La clause attributive de juridiction insérée dans un contrat (soumis aux dispositions du règlement Bruxelles I bis) confère une compétence exclusive au profit de la juridiction désignée, malgré la pluralité de défendeurs à l’instance

Cass civ 1, 14 mars 2018, n°16-28.302

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mars 2018 est l’occasion pour la Cour d’exprimer l’importance qu’elle attache à la loi des parties, c’est-à-dire celle du contrat.

Dans le cadre d’un litige entre sociétés situées dans l’Union européenne, soumis au règlement Bruxelles I bis n°1215/2012 du 12 décembre 2012, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de l’applicabilité d’une clause attributive de juridiction à un litige en présence d’une pluralité de défendeurs à l’instance et leur possibilité d’invoquer une compétence spéciale prévue audit Règlement.

En l’espèce, un vendeur allemand et un acheteur français avaient signé un contrat pour l’achat de biens financés par une banque française, comportant une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux allemands. Suite à un accident lors de l’utilisation de l’un des produits achetés, l’acheteur français a assigné le vendeur allemand, ainsi que la banque devant les juridictions françaises, sur le fondement de l’article 8 du Règlement.

En effet, l’article 8 §1 dispose :

« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite: s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. »

Le vendeur allemand a alors soulevé une exception d’incompétence au profit des juridictions allemandes en vertu de la clause attributive de juridiction contenue dans le contrat d’achat de matériel.

 

La cour d’appel s’était déclarée compétente aux motifs que d’une part, les contrats d’achat de matériel et de financement étaient liés par une relation d’interdépendance et que, d’autre part, la pluralité de défendeurs étant établie par cette relation, la juridiction française, celle du siège de la banque, était compétente pour connaître du litige.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel, et affirme, sur le fondement de l’article 25 du Règlement (relatif aux clauses attributives de juridiction), que la clause attributive de juridiction avait créé une compétence exclusive au profit de la juridiction désignée et primait sur la compétence spéciale de l’article 8 §1 du Règlement, concernant la pluralité de défendeurs et l’existence d’un lien de connexité avec une autre instance invoquée par l’acheteur français.

Cette solution n’est pas surprenante au regard de la jurisprudence, de la lettre du Règlement et du contexte factuel.

La primauté de la clause attributive de juridiction…

L’article 25 du Règlement prévoit en effet que :

« si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. »

La seule dérogation prévue par ce texte est celle de la validité de la clause attributive de juridiction quant au fond, selon le droit de l’État Membre désigné. En l’espèce, la clause a été considérée valable et « conforme aux dispositions de l’article 25 du Règlement » selon les termes de l’arrêt. En tout état de cause, cette question ne se posait pas à ce stade de la procédure.

Le litige trouvant son origine et portant à titre principal sur le contrat dans lequel était insérée la clause, la position de la Cour de cassation ne pouvait être différente et s’inscrivait dans le cadre de la jurisprudence antérieure accordant une importance particulière à la volonté des parties et à la prévisibilité des contrats.

…l’opposabilité de la clause aux tiers au contrat rattachés au litige par un lien d’interdépendance

Plus intéressante, est la position de la Cour de cassation sur l’articulation des dispositions du Règlement concernant la clause attributive de juridiction (article 25 du Règlement) et la compétence dérivée des juridictions (article 8 §1 du Règlement). En effet, la Cour de cassation affirme « qu’une clause attributive de juridiction valable [au regard de l’article 25 du Règlement] prime sur la compétence spéciale prévue [à l’article 8 §1 du Règlement] ».

Ainsi, la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat principal est opposable à la partie rattachée à ce litige par un lien d’interdépendance, en l’espèce, la banque française. Cette position n’étonne pas non plus, puisque le contrat de financement avait pour cause unique le financement du contrat d’achat de matériel, c’est-à-dire qu’il était conclu uniquement pour assurer l’exécution du contrat d’achat incluant l’obligation principale de l’acheteur français. La partie au contrat de financement devait alors se voir opposer la clause attributive de juridiction insérée dans le contrat d’achat de matériel.

La Cour de cassation a affirmé une nouvelle fois l’importance attachée à la loi des parties et à l’impossibilité d’y déroger, sauf exception prévue par la loi. Par cette décision, elle semble affirmer que l’article 8 §1 s’applique à défaut de clause attributive de juridiction valable insérée dans le contrat incluant l’obligation principale dans le cadre d’un lien d’interdépendance entre deux contrats. Au contraire, la Cour d’appel semblait interpréter l’article 8 §1 comme une dérogation à l’article 25 du Règlement ou à tout le moins, comme une clause concurrente. La Cour de cassation a rectifié le tir et clarifié sa position.