Boehringer Ingelheim avait alors introduit un recours pour atteinte à ses marques devant la High Court of Justice. Cette dernière avait sursis à statuer et posé une question préjudicielle à la Cour qui statuait une première fois le 23 avril 2002. La CJCE avait notamment jugé que le reconditionnement par remplacement des emballages est objectivement nécessaire si, sans celui-ci, l’accès effectif au marché concerné ou à une partie importante de celui-ci, doit être considéré comme entravé en raison d’une forte résistance des consommateurs à l’égard des médicaments réétiquetés. Dans ce cas, l’importateur parallèle devra avertir lui-même le titulaire de la marque du reconditionnement envisagé et en cas de contestation, le juge national doit apprécier si le titulaire a disposé d’un délai raisonnable pour réagir au projet de modification du produit. La High Court of Justice ayant conclu à la violation des marques des demanderesses, la défenderesse a saisi la Court of Appeal, qui à son tour, devant les imprécisions subsistant, pose une série de questions préjudicielles à la Cour.
La libre circulation des marchandises, principe fondamental de la Communauté, est consacrée à l’article 28 du Traité CE. Cependant, aux termes de l’article 30 CE, les interdictions et restrictions à l’importation entre les États membres qui sont justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale sont autorisées sous réserve toutefois qu’elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée au commerce intracommunautaire.
Ce concept de principe-exception à la libre circulation des marchandises est repris à l’article 7 de la directive 89/104 du 21 décembre 1988 harmonisant les droits nationaux en matière de marques.
L’arrêt « Boehringer II » s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence initiée en 1978 avec l’arrêt Hoffmann-La Roche , suivi notamment par l’arrêt du 11 juillet 1996 Bristol-Myers Squibb (ci-après arrêt BMS).
Dans l’arrêt BMS, la Cour jette les bases du régime actuel de reconditionnement des produits importés, en jugeant que l’article 7§2 de la directive 89/104 permet au titulaire de la marque de légitimement s’opposer à la commercialisation ultérieure d’un produit, lorsque l’importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque, à moins qu’un certain nombre de conditions ne soient remplies.
Sans remettre en cause les principes ci-dessus, l’arrêt Boehringer II les précise et rééquilibre les rapports entre importateurs parallèles et titulaires de marques.
1. Tout d’abord, la CJCE réitère le principe initié par la jurisprudence Hoffmann-La Roche et repris par l’arrêt BMS. Le principe découlant de l’article 7§2 de la directive 89/104, est que tout reconditionnement du produit importé peut entraîner l’interdiction de la commercialisation de celui-ci, si le titulaire de la marque décide d’exercer son droit. A partir du moment où l’importateur modifie le produit, il risque de se voir interdire sa commercialisation. La Cour entend ainsi faire primer la protection de la marque sur la libre circulation des marchandises et garantir ainsi l’objet spécifique de la marque. Le reconditionnement du produit ne doit être que l’exception.
2. Doivent être satisfaites :
• l’opposition du titulaire de la marque à la commercialisation du produit reconditionné, contribue à artificiellement cloisonner les marchés entre Etat membres ; l’importateur devra alors prouver la nécessité de l’opération de reconditionnement afin de pénétrer le marché de l’Etat membre ,
• le reconditionnement ne saurait affecter l’état originaire du produit,
• l’auteur du reconditionnement et le nom du fabricant sont clairement indiqués sur le nouvel emballage,
• la présentation du produit reconditionné ne doit pas être telle qu’elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire,
• l’importateur doit avertir préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournir un spécimen du produit reconditionné.
La CJCE précise en outre que la charge de la preuve incombe à l’importateur parallèle. Concernant les conditions relatives à l’affectation de l’état originaire du produit (condition 2) et à la réputation de la marque (condition 4), il suffit pour l’importateur d’apporter un début de preuve qui fasse « raisonnablement présumer que cette condition est remplie ». Il reviendra au titulaire de la marque, mieux armé, de prouver qu’une atteinte a été portée à la réputation ou à l’état originaire du produit.
3. Le deuxième apport majeur de l’arrêt réside dans l’extension du régime du reconditionnement des produits destinés à l’importation à la méthode d’apposition d’une étiquette sur l’emballage extérieur. La question restait en suspens car jusqu’alors il était souvent considéré que l’étiquetage n’était qu’une atteinte minime à la marque. Contredisant les conclusions de l’avocat général, la Cour assujettit le reconditionnement par apposition d’une étiquette supplémentaire externe aux 5 conditions susmentionnées.
La Cour indique également que :
4. La preuve de la nécessité du reconditionnement, laquelle pèse sur l’importateur, vise uniquement le fait du reconditionnement et non pas la manière ou le style dans lequel ce reconditionnement est réalisé. La solution inverse aurait résulté en une restriction disproportionnée à la charge de l’importateur, qui pénètre un marché grâce à sa stratégie de présentation des produits, de publicité ou de conception du conditionnement.
5. La protection de la réputation de la marque ne se cantonne pas uniquement à ce que le reconditionnement que subit le produit ne soit pas défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, mais bien au contraire, vise une atteinte grave et générale à la réputation de la marque (à rapprocher de l’arrêt Dior, CJCE 4 nov. 1997, aff. C-337/95).
Il appartiendra au juge national de trancher les circonstances factuelles propres à établir une atteinte à la réputation de la marque. Il en va ainsi par exemple de savoir si l’apposition d’une étiquette sur l’emballage masquant la marque du titulaire ou bien si l’impression du nom de l’importateur en lettres capitales, est de nature à porter une atteinte à la réputation de la marque.
6. L’avertissement préalable à toute commercialisation d’un produit reconditionné demeure une garantie d’extrême importance pour le titulaire de la marque. Cette garantie est réitérée par l’arrêt Boehringer II. Le non-respect de cette règle entraîne une sanction qui doit être 1) proportionnée, 2) effective, et 3) dissuasive, afin de sauvegarder l’effet utile de la directive. Le titulaire de la marque a alors droit à une réparation dans les mêmes conditions qu’en cas de contrefaçon, car dans les deux situations, la commercialisation n’aurait jamais dû avoir lieu.