Le préjudice d’anxiété se définit comme une « situation d’inquiétude permanente » face au risque de déclarer à tout moment une maladie liée à l’amiante. Il a été consacré par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 mai 2010 (n° 09-42.241 à 09-42.257), qui a permis aux victimes de l’amiante d’être indemnisées au titre de ce préjudice dès lors qu’elles étaient employées au sein d’un établissement classé comme site « allocation de cessation anticipée d’activité amiante » (ACAATA).
La loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a unifié les délais de prescription devant les Conseils des Prud’hommes, passant ainsi de 30 à 5 ans. S’est posé dès lors la question du point de départ de ce délai de prescription.
Aux termes de l’article 2224 du Code civil, le délai commence à courir à la date à laquelle le salarié « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir ». Ainsi, les portes des tribunaux se sont closes le 17 juin 2013, pour tous les salariés de l’amiante qui ont quitté leur entreprise depuis plus de 5 ans, raison pour laquelle les Conseils des Prud’hommes ont été submergés de saisines au mois de juin 2013.
Cependant, ce délai de prescription semble, pour beaucoup, inapproprié en matière de préjudice d’anxiété tant les personnes touchées sont nombreuses, les dégradations sur la santé importantes et l’exposition et la reconnaissance de ce préjudice au grand public récent. Un certain nombre de députés (Mme Marie Récalde (1), députée de Gironde, Mme Joëlle Huillier (2), députée d’Isère) et de sénateurs (Mme Michelle Demessine (3) , sénatrice du Nord) ont posé, devant l’Assemblée nationale et le Sénat la question d’une éventuelle dérogation à ce délai de prescription quinquennale afin que les salariés exposés aux produits toxiques puissent continuer à faire reconnaitre leur préjudice devant les juridictions compétentes.
Le ministre de la Justice répond aux parlementaires en rappelant que les règles de prescription diffèrent selon que le préjudice résulte d’une atteinte corporelle ou non. Ainsi, lorsque le préjudice d’anxiété est la conséquence d’une pathologie déclarée, la prescription de l’action en réparation est de 10 ans (article 2226 du Code civil, disposant que « l’action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entrainé un dommage corporel […] se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé »). En revanche, lorsque le préjudice d’anxiété ne résulte pas d’une atteinte à l’intégrité physique, l’action en réparation est soumise à la prescription quinquennale.
La Garde des Sceaux a toutefois précisé que « le juge a un large pouvoir d’appréciation pour mettre en œuvre ce principe [de la prescription quinquennale], tant s’agissant des faits nécessaires à l’exercice du droit que s’agissant de leur connaissance par son titulaire. Il doit apprécier, au cas par cas, en fonction des éléments produits aux débats et de la situation individuelle de chacune des victimes, la date à retenir pour faire courir ce délai de prescription ».
La question du point de départ du délai de prescription est donc un sujet brulant qui se comprend par le fait que les premiers symptômes de la maladie peuvent survenir près de 20 ans après l’exposition à l’amiante. Le laps de temps imposé aux victimes pour constituer leur dossier semble trop court et de nombreuses demandes seront rejetées au moyen de fins de non-recevoir, la prescription extinctive étant acquise au 17 juin dernier. Le dernier espoir des victimes reste les juges du fond ayant le pouvoir d’apprécier in concreto le point de départ du délai de prescription.
[1] Question écrite n°19576 publiée au JO Assemblée Nationale du 26 février 2013 [2] Question écrite n°10041 publiée au JO Assemblée Nationale du 13 novembre 2012 [3] Question orale n°0156S publiée au JO Sénat du 11 octobre 2012