Dans un précédent billet, nous avions fait état du dépôt du rapport Prada sur « certains facteurs de renforcement de la compétitivité juridique de la place de Paris », commandé en octobre 2010 par le garde des Sceaux de l’époque, Michelle Alliot-Marie, et le ministre des Finances, Christine Lagarde. La mission précisait : « il semble essentiel dès lors de mener une réflexion sur les facteurs pouvant renforcer la compétitivité juridique de Paris ». Il n’est pas précisé pourquoi la mission était limitée à Paris.

Le rapport est conséquent, il a été développé sur plus de 60 pages, si l’on ajoute au rapport lui-même (48 pages), la synthèse (10 pages) et le sommaire et les annexes.

Les trois thèmes abordés par la mission Prada sont :

• la consolidation de la Place de Paris dans l’arbitrage international

• la place du droit et des juristes en entreprise

• la compétitivité des cabinets français à l’international en matière de prestations juridiques aux entreprises.

Dans sa conclusion, Michel Prada suggère aux ministres de lancer sans tarder un processus de consultation sur les réformes proposées. Celles-ci ne sont toutefois pas totalement limpides. Ainsi, en ce qui concerne l’arbitrage, le rapport préconise une « mise en synergie des organisations existantes et de présentation de l’offre française » (en matière d’arbitrage), notamment par la construction d’un site Internet plus performant (ce qui) « contribuerait à la promotion de cette activité en croissance rapide ». On reste sur sa « faim ».

En ce qui concerne l’avocat en entreprise, le rapport semble favorable à ce que certains juristes, en fonction des diplômes, soient inscrits au barreau sur une liste ad hoc. On nous dit que cet avocat en entreprise serait tenu de respecter les principes de respect déontologique et éthique de la profession, ce qui est bien. Le rapport ajoute que sa mission serait « de servir la justice et le droit ». Il nous avait échappé jusqu’alors que l’avocat français avait pour mission principale de servir la justice et le droit. Au contraire, il nous semble que sa mission est de servir ses clients et de triturer le droit de telle sorte qu’il serve la cause du client, sinon un avocat unique suffirait pour chaque procès. Pour ce qui est du statut de l’avocat en entreprise, il reste salarié et « un collaborateur sans autre spécificité que son appartenance au barreau, gage de son intégrité et son indépendance dans la défense du droit et le respect de la conformité ». « Il réserverait l’exclusivité de ses prestations à son entreprise » et « n’aurait pas la capacité de plaider (…) ». Ceci est dit d’une manière concise, mais n’est pas aisé à mettre en œuvre. Vaste programme.
Enfin, le rapport préconise la mise en place d’un privilège de confidentialité qui serait réservé aux rapports entre l’entreprise et son avocat salarié, juriste interne, privilège qui ne bénéficierait pas aux autres juristes de l’entreprise privés du statut d’avocat en entreprise. Voilà une recommandation qui ne sera pas aisé à mettre en œuvre.

Alors que dans les pays anglo-saxons tous les avocats (solicitors, barristers, juristes d’entreprise inscrits au barreau) bénéficient du « legal privilege », comme c’est également le cas en Allemagne et aux États-Unis, il n’en est pas de même en France où seuls les avocats bénéficient d’un régime de confidentialité qui n’a rien à voir avec le legal privilege. Même si de nombreux syndicats, groupes de pression et corps constitués sont aujourd’hui favorables à la création par voie législative d’un statut d’avocat en entreprise, le rapport Prada ne fait guère avancer le débat, il le complique.

En ce qui concerne la compétitivité des cabinets français, nous n’avons pas identifié de recommandations certaines dans le rapport. Il est question de l’handicap des juristes français qui ne maitriseraient pas suffisamment bien l’anglais, de la sous-traitance à l’étranger de services juridiques encore peu développée, d’autant plus que la France ne dispose pas d’une réserve de juristes bon marché parlant français, comme c’est le cas de l’Inde pour l’anglais.

En conclusion de ce 3ème thème, le rapport Prada préconise que « les pouvoirs publics français arrêtent dans les meilleurs délais à l’égard de ces nouveaux acteurs et s’attachent à promouvoir, au niveau européen, un cadre normatif approprié avant que soient constatés d’éventuels effets pervers mal anticipés ». Que cela est bien dit.

