coûts supplémentaires. Il est donc conseillé aux parties de désigner de manière claire soit l’établissement d’un arbitrage ad hoc, soit de renvoyer aux règles d’une institution arbitrale.[16] Il est enfin recommandable d’y insérer le lieu du siège de l’arbitrage, le nombre d’arbitres, leur méthode de désignation et la langue de l’arbitrage.[17] Ces éléments feront l’objet d’analyses dans les opus suivants.
En attendant, rendez-vous à l’opus n° 2 pour aborder la question des clauses d’élection de for asymétriques.
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[1] A partir de Born G., « Chapter 2: Drafting International Forum Selection Clauses » in International Arbitration and Forum Selection Agreements: Drafting and Enforcing, 5e édition, ¶ 33
[2] Financial Institutions and International Arbitration, ICC Commission Report, 2016, ¶ 4
[3] Financial Institutions and International Arbitration, ICC Commission Report, 2016, ¶ 15.
[4] Financial Institutions and International Arbitration, ICC Commission Report, 2016, ¶ 18
[5] Financial Institutions and International Arbitration, ICC Commission Report, 2016, ¶ 51
[6] Leroy V. et Dubout H., « Les clauses de juridiction mulitiple (sic) dans les contrats internationaux », Petites affiches n°252, 18 décembre 2013, p. 6.
[7] Born G., « Chapter 9: Interpretation of International Arbitration Agreements » in International Commercial Arbitration, 2e édition, p. 1393. Voir également Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, 10 juin 1958, article II.3.
Original : « Similarly, the basic assumption of the New York Convention, and other leading international arbitration instruments, is that arbitration agreements are exclusive ».
[8] IBA Guidelines for Drafting International Arbitration Clauses, recommandation n° 2.
[9] Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, article 26(1) ; Règlement d’arbitrage de la London Court of International Arbitration, article 25(1).
[10] Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, article 28(1).
[11] Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, article 29.
[12] 1996 English Arbitration Act, Section 69.
[13] American Arbitration Association, Optional Appellate Arbitration Rules.
[14] Règlement d’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, article 41(5) ; Règlement d’arbitrage du Singapore International Arbitration Centre, article 29(1).
[15] Chambre de commerce internationale, Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage, ¶ IV.C.
[16] IBA Guidelines for Drafting International Arbitration Clauses, recommandations n° 1 et n° 2.
[17] IBA Guidelines for Drafting International Arbitration Clauses, recommandations n° 4, n° 5, n° 6 et n° 7.