La loi Sapin II du 9 décembre 2016 a créé la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), un mécanisme similaire au deferred prosecution agreement américain[1].

Ce mécanisme permet aux personnes morales, en contrepartie du paiement d’une amende d’intérêt public et de la mise en place d’un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence Française Anti-corruption (AFA)[2], d’éviter les aléas des poursuites pénales en concluant un accord avec le parquet sans reconnaissance de culpabilité.

État des lieux

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, 10 CJIP ont été conclues en trois ans, allant de la PME à la grande entreprise, française ou non, intervenant dans les secteurs de la finance, de l’industrie, du multimédia ou encore de l’aéronautique. 6 ont été conclues pour des faits de corruption et 4 pour des faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale aussi bien à l’initiative du parquet qu’au cours de l’instruction.

L’aspect transnational

7 de ces affaires avaient une dimension transnationale, notamment en collaboration avec le Department of Justice américain et avec le Serious Fraud Office britannique, tant au niveau de l’enquête que de la fixation du montant des sanctions.

L’amende d’intérêt public

Le montant de l’amende d’intérêt public encourue lors de la conclusion d’une CJIP est plafonné à 30% du chiffre d’affaires moyen réalisé au cours des trois dernières années.

Ce montant doit également être fixé « de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés ». Une circulaire de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces du 31 janvier 2018 préconise d’appliquer au montant des avantages tirés des manquements constatés un coefficient multiplicateur au moins égal à 2 (soit le double du bénéfice indu), « de manière à ce qu’après exécution de la convention, la commission de la fraude ait, au final, coûté à l’entreprise plus cher que ce qu’elle lui a rapporté ».

Bien que le coefficient appliqué ne soit pas toujours rendu public, sur les 10 CJIP 1 a fixé le montant de l’amende au montant maximum encouru soit 30% du CA moyen sur 3 ans, 2 ont appliqué une amende de plus du double du bénéfice indu, 2 autres étaient pratiquement au double du bénéfice indus et 1, conclue en 2018, a prévu un montant d’amende inférieur au montant des bénéfices indus.

Sont pris en comptes des facteurs majorants tels que la gravité des faits, leur durée et les éventuels antécédents de la personne morale, la corruption d’un agent public étranger, le caractère systémique des faits de corruption ou encore l’usage des ressources de la personne morale pour les dissimuler, l’importance des montants issus des manquements, la qualité d’opérateur public du cocontractant victime de corruption ou pour les banques, le rôle déterminant qu’elles devraient normalement jouer dans la lutte contre la corruption et le blanchiment.

Le montant d’amende le plus élevé, appliqué dans une affaire de corruption en 2020 à une société aéronautique, était de 2.083.137.455 € avec un coefficient proche de 2 appliqué aux bénéfices indus qui s’élevaient à 1.029.760.342 €, mais très en dessous du plafond de 30% du CA moyen sur 3 ans. Dans la même affaire des amendes ont par ailleurs été infligées dans d’autres pays.

L’obligation de mise en œuvre d’un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’AFA

Dans le cadre de la lutte contre la corruption, la CJIP peut prévoir l’obligation pour l’entreprise de mettre en place un programme de mise en conformité pour prévenir la survenance de tels manquements à l’avenir. Ce programme s’effectue sous le contrôle de l’AFA, aux frais de la personne morale concernée dans la limite d’un plafond fixé dans la convention. L’AFA rend compte au Procureur de la République, au moins annuellement, de la mise en œuvre de la peine. Elle lui communique, en outre, un rapport à l’expiration du délai d’exécution de la mesure.

Le programme doit comprendre : une cartographie des risques, un code de conduite, un dispositif d’alerte interne, des procédures d’évaluation des clients, des fournisseurs de premier rang et des intermédiaires, des procédures de contrôle comptable internes ou externes, un dispositif de formation des cadres et personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence, ainsi qu’un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés en cas de violation du code de conduite.

En moyenne, dans les CJIP l’ayant prévu, la durée de l’obligation de contrôle du programme par l’AFA est de 2 ans comme préconisé dans ses guidelines de 2019, avec une seule CJIP ayant prévu la durée maximum de 3 ans.

L’indemnisation des victimes

Sur les 10 CJIP conclues, 8 prévoient ou prennent en compte l’indemnisation de la victime qui se trouve être la Direction Générale des Finances Publiques ou l’Etat français, dans les affaires de blanchiment de fraude fiscale.

En matière de corruption, le cocontractant victime de la corruption a été indemnisé dans plusieurs CJIP. En revanche il a été estimé qu’il n’y avait pas lieu à indemnisation au titre de la CJIP lorsque la demande en réparation de la victime avait déjà été déposée devant les juridictions britanniques.

La poursuite des dirigeants personnes physiques

La CJIP ne s’applique qu’aux personnes morales mises en cause. Les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques.

En pratique, les dirigeants de plusieurs sociétés ayant conclu une CJIP dans des affaires de corruption ont été condamnés par la justice à des peines allant de la prison ferme à des amendes élevées et des interdictions de gestion. En matière de blanchiment de fraude fiscale, un autre dirigeant a été condamné en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il faut également noter que dans certaines affaires transnationales, d’anciens dirigeants ou salariés ont également été poursuivis par les autorités étrangères.

 

Cet article a été écrit par Laurène Salmon et Stéphanie Faber

 

[1] Voir sur ce sujet nos articles : « Loi Sapin II – lutte contre la corruption : la Convention Judiciaire d’Intérêt Public »« Corruption et signalement : décrets d’application de la loi Sapin II »

[2] Voir notre article « Loi Sapin II – lutte contre la corruption : création d’une Agence française anticorruption »