CJUE, 3ème chambre, 17 octobre 2013, affaire C-218/12, Lokman E. c/ Vlado S.
L’arrêt est intéressant en ce qu’il précise que les attentes du consommateur ne sont pas prises en considération mais seulement la démarche commerciale elle-même.
Texte applicable
Le fondement de la compétence judiciaire repose sur le Règlement (CE) n°44/2001[1] qui est d’application directe dans les États membres.
Les articles 15 à 17 du Règlement précisent les règles de compétence judiciaire pour les contrats conclus avec des consommateurs.
Le consommateur peut, dans un certain nombre de cas, attraire le professionnel
- soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié ledit professionnel,
- soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.
Selon l’article 15.1 c) cela s’applique notamment dans le cas où le consommateur a conclu un contrat avec un professionnel qui exerce des activités dans l’État membre où le consommateur a son domicile ou « qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ».
Cas d’espèce
Un consommateur allemand avait acheté, en France, une voiture auprès d’une entreprise de vente de véhicules d’occasion. Le site Internet de l’entreprise contenait dans ses informations de contact un numéro de téléphone fixe avec un indicatif français et un numéro de téléphone portable avec un indicatif allemand. Pour autant, le consommateur n’avait pas consulté le site internet avant de faire son achat, mais avait appris l’existence de ce commerce par des connaissances.
Le consommateur allemand souhaite voir reconnaitre la compétence judiciaire allemande dans son litige l’opposant à l’entreprise français au motif que le numéro de téléphone portable avec un indicatif allemand impliquerait que l’entreprise dirige ses activités vers l’Allemagne.
Le juge allemand a répondu en première instance par la négative au motif que le consommateur ne s’était pas servi du site Internet pour découvrir ou contacter l’entreprise et qu’il s’était déplacé en personne en France pour conclure le contrat.
Décision de la CJUE
La CJUE a d’abord rappelé que, ainsi que cela avait déjà été jugé dans une affaire précédente[2], l’article 15 c) ne requière pas que le contrat avec le consommateur ait été conclu à distance. En l’occurrence le fait que le contrat ait été conclu par le consommateur en dehors de son pays n’est pas un obstacle à la compétence des tribunaux de son pays.
La condition essentielle est que l’activité commerciale soit dirigée (notamment) vers l’État membre où le consommateur est domicilié et que le contrat soit conclu dans le cadre de cette activité.
La CJUE a précisé qu’il n’était pas nécessaire en l’espèce que le site Internet du commerçant « dirigé » vers l’État membre du consommateur soit à l’origine de l’achat par le consommateur. En effet l’article 15 c) ne prévoit pas une telle condition de cause à effet (et il serait donc contraire à la protection du consommateur d’ajouter une telle condition).
En revanche, l’existence d’un tel lien de causalité peut constituer un indice pour le juge national qui devra décider si l’activité est ou non dirigée vers un autre État membre.
Par conséquent, même si elles ne commercialisent leurs produits que dans leur propre pays, les sociétés qui ont une démarche commerciale active vers les consommateurs d’autres États membres de l’UE, doivent prendre en compte le risque de se voir attaquées par des consommateurs devant les tribunaux de ces autres États membres. L’important sera de déterminer à partir de quel moment une société est considérée comme « dirigeant » ses activités vers d’autres États membres.
[1] Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32001R0044:fr:HTML
[2] arrêt du 6 septembre 2012, Mühlleitner (C‑190/11, non encore publié au Recueil)