La question de l’éligibilité d’un contrat aux dispositions protectrices de la loi relative à la sous-traitance, loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, à raison ou non de prestations relevant d’une « spécificité particulière » et réalisées par un industriel fabricant dont les produits sont incorporés à l’ouvrage, vient, par un arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 2 juillet 2008 (n° 06-20.946 , SEAC Guiraud frères), de s’enrichir d’une nouvelle réponse qu’il convient d’analyser pour en mesurer la portée.
La Cour de cassation, par cet arrêt, a écarté l’application de la loi relative à la sous-traitance à un prétendu contrat d’entreprise, au motif que les matériaux fournis par l’industriel, en l’occurrence des poutrelles précontraintes et des prédalles notamment, étaient des « produits standard », outre les adaptations géométriques accessoires à réaliser, particulièrement pour les prédalles associées aux dites poutrelles.
Cette décision, à l’instar de la jurisprudence « échafaudage » (voir Cour de cassation, 3ème chambre civile, 23 janvier 2002, n° 00-17759), ne permet donc pas à un fournisseur de poutrelles précontraintes de revendiquer la qualité de sous-traitant pour – et c’est l’un des enjeux de la qualification – exercer à l’encontre du maître de l’ouvrage une action directe en paiement pour le cas où l’entrepreneur principal, mis en demeure, ne l’aurait pas payé pour les prestations réalisées (article 12 de la loi de 1975).
Les poutrelles précontraintes industrialisées sont des produits normalisés. Ce point n’est pas contestable. Mais, ces éléments de structure d’un ouvrage, sont-ils, pour autant, des produits « catalogue » ?
L’arrêt relève, sans en tirer les conséquences de droit qui auraient pu s’imposer, en l’espèce, et d’après l’avis – rapporté – de SOCOTEC que :
– Les produits en cause ont été fabriqués en vue d’une utilisation spécifique dans un chantier précis ;
– Leur géométrie dans les trois dimensions a été déterminée au regard des caractéristiques de l’ouvrage dans lequel ils ont été mis en œuvre ;
– Les armatures de ces produits (diamètres, forme et emplacement), sont spécifiques, d’une part, aux critères géométriques et, d’autre part, aux charges d’exploitation de l’ouvrage ;
– L’utilisation de plans ou de fiches de fabrication préalables à toute réalisation, produit par produit, a été nécessaire pour leur fabrication ;
– Lors de la mise en oeuvre, ces produits vérifiés par le bureau de contrôle en charge de l’opération, présentaient, ainsi, des critères spécifiques liés aux besoins du chantier.
Cet avis de SOCOTEC, limité à la destination desdits produits, n’a pas emporté la conviction des juges. Ces derniers, pour rejeter le pourvoi, se sont limités à reprendre les constatations de la cour d’appel, conformes à l’avis de VERITAS, mais orienté uniquement sur la technique de fabrication des « matériaux », à savoir :
La SEAC Guiraud frères fabrique des matériaux standard issus d’ « une production en série normalisée » qui peuvent se « retrouver sur tous les chantiers ».
Par voie de conséquence, la Cour a considéré que si la fabrication des prédalles et des dalles alvéolées nécessitaient la prise en charge de critères géométriques, de charge et d’emplacement propres à l’ouvrage, cette fabrication n’impliquait pas pour autant une « technique de fabrication spécifique » à cette commande.
Pour la Cour de cassation, le critère de la destination de la fourniture n’est donc pas nécessairement suffisant puisqu’un autre critère, de manière additionnelle, est, aussi à prendre en compte : celui de la technique de fabrication.
Pourtant, dans une espèce voisine (voir en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 9 juin 1999, n° 98-10291), la Cour de cassation avait relevé qu’une cour d’appel avait pu déduire, en retenant le critère de « fourniture spécifique destinée à un chantier déterminé comportant une mise en oeuvre particulière », que l’entrepreneur principal avait conclu un contrat de sous-traitance, considérant que le fournisseur de béton, ( a ) en fonction du revêtement de base d’une chaussée à recouvrir, ( b ) de la nature du trafic, et ( c ) de l’exigence du cahier des clauses techniques particulières, avait notamment, étudié la formule spécifique du béton à proposer après tests préalables.
La circonstance d’une mise en œuvre des matériaux fabriqués [qui a été retenue par l’arrêt du 9 juin 1999, et qui fait défaut pour le cas SEAC Guiraud frères] ne semble toujours pas déterminante pour la Cour de cassation (confer notamment Cour de cassation, 3ème chambre civile, 19 juin 1991, n° 89-21906).
Le cas des prédalles mis à part (parce qu’elles sont des éléments de coffrage, généralement non spécifiques à telle opération), celui des poutrelles précontraintes mérite toutefois d’être repris.
Préfabriquées en usine, les poutrelles précontraintes ( a ) en fonction de la destination de l’ouvrage, ( b ) des charges d’exploitation de l’immeuble, et ( c ) des exigences du cahier des clauses techniques particulières (exemple : réglementation incendie) sont, toujours, réalisées en tenant compte de telle formule (agrégats, ciment, adjuvants éventuels) pour atteindre telle résistance spécifique du béton qui les compose (en application des exigences du cahier des clauses techniques particulières) et après des tests préalables, notamment de convenance.
Ces éléments plaident en faveur d’une sous-traitance éligible à la loi de 1975.
Et les similitudes de fait entre les deux espèces, propres l’une et l’autre à des matériaux en béton, sont, en apparence, d’autant plus troublantes qu’elles ont été sanctionnées différemment par la Cour de cassation, sans pour autant constituer une aberration juridique.
Le béton qui avait les performances requises par les prescriptions du marché de travaux routiers a été mis en œuvre dans le cadre d ‘un contrat de sous-traitance, (arrêt du 9 juin 1999) alors que les poutrelles précontraintes qui répondaient, pourtant, aux « critères géométriques, de charge et d’emplacement propres à l’ouvrage dans lequel ces matériaux [ ont été ] mis en œuvre » ont été réalisées dans le cadre d’un contrat de fourniture.
Mais, c’était sans compter, au-delà de leur destination, sur le critère de la technique de fabrication des matériaux, en l’espèce, non « spécifique à cette commande ».
Tel est l’enseignement cardinal à retenir de l’arrêt du 2 juillet 2008 qui s’inscrit, par sa construction juridique, dans le prolongement de la jurisprudence des « menuiseries industrialisées » ( confer notamment Cour de cassation, 3ème chambre civile, 20 novembre 2002, n° 01-14051 ) pour rejeter, une fois encore, le bénéfice de la loi de 1975 à un industriel qui se prétendait sous-traitant.