1. Depuis la première édition du livre quelles sont les évolutions majeures dans la pratique des garanties de passif ?

Je rappellerai tout d’abord que notre première édition date de 1995 et consacre un travail entrepris fin 1993 et tout au long de l’année 1994 avec Philippe Torre. En douze ans, le droit et le monde des affaires ont beaucoup évolué, le plus remarquable étant le capital investissement avec l’arrivée massive des fonds anglo-saxons de LBO et des fonds de retournement.

La fiscalité a changé également et la jurisprudence continue de s’épaissir au fil du temps. Les auteurs ont pris en compte l’essor des modes alternatifs de règlement des litiges et ont souhaité insister sur l’importance de la négociation.

2. Peux t-on se prémunir contre tous les risques issus d’une acquisition avec une garantie ?

La réponse est évidemment non quoique l’on doive nuancer le propos. Il y a deux risques majeurs contre lesquels il est difficile de se prémunir, d’une part la fraude ou la mauvaise foi des cédants garants et d’autre part le risque catastrophique, imprévisible et par définition aléatoire.

La première catégorie ne mérite pas de développement particulier, quant à la deuxième, il s’agit des réclamations liées à des problèmes d’environnement, de sécurité mais aussi les réclamations de tiers qui ne pouvaient être anticipés au moment de la cession. Bien entendu, un plafond élevé, voire un déplafonnement, l’assurance et la garantie de la garantie la plus élevée possible constituent des moyens pour se prémunir contre ce type de risques, tout au moins pour en atténuer l’impact.

Il existe à mon avis un troisième risque majeur encore plus difficile à appréhender qui relève de l’actif humain de l’entreprise. L’effectif et l’encadrement d’une entreprise performante, qui sous la direction des cédants, étaient dynamiques et ne ménageaient pas leurs efforts, à force de maladresse, d’incompréhension culturelle et de brimade d’une nouvelle direction va se démotiver et les meilleurs cadres s’en iront les premiers, les clients leurs emboîteront le pas..

3. La convention de garantie dispense-t-elle de faire des audits d’acquisition ?

La réponse est évidemment négative dans la mesure où la convention de garantie est avant tout un contrat rigide, sorte de photographie instantanée d’un état des lieux qui ne permet que difficilement d’appréhender l’humain, le quotidien de l’entreprise, l’innovation et tout ce qui constitue sa richesse. La convention de garantie doit être la transcription de ce qui a été constaté au cours des audits et des séances Q&A avec le management. Je suis conscient de la tendance actuelle qui consiste à centrer les audits sur de simples visites de data room, sorte de bric à brac de brocanteur, dans lesquelles on trouve de plus en plus souvent le projet de convention de garantie, sorte de contrat d’adhésion. C’est une mode, mais pas nécessairement une tendance durable. Outre son inefficacité et la frustration que cette méthode formelle peut procurer, l’acquéreur cherchera par tous moyens à s’affranchir de ce carcan ou de cette camisole.

Le résultat est souvent une perte de temps, les négociateurs revenant après plusieurs tours de piste au schéma classique de la négociation en direct et rédaction d’une convention de garantie ad hoc. Bien entendu, il faut nuancer cette analyse si la cible est une société cotée, puisque les audits et la convention de garantie seront par définition limités en raison de la réglementation boursière. Il en est de même dans les LBO secondaires ou tertiaires, les fonds rachetant à d’autres fonds une entreprise déjà connue. L’absence dans ce dernier cas de toute garantie, voire de simples déclarations, s’explique par une solidarité corporatiste.
Tout dépend également de l’activité de la cible, de son historique et de son encadrement. Une entreprise qui rachète son concurrent, dont elle connaît presque tout (produit, prix de marché, marge, contraintes réglementaires et principaux collaborateurs) a besoin de moins de garanties qu’un fonds d’investissement qui fait son premier investissement dans un secteur industriel donné.

