Si dès les premiers mots de « La Zone », Serguei Dovlatov évoque sa proximité avec le Soljenitsyne des camps, c’est pour aussitôt ajouter, avec une insolence provocatrice, qu’il était, lui, de l’autre côté des barbelés. C’est en effet comme gardien dans un camp de droits communs que notre auteur a effectué son service militaire dans l’Armée Rouge. Était-il pour autant beaucoup plus libre que ceux qu’il surveillait ?
Le système totalitaire auquel ils appartenaient tous permet d’en douter et c’est bien ce que décrit ce livre où il semble que seule la vodka donne le courage de survivre à tous les personnages qui constituent ici une hallucinante galerie de portraits.
L’œuvre est originale du fait qu’elle fait alterner des lettres à un éditeur et des souvenirs laborieusement reconstitués à partir de bribes qu’on fait parvenir à l’auteur aux États-Unis où il a fini par émigrer, restes d’un ouvrage interdit par les « fonctionnaires littéraires » des autorités soviétiques. Car écrire est la seule raison de vivre – avec l’alcool – de Dovlatov : « Les mots, c’est mon métier »
Pour nourrir sa femme et sa fille, il collabore à des journaux. Il devient aussi guide au musée Pouchkine. Il relate de façon drolatique et avec un talent satirique féroce ce moment de son existence dans « Le domaine Pouchkine ». Il y raconte aussi la visite de son épouse venue lui annoncer qu’elle a décidé d’émigrer avec leur enfant. Lui résiste encore. Ce qui le retient c’est « sa langue, son peuple, son pays de cinglés ».
La vie des émigrés sera le sujet de « L’étrangère ». C’est dans la 1O8 ème Rue à New-York que se regroupe toute une faune hétéroclite que notre auteur dépeint avec un sens marqué pour le burlesque.
On retrouvera dans « La Valise » toute la thématique qui traverse les trois ouvrages précédents : l’impossibilité de se soumettre à toute forme de normalisation : « Le sentiment de la normalité provoque chez moi une sensation de malaise », la difficulté à se faire éditer, à vivre une vie rangée, malgré les amitiés et c’est en fin de compte un homme de 49 ans, bâti pourtant comme un colosse, qui meurt en exil en 1990.
Nous restent ses œuvres, assez brèves, toutes marquées par le désenchantement mais aussi l’impertinence et le don de la formule.
Emdé