Cass. civ. 1re, 15 mai 2015, pourvoi n°14-13151, (publié au bulletin)

On se souvient que la France n’a pas respecté le délai qui lui était imparti pour transposer la directive n° 85-374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. La loi française n’est en effet intervenue qu’en 1998 (loi n° 98-389 du 19 mai 1998), soit bien après le délai de trois ans imposé par la directive (cf. article 19 de la directive).

Il en résulte un régime particulier pour les produits défectueux mis en circulation après le délai de transposition de la directive – le 30 juillet 1988 – mais avant l’entrée en vigueur de la loi  française – le 21 mai 1998. Ceux-ci sont de fait soumis aux dispositions de droit commun alors en vigueur, lesquelles doivent cependant être « interprété[es] à la lumière de la directive n° 85-374/CEE du 25 juillet 1985 », artifice permettant d’appliquer de manière anticipée les dispositions de la directive de 1985.

L’arrêt commenté vient toutefois rappeler que cette application anticipée des dispositions de la directive présente des limites, puisqu’elle ne saurait faire échec à l’application des dispositions de droit interne relatives à la prescription.

En l’espèce, la question concernait l’action en réparation extracontractuelle dirigée à l’encontre du fabricant d’un vaccin contre l’hépatite B, auquel le patient imputait la survenance de la sclérose en plaques dont il était atteint. Le vaccin ayant été mis en circulation en décembre 1989, les dispositions de la loi du 19 mai 1998 étaient inapplicables. Toutefois, s’agissant d’un produit mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive de 1985, il convenait d’appliquer les dispositions du droit commun de la responsabilité délictuelle interprétées « à la lumière de la directive ».

De manière plus précise, il s’agissait ici de déterminer si cette « interprétation conforme » du droit national devait également s’étendre aux dispositions relatives à la prescription de l’action.
Sous cet aspect, l’article 10 de la directive (aujourd’hui transposé à l’article 1386-17 du Code civil) fixe un délai de prescription plus court qu’en droit commun, puisqu’il est prévu que « l’action en réparation [..] se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur ».
Effectuer une interprétation « à la lumière de la directive » conduisait donc à abréger le délai de prescription de droit commun et à en modifier le point de départ. Suivant cette voie, la cour d’appel avait déclaré irrecevable comme prescrite l’action du demandeur en jugeant qu’elle se prescrivait par un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur. Ce faisant, sous couvert d’interprétation conforme, la cour d’appel avait purement et simplement appliqué l’article 10 de la directive, à l’exclusion des dispositions de droit commun et notamment de l’article 2226 du code civil qui prévoyaient au contraire un délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation du dommage.

C’est précisément ce que l’auteur du pourvoi reprochait à la cour d’appel dans son second moyen, qui va aboutir à la cassation de l’arrêt.

Dans un attendu ne souffrant aucune ambigüité, la Cour de cassation retient que les dispositions relatives à la prescription ne sont pas susceptibles d’être interprétées à la lumière de la directive CEE n°85-374 du 24 juillet 1985, aux motifs que « l’action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le fabricant d’un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet sur ce point d’une interprétation conforme au droit de l’Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ».

La Cour de cassation s’était déjà prononcée en ce sens par un arrêt du 26 janvier 2012 (n°11-18117, publié au bulletin). Elle justifie ici cependant plus en détail sa solution en se référant expressément à « la jurisprudence constante de la CJUE », dont elle cite expressément plusieurs décisions, en soulignant que « l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ».

En outre, la Cour de cassation ne se prononce pas en l’espèce au sujet du délai butoir de dix ans dans lequel l’action en réparation doit être intentée aux termes de l’article 11 de la directive (transposé à l’article 1386-16 du code civil), on ne voit pas, au vu de la motivation de l’arrêt, qu’une solution différente puisse être adoptée.

En fin de compte, cette solution est évidemment favorable à la victime. Du point de vue du producteur, on peut aussi considérer que les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité invoqués auraient tout autant justifié l’application des dispositions de la directive en vertu du principe de l’interprétation conforme, s’agissant de dispositions impératives, claires et non équivoques et répondant à l’un des objectifs d’harmonisation expressément recherchés par la directive (cf. considérant n°10). Cette dernière solution aurait eu l’avantage d’assurer l’efficacité de la directive sans perpétuer les effets de la carence de l’État du fait du manquement à son obligation de transposition.

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