Le mois dernier Kamil Haeri, membre du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris, a déposé son rapport sur la réforme préconisée de la formation des futurs avocats et de leur accès au barreau. Alors que les ordres des avocats, comme celui de Paris, assurent la gestion du Tableau, ils ne maitrisent pas l’accès à la profession des futurs avocats, monopole des universités qui organisent l’examen d’entrée dans les centres régionaux de formation professionnelle (CRFPA), dont l’EFB d’Issy-les-Moulineaux. Notre éminent confrère rapporteur constate une augmentation importante et continue du nombre d’inscrits à l’examen des CRFPA, les difficultés grandissantes de l’EFB à offrir un enseignement adapté et un « malaise des élèves avocats » devant le « manque de motivation des professeurs ». (Article du Monde daté du 20 novembre – page 10).

Que préconise le Rapporteur ?

  1. créer un examen national
  2. transférer vers les barreaux de l’organisation de l’examen, avec le concours des Universités
  3. limiter le nombre de passages du CRFPA
  4. supprimer l’épreuve écrite de spécialisation lors de la phase d’admissibilité
  5. supprimer l’épreuve orale de spécialisation lors de la phase d’admission
  6. fixer une moyenne générale à 12/20 pour la phase d’admission
  7. instaurer une note éliminatoire pour le grand oral.

Qu’en pensent nos stagiaires du moment ?

  • « S’il n’est pas national, l’examen d’entrée devrait au moins être régional (par école). Avoir des examens différents selon les universités pour accéder à une même école est consternant. Les étudiants, en dernière chance, se pressent aux examens d’universités réputés plus faciles pendant que d’autres voient leurs étudiants partir simplement pour augmenter leurs chances d’admission. »
  • « Sans écarter entièrement les universités, il semble judicieux que l’examen soit préparé et organisé par les écoles avec le concours actif  des professionnels. »
  • « Pour l’instant, le nombre de passage de l’examen est limité à 3. Je suis contre la réduction de ce nombre. Tant que l’examen ne sera pas moins aléatoire et plus uniformisé, il serait injuste de réduire le nombre de passage.  Je connais des étudiants brillants, tant scolairement que dans leurs stages, qui ont ratés 2 fois l’examen, alors qu’ils feraient de remarquables avocats « embauchables » et efficaces dès la sortie de l’école. »
  • « Je suis pour un examen équitable et identique pour tous, ne comprenant que des matières fondamentales. »
  • « S’agissant de la fixation d’une moyenne générale à 12/20 pour la phase d’admission : faire une telle proposition c’est ignorer que la majorité des étudiants réussissent le CRFPA avec une moyenne entre 10 et 12. »
  • « Bien plus grave, ne persistons pas à penser que les meilleurs « bachoteurs » seront les meilleurs avocats. Ce n’est pas à la note de synthèse ou au grand oral qu’on a les meilleures notes, mais dans les matières écrites où l’on a bien appris par cœur l’ensemble des arrêts de l’année et derniers développements. »
  • « Le grand oral est un examen large où règne l’aléatoire. Comment pourrait-on raisonnablement refuser l’accès à la profession à un étudiant recevant un sujet dont certaines universités ont le secret (cf. célèbres « bleu » ou « fleurs ») ? »
  • « Je pense plutôt qu’une solution serait la réunion d’un comité disciplinaire analysant les propos d’un étudiant avant d’en envisager son ajournement pour faute grave. Je connais un étudiant qui a réussi le CRFPA en ayant dit durant son grand oral que les règles de déontologie n’existaient que pour que les professeurs inventent des sujets de grand oral qui les amusent. Il a eu une note entre 1 et 3 mais a tout de même réussi son CRFPA. » 
  • « Je m’interroge sur la suppression préconisée des épreuves de spécialité. En effet, j’estime qu’il est intéressant de la maintenir en complément de l’épreuve de composition afin de permettre une évaluation plus complète (cela est moins valable pour l’oral). Toutefois, dans l’esprit du rapport, on pourrait concevoir cette épreuve non comme une spécialisation – avec une matière choisie par le candidat – mais plutôt comme portant sur une – ou plus – matière testée parmi plusieurs – au choix des examinateurs. Et cela quitte à réduire le nombre de matières pouvant être testées.  De plus, je pense que cela permettrait de ne pas limiter l’examen au seul droit des obligations et procédures (aussi conséquentes soient-elles). »

Cela fait penser à l’obsession des gouvernements qui se sont succédés depuis la fin des Trente Glorieuses afin que l’ensemble de nos jeunes soient reçus bachelier : réussite au Bac garantie pour 85% des candidats (taux de réussite en 2013 : 86,8%). En 2013, on découvre à Matignon et à Grenelle que nos voisins n’ont pas instauré un bac dévalorisé – offert à tous dans un cornet – et vidé les filières professionnelles. Une des réussites du modèle économique allemand est la qualité de sa filière apprentissage. Le ministre Peillon a certainement raison de vouloir réformer l’école en commençant par le primaire, encore faut-il que cette réforme soit bien pensée, il ne suffit pas de « bidouiller » les rythmes scolaires pour apprendre à nos jeunes poupins à lire et à calculer. Le ministre a-t-il évalué les dégâts causés par la sélection précoce (quasiment à l’école maternelle) des élèves dans les différentes filières scientifiques, techniques, littéraires, linguistiques et autres ?

Dans les années 60, le licencié en droit, parfois bardé d’une maitrise, DESS ou DEA, ne se destinait pas systématiquement à la profession d’avocat, la magistrature, le notariat et l’huisserie. Jusqu’en 1991, avant la fusion, il y avait aussi les conseils juridiques. Dans ces temps anciens, la majorité des diplômés des facultés de droit se dirigeaient vers la banque, l’assurance, l’entreprise et la fonction publique, sans oublier la police et l’armée. Mai 68 advint, suivi de la création massive des écoles de commerce. Le résultat est qu’aujourd’hui le débouché principal des facultés de droit est la profession d’avocat, les magistrats et les notaires ayant leur propre formation. Il n’est donc pas étonnant qu’avec un bac au rabais et une absence totale de sélection à l’entrée des facultés de droit, le nombre des candidats à la profession ait connu un développement exponentiel, même si un grand nombre d’inscrits en première année n’achève pas ses études et quitte la faculté sans diplôme qualifiant.