L’annexe 2 qui donne la liste des personnes rencontrées est impressionnante. Tous les syndicats, associations et organisations de juristes, d’avocats, magistrats y figurent, y compris les représentants du monde de l’entreprise. Pour ces dernières, 12 directeurs juridiques ont été interviewés. Il s’agit exclusivement d’entreprises du CAC 40, à l’exception de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris qui n’est pas, on s’en doutait, une entreprise à part entière. On cherche en vain des PME et des filiales de groupes étrangers en France. Parmi les 12 nominés, LVMH est la seule entreprise entrepreneuriale sur cette liste. Laissons à d’autres le soin d’apprécier si la liste des avocats consultés, interviewés, est représentative.

Ce énième rapport, qui s’inscrit dans la mouvance des rapports Darrois, Guillaume et Mangendie, pêche par son absence de nouveauté.

Les lecteurs de La Revue qui s’intéressent à l’arbitrage, mais aussi aux ADR, constateront que les termes ADR, MARC, médiation et conciliation sont absents du rapport. Ainsi, dans l’esprit du rapporteur et de ses adjoints, alors qu’un décret est en préparation pour transposer la directive sur la médiation de 2008, ce mode extrajudiciaire de règlement des différends, mais également le processus de négociation assisté par un tiers susceptible d’aider les parties lors d’opérations complexes de rapprochement à mieux négocier (deal mediation et médiation de projet), n’a pas été identifié comme un processus capable de renforcer la compétitivité de la Place de Paris.

Pourquoi la France attire peu de grands groupes nord-américains et asiatiques pour implanter leur direction régionale ? Pourquoi ces groupes préfèrent-ils la Suisse, l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi l’Allemagne dans une certaine mesure, pour l’implantation de leurs quartiers généraux ? Il y a à cela plusieurs raisons. L’attractivité du droit français n’en fait pas partie. La première raison est la centralisation, Paris étant encore dominant dans l’espace hexagonal, alors que nos voisins proposent plusieurs capitales régionales (ex : il y a en Espagne, Barcelone et Madrid, en Allemagne, Frankfort, Düsseldorf, Munich, voire Hambourg, et en Suisse, Zurich et Genève). Constituent des critères de choix bien entendu les langues dont surtout l’anglais en tête, le prix du logement, le contexte social (les 35 heures, la fréquence des conflits sociaux, …), la fiscalité des personnes physiques. Faut-il incriminer la qualité des études en France, y compris l’enseignement dispensé à l’EFB ? Même si l’enseignement du droit en France pourrait être amélioré, tout est perfectible, il n’en demeure pas moins que les nombreux cabinets anglo-saxons installés à Paris n’ont apparemment pas de difficulté à recruter des juristes français capables de travailler en anglais. Il faut donc chercher les raisons de cette faible attractivité ailleurs. En plus des critères déjà mentionnés ci-dessus, il faut noter la réputation et le marketing. Les français ont globalement une mauvaise réputation, même s’ils sont travailleurs et meilleurs en anglais qu’au siècle dernier.

L’absence d’une profession unique n’est pas un critère quand un groupe d’entreprises étrangères réfléchit à son implantation dans l’UE. Le chemin est long pour parvenir à une profession unique à l’instar des États-Unis bien sûr, mais également de la plupart de nos voisins. Il est souhaitable de créer un système d’enseignement unique du droit avec la disparition progressive des enseignements de castes, comme l’école de la magistrature et les écoles de notariat. Tôt ou tard, les notaires intégreront cette profession unique, même si le débat sur l’acte d’avocat et la concurrence déloyale que reprochent les notaires aux avocats sont pathétiques.

Stigmatiser les différences entre les systèmes juridiques de Common Law et de droit continental n’intéresse pas les entreprises. La technique juridique, la rédaction de contrats internationaux et le règlement des litiges à l’international intéressent bien davantage que le droit applicable. Nous avons tout intérêt à l’adoption d’un droit commun des contrats pour l’ensemble de l’Union Européenne, à la possibilité de plaider en anglais devant certaines chambres spécialisées, comme cela est déjà le cas aux Pays-Bas, et à la libre circulation des juristes.

Des progrès ont été réalisés. En 2011, le diplôme des EFB est exigé par la plupart des directions juridiques d’entreprise pour leur recrutement de juristes. On constate également une plus grande rotation entre avocats et juristes d’entreprise. Il n’est pas rare que de jeunes avocats, après quelques années d’expérience en cabinet, rejoignent le monde de l’entreprise.

