Alors que le Tribunal de Commerce de Paris connaît actuellement la première procédure de sauvegarde de son histoire, ouverte le 18 avril 2006, et qu’une centaine d’autres ont vu le jour en province, il est essentiel de s’arrêter quelques instants sur le cœur de cette nouvelle procédure tirée du Chapter 11 américain : les comités de créanciers.
Rappelons que la procédure de sauvegarde a été crée de toute pièce, et introduite en droit français par la loi du 25 juillet 2005 réformant le droit des procédures collectives.
Cette procédure, qui entraîne un arrêt des poursuites, est ouverte aux entreprises n’étant pas en cessation des paiements mais connaissant des "difficultés insurmontables". Elle permet, si possible avec le concours des créanciers, de préparer rapidement un plan de réorganisation de l’entreprise et d’apurement du passif.
Créée pour les plus grandes entreprises disposant d’informations financières pertinentes (critères du montant du chiffre d’affaires ou du nombre de salariés à définir par décret en Conseil d’Etat, sauf dérogation), cette procédure est en fait appliquée actuellement à des sociétés de "petite taille" compte tenu du silence des textes.
Mesure clef, l’article L.626-29 du Code de commerce, prévoit la réunion de deux comités.
Ceux-ci, réunis dans les trente jours de l’ouverture de la procédure, devront se prononcer à la majorité sur les propositions formulées par le débiteur chargé d’élaborer un plan, et adopter ou rejeter ce dernier dans un délai maximum de cinq mois.
Les partenaires de l’entreprise pourront être désormais réellement impliqués dans sa restructuration.
Le projet de plan n’est soumis à aucune contrainte légale, il pourra donc dépasser la durée de dix années, prévoir une suspension de tout remboursement supérieure à un an, le montant des annuités pouvant être inférieur à 5% du passif admis au delà de la deuxième année (…).
Chaque comité prend sa décision à la majorité de ses membres représentant au moins les deux tiers du montant des créances de l’ensemble des membres du comité. Le plan s’impose donc aux minoritaires sous réserve de sa validation par le tribunal, qui contrôlera qu’il respecte l’intérêt de tous les créanciers.
Par ailleurs, en cas de rejet du plan par les comités, et pour éviter tout blocage, le tribunal pourra passer outre cette opposition et homologuer le plan.
Les deux comités sont constitués d’une part des établissements de crédit, et d’autre part les principaux fournisseurs de biens ou de services.
Toutefois à la lecture du texte de loi il est aisé de s’apercevoir qu’il ne définit pas précisément les créanciers susceptibles d’être concernés.
1 – Comité des Etablissements de Crédit
En principe, tous les établissements de crédit doivent participer à ce comité.
Le texte renvoi donc à la liste des établissements fixée aux articles L.511-1 et 518-1 et au livre V du Code monétaire et financier.
On précisera que la loi doit être interprétée largement et que les établissements étrangers, se livrant à des opérations de banque par nature, font partie intégrante du comité.
Compte tenu des différences pouvant exister entre les établissements de part le monde, on retiendra le critère de la nature de l’opération concernée et non celui du statut du créancier pour déterminer l’appartenance au comité.
Toute créance résultant d’une opération de crédit sera donc incluse dans la décision qui sera proposée par la majorité des établissements.
2 – Comité des fournisseurs de biens ou de service
Tout vendeur, entrepreneur, prestataire de service (…) détenant une créance sur le débiteur en difficulté constitutive d’une dette d’exploitation peut être considéré comme fournisseur au sens de l’article L.626-30 du Code de commerce.
Pour intégrer le comité, le fournisseur, devra posséder une créance représentant plus de 5% du passif fournisseur global.
Précisons que compte tenu des délais très brefs imposés par les textes, liés à la situation d’urgence, l’administrateur détermine la composition du comité des fournisseurs et les majorités requises sur la base des documents comptables de l’entreprise certifiés par le Commissaire aux comptes ou vérifiés par l’expert comptable (indépendamment de toute vérification des créances).
La créance du fournisseur devra être mise en parallèle avec le montant du passif établi par l’expert.
On indiquera au surplus que ce seuil pourrait parfois représenter un obstacle car il n’est pas rare en pratique qu’aucun fournisseur ne représente 5% du passif.
Dès lors, il appartiendra à l’administrateur (comme il est toujours susceptible de le faire) d’inviter certains créanciers à participer au comité, ceux-ci devant impérativement accepter par écrit leur mission en retour (le silence valant refus), à la différence de la situation dans le comité des établissements.
L’importance des documents comptables et du rôle de l’expert est donc renforcée.
Cas particulier :
Selon la doctrine, dans le cas d’une cession de créance d’un fournisseur à un factor ou à une banque, la créance ne change pas de nature. On devrait donc prendre en compte le fait générateur et non le titulaire de la créance.
En effet, une créance transférée n’est pas novée, le risque d’impayé demeure sur la tête du fournisseur.
Dès lors, le fournisseur pourrait faire partie du comité des créanciers, indépendamment de la cession intervenue.
3 – Créanciers exclus
Les autres créanciers sont donc a priori exclus de la négociation du plan, et seront consultés en principe de manière ordinaire :
• les créanciers publics : l’article L.626-30 du Code de commerce prévoit que les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent être membres du comité des principaux fournisseurs,
- les salariés,
- les obligataires,
- les créanciers acheteurs de biens et services (la loi ne prévoit que les fournisseurs),
- les associés (solution classique en droit commercial)
Pour les obligataires, on précisera que s’ils donnent leur avis (simple et non liant) sur le plan, certains sollicitent déjà la création d’un "comité d’obligataires" compte tenu du poids des engagements, en plus de la réunion de l’assemblée générale des obligataires prévue par les textes.
4°/ Action
En cas de désaccord sur la composition des comités ou le plan adopté, l’article 67 du décret permet de contester les actes de l’administrateur et donc les décisions relatives au comité des créanciers, la réclamation sera portée devant le juge commissaire qui statuera par voie d’ordonnance, susceptible de recours devant le tribunal, et de facto devant la Cour de cassation.
Toutefois, et si l’on se replace dans le contexte du sauvetage rapide de la société, le but avoué de la création de ces comités est de permettre, grâce à la réunion des principaux interlocuteurs de l’entreprise ayant intérêt à sa sauvegarde, l’adoption d’un plan équilibré et faisant sortir rapidement la société de la crise qu’elle traverse ; état de fait qui justifiera en pratique de nécessaires compromis.