L’aggravation de l’état de santé d’une victime, même si cette dernière a déjà reçu indemnisation pour son dommage initial, justifie une réparation complémentaire.

L’aggravation correspond à la dégradation de la situation antérieure de la victime en raison d’éléments nouveaux, soit parce que la victime subit une majoration d’un préjudice préexistant, soit parce qu’elle subit un préjudice nouveau[1].

De récents arrêts de la Cour de cassation sont venus confirmer une divergence avec la position du Conseil d’État concernant la recevabilité de l’action en indemnisation du préjudice aggravé.

1. La position du Conseil d’État

En 2016, le Conseil d’État a été saisi d’une affaire dans laquelle le juge du fond avait rejeté la demande du requérant visant à voir condamner l’ONIAM à l’indemniser de ses préjudices, déclarant son action prescrite.

Le Conseil d’État a retenu que « si l’expiration du délai de prescription fait obstacle à l’indemnisation [des préjudices d’une victime d’un dommage corporel], elle est sans incidence sur la possibilité d’obtenir réparation de préjudices nouveaux résultant d’une aggravation directement liée au fait générateur du dommage et postérieure à la date de consolidation ; que le délai de prescription de l’action tendant à la réparation d’une telle aggravation court à compter de la date à laquelle elle s’est elle-même trouvée consolidée » (nous soulignons)[2].

Ainsi, pour le Conseil d’État, le caractère prescrit de l’action en réparation du dommage initial est sans incidence sur la possibilité d’agir en réparation de l’aggravation du préjudice.

Cette solution a été réaffirmée par le Conseil d’État en 2020[3]. Elle est également régulièrement appliquée par les cours administratives d’appel, et très récemment par la cour administrative d’appel de Paris[4].

2. La position de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 21 mars 2024, la Cour de cassation a retenu que « l’action en indemnisation de l’aggravation du préjudice est autonome au regard de l’action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu’un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l’aggravation, une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage a été reconnue»[5].

Dans cette affaire, un jugement irrévocable avait déclaré prescrite l’action engagée par le demandeur en réparation de son préjudice initial.

La Cour de cassation constate « qu’en raison de cette prescription, la responsabilité de la SNCF n’avait pas été établie et le préjudice initial n’avait pas été déterminé antérieurement à l’introduction de l’action en aggravation » et en déduit que « l’action en responsabilité et indemnisation tant du préjudice initial, que du préjudice aggravé, est irrecevable comme portant atteinte à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 1er octobre 2003 qui a déclaré l’action prescrite » [6].

Cette solution avait déjà été esquissée dans un arrêt de 2016, dans lequel la Cour de cassation avait approuvé une cour d’appel d’avoir retenu que l’action en réparation d’une perte de chance d’obtenir la réparation d’un préjudice aggravé n’était en l’espèce pas fondée, au motif qu’« une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité e l’auteur prétendu du dommage et le préjudice initialement indemnisé ont pu être indemnisés »[7].

La décision de la Cour de cassation du 21 mars 2024 a été largement commentée. Elle est également citée dans le Barème Mornet 2024, paru en septembre 2024.

La position de la Cour de cassation est claire et a été réaffirmée au cours de l’été : « une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage a été reconnue et le préjudice initial déterminé »[8]

Cette solution a été critiquée par une partie de la doctrine, qui considère qu’elle risque de priver le demandeur de son action en réparation de l’aggravation de son préjudice avant même qu’il n’ait eu conscience de cette aggravation.

D’autres auteurs considèrent que cette solution se justifie car l’aggravation, bien qu’elle bénéficie de sa propre date de consolidation, doit nécessairement être appréciée au regard du préjudice initial dont elle constitue une évolution.

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Les positions de la Cour de cassation et du Conseil d’État peuvent se justifier, cependant l’essentiel serait que les deux juridictions adoptent une solution commune, tant la recevabilité de l’action en réparation d’un préjudice aggravé est déterminante pour les justiciables.


[1] M. Le Roy, J-D. Le Roy, F. Bidal, L’évaluation du préjudice corporel, LexisNexis, 2015, p. 35

[2] CE, 5e – 4e ch. réunies, 1er juin 2016, n° 382490.

[3] CE, 7-2  ch, 20 novembre 2020, n° 434018.

[4] CAA de PARIS, 7ème chambre, 27 mars 2024, 21PA05257

[5] Cass. Civ. 2, 21 mars 2024, n° 22-18.089

[6] Cass. Civ. 2, 21 mars 2024, n° 22-18.089

[7] Cass. 1re civ., 14 janvier 2016, n° 14-30.086, Publié au bulletin.

[8] Cass. 2e civ., 11 juillet 2024, n° 23-10.688, Publié au bulletin.