Cass. civ. 1ère, 26 nov. 2014, n°13-18819

Le litige concernait une patiente ayant subi l’implantation d’une prothèse de hanche, dont la tête en céramique s’est brisée quelques mois après l’implantation. La patiente a assigné en responsabilité, sur le fondement de la directive de 1985, le fabricant de la prothèse qui a appelé en garantie le fabricant de la tête en céramique.

La Cour d’appel a considéré que le producteur de la partie composante était tenu de garantir intégralement le producteur de la prothèse des condamnations prononcées solidairement contre eux, aux motifs que les recours en contribution relevaient des règles du droit commun et que la « cause exclusive » du dommage résidait dans une défectuosité inexpliquée de la tête en céramique.

Cette solution était contestée par le pourvoi qui critiquait tant l’éviction des règles de la directive que l’imputation exclusive du dommage à la défectuosité du composant.

La Cour de cassation livre deux précisions importantes : la détermination des recours en contribution entre coauteurs ne relève pas des règles de la directive (I) et doit être réglée par le droit commun, dont elle rappelle à cette occasion les principes directeurs (II).

I. L’éviction du droit spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux

Le premier apport de l’arrêt consiste dans la délimitation du champ d’application de la directive.

Le pourvoi soutenait que la question du recours en contribution entre producteur du produit fini et producteur de la partie composante était résolue de manière implicite par l’article 1386-11 du code civil. Cet article prévoit uniquement une possibilité d’exonération au bénéfice du producteur de la partie composante lorsque celui-ci parvient à établir que le défaut est imputable à la conception du produit. Dès lors qu’aucune possibilité d’exonération similaire n’est prévue pour le producteur du produit fini, le pourvoi invitait à conclure que ce dernier n’était pas autorisé, à l’occasion d’un recours contre le producteur de la partie composante, à échapper à sa responsabilité de plein droit en invoquant le rôle exclusif du composant dans la survenance du dommage.

Au terme d’un raisonnement en trois étapes, la Cour de cassation juge cependant que les recours entre producteurs sont régis par le droit commun.

Premièrement, la Cour de cassation rappelle que l’article 1386-8 du code civil, qui transpose l’article 5 de la directive du 25 juillet 1985, prévoit la responsabilité in solidum du producteur du produit incorporé et du producteur du produit fini vis-à-vis de la victime.

Deuxièmement, et c’est là le point essentiel, elle rappelle que « selon l’article 5 précité, la solidarité dont est assortie la responsabilité de plusieurs personnes dans la survenance d’un même dommage est sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours ».

Troisièmement, elle en déduit logiquement qu’il résulte de la combinaison de ces règles que les rapports entre producteurs ne relèvent pas du champ d’application de la directive du 25 juillet 1985 mais du droit national.

Cette solution confirme donc que l’article 1386-11 du code civil n’a vocation à régir que les rapports entre producteur(s) et victime, et non pas les recours entre les producteurs d’un produit défectueux.

II. L’application du droit commun des recours entre coobligés

L’auteur du pourvoi obtient néanmoins gain de cause sur le fondement du droit commun des recours en contribution.

En cette matière, c’est la jurisprudence qui, en l’absence de texte, a été amenée à en fixer les principes directeurs.

Schématiquement, deux situations doivent ainsi être distinguées. En l’absence de faute, les coauteurs du dommage supportent une part égale de responsabilité : la dette se divise par part virile. En revanche, en présence d’une faute, « le partage des responsabilité est effectué en fonction de la gravité des fautes respectives concurrentes »[1]. C’est donc la considération de la faute ou de l’absence de faute qui règle le sort de la contribution à la dette entre les co-auteurs d’un même dommage.

Cette solution traditionnelle a vocation à être reprise dans les rapports entre coobligés solidairement tenus d’un même dommage au titre du régime de responsabilité du fait des produits défectueux. C’est ce que confirme très clairement la première chambre civile sous forme de principe: « en droit interne, la contribution à la dette, en l’absence de faute, se répartit à parts égales entre les coobligés ».

L’arrêt de la cour d’appel, qui avait raisonné en termes de causalité et non de faute ou d’absence de faute pour régler la question de la contribution à la dette, est logiquement censuré. La cour d’appel avait en effet considéré qu’il appartenait au producteur du produit fini recherchant la garantie intégrale du producteur de la partie composante de démontrer que la partie composante avait « eu un rôle exclusif dans la réalisation du dommage ». Sur ce fondement, elle avait considéré que le poids de la dette devait intégralement peser sur le producteur de la partie composante au motif qu’il était acquis que la défectuosité de la tête en céramique était la « cause exclusive » du dommage. Ce faisant la cour d’appel avait donc érigé l’appréciation du rôle causal du fait dommageable en critère de répartition du recours entre coobligés.

La Cour de cassation censure cette approche en rappelant qu’en l’absence de faute et pour ce motif, seule une répartition « à parts égales » pouvait être prononcée. En effet, le producteur de la partie composante comme celui du produit fini étaient, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, l’un et l’autre tenus au terme d’une responsabilité de plein droit et, partant d’une responsabilité sans faute. La cour d’appel devait donc procéder à une répartition par parts viriles.

Par cet arrêt, l’occasion est ainsi donnée à la Cour de cassation de rappeler les règles de droit commun présidant aux recours en contribution entre coobligés, dont la faute (ou l’absence de faute) est la clé de voûte, et de censurer toute approche fondée sur une appréciation du rôle causal comme critère de répartition des recours entre coobligés. La généralité de l’attendu démontre d’ailleurs que ces règles de principes valent pour tout recours entre coobligés.

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[1] G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Les conditions de la responsabilité, Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, LGDJ, 4ème éd., 2013, n° 424-1.