Cass. soc. 11 décembre2024 no 23-20.716 F-B
Les SMS envoyés par un salarié depuis un téléphone professionnel, dès lors qu’ils portent sur son activité professionnelle, ne relèvent pas de sa vie privée et peuvent alors être valablement utilisés par l’employeur dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

L’affaire
Par un arrêt rendu le 11 décembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’un licenciement fondé sur des échanges entre salariés via un téléphone mis à disposition par l’employeur pour les besoins du travail, pouvait être justifié du fait que ces échanges comportaient des propos critiques et dénigrants à l’encontre de la direction. La Cour a ainsi rappelé que des SMS envoyés dans ce cadre peuvent valablement fonder une sanction disciplinaire dès lors qu’ils portent sur l’activité professionnelle.
En l’espèce, sept ans après son recrutement, un salarié a été licencié pour faute lourde après avoir critiqué et dénigré des membres de la direction par SMS via son téléphone professionnel. Le salarié a contesté son licenciement au motif que les échanges relevaient de sa vie privée, qu’ils n’avaient pas vocation à être diffusés, donc qu’ils ne pouvaient pas être utilisés pour fonder une sanction disciplinaire à son encontre. La Cour d’appel ayant exclu l’intention de nuire, elle a décidé de requalifier la faute lourde en faute grave. S’estimant injustement sanctionné malgré tout, le salarié a formé un pourvoi en cassation afin de percevoir les indemnités afférentes à son licenciement.
Du renforcement du caractère présumé professionnel de SMS émis avec les outils professionnels…
Depuis un arrêt de 2007 (Cass. Soc. 23 mai 2007 n°06-43.209 FS-PBI), la chambre sociale considère les SMS comme des modes de preuves recevables en matière prud’homale. Mais jusqu’à présent, seule la chambre commerciale avait considéré que des SMS envoyés par un salarié depuis un téléphone portable professionnel mis à disposition par son employeur étaient présumés revêtir un caractère professionnel, conférant ainsi le droit à l’employeur de les consulter et de s’en prévaloir en justice (Cass. com. 10 février 2015 n°13-14.779 FS-PB).
Pour la première fois à notre connaissance, la chambre sociale de la Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence commerciale en retenant que les SMS envoyés étaient bien présumés avoir un caractère professionnel du fait de la nature de l’outil émetteur, donc consultables par l’employeur, peu important le fait qu’ils n’étaient pas destinés à être rendus publics.
Cette présomption est bien évidemment réfragable. Si les informations contenues dans les SMS ne relèvent pas de l’activité professionnelle mais de la vie privée du salarié, les SMS ne pourront alors pas être invoqués au soutien d’une sanction disciplinaire (Cass. soc. 5 juillet 2011 n°10-17.284 F-D).
En l’espèce, les informations contenues dans les SMS litigieux concernaient les membres de la direction de l’entreprise. Ces SMS étaient donc en lien direct avec l’activité professionnelle du salarié. La présomption du caractère professionnel de ces SMS ne pouvait donc pas être renversée sur le fondement du droit au respect de la vie privée du salarié.
…Aux limites à la liberté d’expression des salariés dans le cadre professionnel
La défense du salarié était en partie construite autour du principe fondamental de liberté d’expression garanti notamment par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, tout salarié est en droit d’exercer sa liberté d’expression en critiquant ses conditions de travail (Cass. soc. 11 octobre 2023 n° 22-15.138 F-D) ou même en critiquant une nouvelle forme d’organisation administrative (Cass. soc. 27 mars 2013 n° 11-20.721 FS-D), tant qu’il n’enfreint pas les limites classiques de cette liberté.
En effet, la Cour rappelle le principe selon lequel il résulte de l’article L. 1121-1 du code du travail, que le salarié jouit de sa liberté d’expression dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, sauf à en faire un usage abusif (propos injurieux, diffamatoires ou excessifs).
En l’espèce, les SMS en cause comprenaient des critiques abusives et dénigrantes à l’égard de la direction. La Cour d’appel a ainsi relevé que le salarié avait désigné un membre de la société sous la dénomination dénigrante « l’EPD » (entretien progrès développement) en répondant à son collègue en ces termes : « on peut vraiment dire : le PD ». Était ainsi désigné le directeur général de l’entreprise. La Cour d’appel a alors considéré que ces échanges étaient dépourvus de caractère privé. L’emploi de ces termes, que nous pouvons qualifier d’homophobes, a été considéré comme injurieux et excessif, caractérisant ainsi un abus dans l’exercice de la liberté d’expression du salarié.
Il ressort de cet arrêt que la Cour de cassation entend encadrer plus strictement l’usage que font les salariés de la liberté d’expression avec leurs outils professionnels. Le droit au respect de la vie privée des salariés est néanmoins, également préservé. Un employeur peut sanctionner un salarié pour le contenu de SMS dénigrant et insultant envoyés via son téléphone professionnel lorsque ce contenu est en rapport avec son activité professionnelle et non avec sa vie privée. En revanche, les mêmes SMS ne pourraient pas fonder une sanction disciplinaire s’ils étaient envoyés avec le téléphone personnel du salarié, sauf à ce que le destinataire, potentiellement un collègue de travail, en décide, peut-être, autrement… Affaires à suivre.