L’entreprise n’est jamais immunisée de tout risque, quelle que soit son activité, un certain niveau de due diligence s’impose au moment de la transmission, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire. Les investigations se concrétisent par des déclarations, permettant à l’acquéreur ou au repreneur de s’assurer qu’on ne lui a rien caché et que ce qu’il a vu pendant les audits ou en data room soit avéré.

Vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable aux schémas rigides, au contrat type, mais partisan du cas par cas. Une entreprise quelle que soit son activité est une réalité complexe et vivante qu’il faut appréhender avec un esprit curieux et sans préjugé. Il faut aussi tenir compte du prix payé et des capacités financières du ou des garants, il ne sert en effet à rien de demander au fondateur cédant qui perçoit un prix modeste de vous fournir une garantie avec un plafond élevé alors qu’il est notoire qu’après avoir payé la plus-value, doté ses enfants et remboursé ses dettes, il ne restera plus grand chose pour son mas tant convoité dans le Luberon ou la maison de pêcheur de l’Ile de Ré.

4. Quels sont les modes de règlement des différends les plus appropriés pour un litige relatif à une garantie de passif ?

La réponse à cette question est différente selon la nature de la réclamation. En effet, si la réclamation se traduit par une simple demande d’indemnisation d’un passif dont le fait générateur est antérieur à la cession et qui est incontestable, la médiation ou la conciliation ne modifiera pas le mauvais vouloir du garant qui refuse d’indemniser.

En revanche, si la réclamation, bien qu’ayant un impact financier, nécessite une analyse technique, fiscale ou bilancielle en ce compris des questions d’interprétation de clauses, de déclarations ou d’annexes à la convention de garantie, le recours à une médiation ou conciliation peut s’avérer bénéfique, voire même générer des économies pour les deux parties, en comparaison avec une longue procédure judiciaire.

Plus généralement, les ADR (ou MARC en français) s’avèrent inefficaces en présence d’une partie de mauvaise foi, mauvais payeur ou si les représentants des parties n’ont aucun pouvoir de négociation.

Vous l’aurez compris, je suis un fervent partisan de la négociation, respectueuse des intérêts des deux parties mais aussi des modes alternatifs non obligatoires qui permettent de résoudre de vrais ou de faux problèmes de manière rapide, peu coûteuse, efficace et confidentielle.

Plus particulièrement, dans le cadre d’un LBO où le cédant – garant est également bénéficiaire en tant que nouvel investisseur du holding de reprise, le règlement d’une réclamation dans le cadre d’une médiation permettra la poursuite du partenariat.

5. Comment envisager l’évolution des garanties de passif dans les dix prochaines années ?

Il est difficile d’anticiper l’évolution des garanties à un horizon de dix ans, tellement cette échéance est lointaine au regard de l’évolution du monde des affaires. Un horizon de trois ans paraît déjà lointain. Je pense que la domination actuelle du marché de la transmission d’entreprises par les fonds de private equity n’est pas pérenne. Les critiques s’élèvent de toute part sur cette domination, sur la multiplication de fonds de plus en plus importants financièrement, souvent d’origine anglo-saxonne. Je prévois une modification du paysage à court terme avec une réglementation plus stricte des fonds d’investissement, à défaut de quoi le monde sera demain contrôlé par des fonds puissants, anonymes dirigés par des technocrates du corporate finance, réputés fossoyeurs des multinationales comme des pépites de la nouvelle technologique. Lors de la récente campagne présidentielle, le danger de la montée en puissance des fonds a été souligné. Ici comme en matière de corporate governance, la mode se fait aux États Unis.

Je ne pense pas comme d’aucuns que le glas des conventions de garantie ait sonné, mais que l’évolution se poursuivra et que la convention de garantie de passif cousue main des années 80 évoluera encore. Les opérations sont de plus en plus complexes et les garanties devront coller à la réalité de l’entreprise cible et non pas au modèle type des avocats d’affaires, dont l’imagination sera davantage mise à contribution.