Enfin les vacances ! Dans mon joli bikini vintage, une pina colada à la main, je bronze. J’ai faim. J’enfile mon pantalon cargo et je vais m’acheter une piadina sur le petit stand d’à côté. J’en profite pour me connecter au hot spot du stand pour envoyer des nouvelles à la famille. Zut, la connexion est vraiment très lente… Pas grave, j’envoie un texto.

Avez-vous reconnu dans le petit texte ci-dessus les marques devenues génériques ? Il y en a 6 :

Vintage, Pina Colada, Cargo, Piadina, Hot Spot et Texto.

Il y a aussi un intrus : le bikini ! Ce maillot de bain deux pièces fut créé en 1946 par un français, Louis Réard qui déposa pour le protéger un brevet (il avait une formation d’ingénieur). Il le nomma bikini en référence à l’atoll du même nom aux îles Marshall rendu célèbre par les essais nucléaires américains. Il avait le sens de la réclame, comme on disait à l’époque et espérait que ce nouveau design fasse l’effet d’une « bombe anatomique »… Ce maillot de bain qui laissait le nombril découvert fit bien scandale, à tel point qu’il fut interdit un temps sur les plages de France, Belgique, Italie et Espagne. Aux Etats-Unis, on lui dédia une chanson, «Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini », « itsy bitsy » et « teenie weenie » étant deux expressions enfantines qu’on peut traduire par « rikiki ». La chanson fut ensuite immortalisée en France par Dalida avec son « itsi bitsi, petit bikini ».

Mais revenons à nos moutons juridiques…

La dégénérescence d’une marque, c’est quoi ?

Quand une entreprise dépose une marque, elle le fait essentiellement pour obtenir un monopole d’exploitation sur cette marque. Il y a évidemment des conditions pour obtenir une telle exclusivité. La principale est que la marque doit être distinctive pour les produits et services considérés (par exemple, un fabricant de meubles ne peut acquérir un monopole sur le mot fauteuil en déposant le mot « fauteuil » comme marque). La marque doit être susceptible de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux de ses concurrents. Du point de vue du consommateur, la marque lui permet d’avoir une garantie sur l’origine du produit.

« Avec le temps, va tout s’en va… »

Une marque peut très bien être distinctive au moment de son dépôt mais perdre sa distinctivité par la suite. Dans ce cas, le déposant va perdre son monopole et ses concurrents seront libres d’utiliser le signe. C’est ce qu’on appelle la dégénérescence d’une marque. Plus précisément, voici ce que prévoient les textes :

  • Pour les marques françaises : « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service » (art L 714-6 du Code de la propriété Intellectuelle) ;
  • Pour les marques de l’Union Européenne: « Le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon : (…) b) si la marque est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée » (art. 58 du Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne. 

Alors, pas de vacances pour les titulaires de marques en risque de devenir génériques ?

En effet, si le titulaire a lui-même employé sa marque comme un terme générique ou bien s’il a laissé les tiers en faire un tel usage, alors la déchéance risque d’être prononcée.

C’est ainsi que les tribunaux français ont pu prononcer la déchéance des 6 marques mentionnées en introduction de cet article. 

Par exemple, la marque « Pina Colada » a été perdue en raison de la passivité de son titulaire face à l’usage généralisé de sa marque dans les livres de recettes, les cartes de bars et même un morceau de musique… (Cour d’appel de Paris, Chambre 4 section B, 19 octobre 2001).

Le cas « Cargo », utilisé par les professionnels du textile comme un nom commun pour désigner un pantalon ample avec de grandes poches à soufflet, est aussi intéressant. Les juges ont considéré que même si le titulaire (La Halle) avait envoyé des mises en demeure à l’un de ses concurrents (Kiabi), cela n’était pas suffisant car il n’avait rien envoyé aux professionnels du textile qui utilisent ce mot sur leurs sites internet ou dans différentes publications (TGI de Paris, 10 juillet 2009).

Également dans le secteur du textile, la marque « Vintage » avait été déposée en 1991 alors que le terme désignait à l’origine des portos de 20 ans d’âge. A priori ce terme était donc, à l’origine, distinctif pour des vêtements. Toutefois, en 2005 la Cour d’appel de Paris a considéré que le terme était devenu courant dans le domaine de l’habillement en s’appuyant sur la définition du dictionnaire de la mode qui l’associe à l’engouement, à partir des années 80, pour les vêtements anciens, mais également sur différents ouvrages datant du début des années 90 et des articles des années 2000. La Cour relevait aussi que le titulaire n’avait intenté qu’une seule action pour protéger sa marque en 2002 et ne justifiait pas des suites qui auraient été données à ses mises en demeures (CA Paris, 20 avril 2005).

On déduira de ces décisions que le titulaire d’une marque qui connaît un grand succès et risque de devenir usuelle a tout intérêt à veiller au grain et à protester par écrit (en conservant les preuves) contre toute utilisation de sa marque.

Bonnes vacances à tous !