“What makes London so special? (in arbitration)?”. Propos remarquables tenus par Lucy Scott-Moncrieff, Président de la Law Society of England & Wales, le 15 novembre 2012 à l’Intercontinental Hotel de Seoul lors d’une conférence sur l’arbitrage international.
On entend parfois que Paris serait la première place d’arbitrage dans le monde, comme la première destination touristique. Elle l’a peut-être été, mais il n’est pas certain qu’elle le soit encore. Nuançons. Les statistiques sont-elles fiables ? Il est possible que Londres soit aujourd’hui plus souvent choisie que Paris comme lieu de toute sorte d’arbitrage confondu (institutionnel, ad hoc ou simplement régi par un règlement d’arbitrage). Il n’existe pas de statistique fiable.
Incontestablement, Paris demeure la première place pour les arbitrages CCI. En 2012 Paris a été retenue 100 fois comme siège de tribunaux arbitraux CCI devant Londres (71), Genève (62), Zurich (48), Singapour (36) et New York (22). Ce choix n’est probablement pas indifférent au fait que le siège mondial de la CCI est et restera à Paris, mais également au coût de la vie. La vie est chère à Londres et les avocats (solicitors, barristers, professional arbitrators, experts, ….) pratiquent des taux horaires confortables, plus élevés, dit-on, qu’à Paris !
Comme nous le disions dans un précédent article, la CCI vient d’emménager dans de nouveaux locaux situés au 33-43 avenue du Président Wilson, aile du bâtiment construit par Auguste Perret, le roi du béton armé en 1937. Ce bâtiment étonnant est occupé depuis les années 50 par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE). À l’origine en 1937, il était destiné à accueillir le Musée des travaux publics. L’implantation récente de la CCI avenue du Président Wilson est encore discrète, aucune plaque ne mentionne sa présence. Gageons que cette lacune sera prochainement corrigée.
Revenons à Paris, « place mondiale d’arbitrage ». Même si Paris l’emporte comme localisation dominante de tribunaux arbitraux CCI, le droit anglais domine (17% du droit choisi contre 7% pour le droit français). Les professionnels anglais constituent près de 14% des membres composant les tribunaux arbitraux CCI contre près de 9% de français. Viennent en seconde place les arbitres de nationalité suisse. En 2012, sur 341 sentences arbitrales finales rendues, à rapprocher des 119 sentences partielles et des 31 sentences par consentement mutuel (sentences d’accord parties), l’anglais dominait largement avec 76% des sentences rédigées dans cette langue, le français ne représentant que 8,4% devant l’espagnol (6,3%), l’allemand (3,3%), le portugais (2,4%), l’italien (0,8%) et le mandarin (0,6%) [1].
Nombre de procédures d’arbitrage sont ad hoc, d’autres se déroulent sous l’égide d’un règlement d’arbitrage, d’autres encore sous la gestion d’un Centre d’arbitrage (LCIA, Swiss Chamber’s Arbitration Institution, DIS, CEPANI, AAA, etc. …). On ne connait donc pas avec certitude le nombre d’arbitrages dont le siège est à Paris ou dont les audiences se tiennent à Paris. Quoiqu’il en soit, la concurrence est rude entre les places européennes (Paris, Londres, Genève, Zurich, Stockholm, Vienne, Bruxelles) et américaines, principalement New York, mais aussi les places d’Asie (Hong-Kong, Singapour, etc…) plus fréquemment choisies depuis une dizaine d’années. Les pays de langue anglaise ont un avantage indéniable sur la France, la très grande majorité des arbitrages se déroulant en langue anglaise avec la sentence rédigée en anglais. A Paris résident de nombreux arbitres internationaux dont l’anglais est, sinon la langue maternelle, au moins une langue parfaitement maitrisée. Il en est de même des avocats et des experts spécialisés (forensic). Plusieurs d’entre eux ont rejoint Londres depuis le changement de régime du printemps 2012 et la cacophonie fiscale qui en résulte.
Comment résister et faire en sorte que Paris ne perde pas son rang et sa place privilégiée ? Écoutons ce que disait Madame Scott-Moncrieff en 2012. Elle a énuméré plusieurs raisons qui font que Londres serait de plus en plus souvent choisi, tant comme place d’arbitrage internationale que comme place judiciaire :
- le droit et le système juridique anglais, dont la Common Law est la fondation, offrent une grande prévisibilité ;
- le nombre, la variété et la qualité des spécialistes de toute obédience présents à Londres (elle vise aussi bien les solicitors, barristers, les juges que les arbitres et l’ensemble des prestataires « forensic » intervenant dans les procédures judiciaires et d’arbitrage) offrent un grand confort ;
- une longue expérience dans le traitement de différends internationaux complexes.
Elle aurait pu ajouter la domination incontestable de la langue anglaise et le dynamisme mercantile du ministre de la justice, du maire de Londres et du Président de la Law Society. La conjugaison de leur action a abouti à la construction et la mise en service d’un immeuble inauguré à la fin de l’année 2011, The Rolls Building dédié aux procès internationaux. Nous en reparlerons.
De nombreux arbitrages se déroulent exclusivement en anglais à Paris, mais certainement pas de procédures devant le Tribunal de commerce, le Tribunal de grande instance ou la Cour d’appel de Paris. La compétition sera acharnée et dominée par des considérations économiques au cours de la prochaine décennie entre les différentes places majeures d’arbitrage que sont incontestablement Paris, Londres, New York et plus récemment Hong Kong et Singapour. D’autres places, comme pour les jeux olympiques ou les championnats du monde de foot sont sur les rangs, telles que Genève et Vienne. Francfort et Zurich n’ont pas dit leur dernier mot.
[1] Source : Bulletin CCI 2013 vol. 24, n°1