Il faudra, comme le suggère Michel Prada dans la conclusion de son rapport, lancer une consultation transversale pour identifier les raisons pratiques au manque de compétitivité à l’international des prestations juridiques proposées par des professionnels en France, mais pas seulement ceux de la Place de Paris.

Espérons que cette consultation sera menée dans un esprit pragmatique et pas seulement dans un but illusoire du « renforcement de l’influence française dans la formation de la pensée juridique européenne ».

Pour que cette consultation soit efficace, il faut dépasser les intérêts et privilèges de caste et le maintien des droits acquis. A vouloir consulter tous les corps constitués, le résultat risque d’être réducteur et il faudra encore patienter des décennies avant l’instauration d’une profession juridique unique, chacun étant libre de choisir comment il entend exercer son métier. La variété d’exercice professionnel dans le temps est un enrichissement évident. Certains sont attirés par la magistrature, d’autres par l’entreprise, d’autres encore par l’exercice en cabinet, entreprise à part entière vendant des prestations juridiques. Le juriste attiré par la spécialisation peut exercer ses talents aussi bien en entreprise qu’en cabinet. D’autres sont attirés par la variété, une carrière qui passe de cabinet en entreprise, mais aussi par l’enseignement et la magistrature. Il importe donc que les passerelles soient accessibles et non pas seulement en sens unique, comme nous le constatons par l’inscription au barreau d’anciens ministres remerciés et députés battus ou encore de juristes d’entreprise mis à la retraite qui démarrent une deuxième carrière sur le tard en tant qu’avocat avec plus ou moins de bonheur.

En dehors de l’Afrique francophone, des pays du Maghreb, de la Belgique et certains pays d’Amérique Latine, rares sont les pays avec lesquels la France a une balance commerciale significative, qui ont un système juridique inspiré du droit français. A l’opposé des pays du Commonwealth, les Etats-Unis et le Canada (pour la partie anglophone), le droit français a été peu exporté. Ainsi, en prenant l’exemple typique du Japon, le droit nippon a été en partie influencé par le droit allemand, nonobstant les travaux remarquables de Gustave Émile Boissonade de Fontavrie, qui a travaillé pour le ministre de la Justice à Tokyo de 1873 à 1895 et rédigé de nombreux codes dont un code civil, qui n’a finalement pas été retenu pour des raisons politiques. Nous savons également que le droit hellénique et turc ont été influencés par le droit allemand.

Il est pertinent de rapprocher le rapport Prada avec le « baromètre attractivité du site France 2011 – l’avenir maintenant » préparé par Ernst&Young :
www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Attractivite_France_2011/$FILE/Barometre_Attractivite_France_2011.pdf

Le rapport et le baromètre traitent de la même question, à savoir l’attractivité de la France pour les investissements étrangers et la compétitivité « du site France ». E&Y constate que la France est en train de perdre du terrain en matière d’attractivité d’entreprises étrangères. Le nombre de décisions d’implantations (562) affiche une croissance +6 en 2010, mais la France loin derrière le Royaume-Uni est talonnée par l’Allemagne. E&Y anticipe que la France perdra sa deuxième place en 2011 en Europe.

Le baromètre analyse les éléments forts d’attractivité, mais également les faiblesses. Parmi les éléments positifs figurent l’Agence Française des Investissements Internationaux, la réunion du Conseil Stratégique de l’Attractivité, le guichet unique dans toutes les démarches fiscales, la suppression de la taxe professionnelle, le crédit impôt recherche et les financements des projets associés au Grand Emprunt. Parmi les freins, E&Y met en exergue l’absence de flexibilité du marché, la progression des charges sociales dont le niveau est insupportable et le faible tissu de PME (l’absence de Mittelstandt). Pour inverser le déclin du « site France » tous les décideurs et observateurs préconisent moins de réglementation, le développement de métropoles régionales, une plus grande flexibilité du travail et de la réglementation et une fiscalité attractive. Il est essentiel de changer l’image de marque du « site France », pays où l’on travaillerait peu et taxerait beaucoup. Évidemment, une parfaite connaissance de l’anglais par tous les acteurs économiques est un facteur d’attractivité certain. « La France a besoin d’un cadre réglementaire juridique, économique et social, à la fois dynamique et stable susceptible d’accompagner la création de richesse et d’emploi. ».

Peu de points communs entre ce baromètre sur l’attractivité de la France avec les conclusions du rapport Prada.

A suivre …