Parution du décret permettant aux communes d’instaurer un droit de préemption sur les fonds de commerce et les baux commerciaux.

La loi Dutreil en faveur des petites et moyennes entreprises (Loi du n° 2005-882 du 2 août 2005, article 58) avait institué, en 2005, les articles L. 214-1 et suivants du code de l’urbanisme permettant aux communes, sur délibération motivée, d’instaurer sur leur territoire un « périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité », leur permettant de préempter, dans le périmètre ainsi délimité, tout fonds artisanal, fonds de commerce et bail commercial. Toutefois, la mise en place de ce dispositif semblait d’une légalité incertaine en l’absence de décret d’application, ce qui n’a pas empêché un certain nombre de communes de prendre des délibérations en ce sens (Voir l’article rappelant cette incertitude et très complet par ailleurs d’Arnaud Reygrobellet et Elisabeth Flaicher-Maneval, BRDA 2/08, page 28). Le décret n°2007-1827 du 26 décembre 2007, publié au JO le 28 décembre 2007, a introduit les articles R. 214-1 et suivants du code de l’urbanisme permettant aux communes de mettre en œuvre ces mesures.
Le but de cette réforme est de permettre aux communes de préserver la diversité de l’activité commerciale et artisanale dans la zone qu’elles délimitent, notamment en protégeant leur centre-ville ou certains quartiers des assauts des banques et boutiques de vêtements notamment, mettant en péril les commerces alimentaires et de première nécessité. (On pourra lire avec intérêt les études de la Chambre du commerce et de l’Industrie de Paris consacrées à la réforme, notamment les propositions relatives aux critères de délimitation des périmètres d’intervention des communes (www.etudes.ccip.fr/archrap/pdf07/droit-de-preemption-bar0706.pdf

Toutefois, cette réforme ne concerne pas seulement certains commerces de proximité : elle touche tous les types de fonds de commerce sans distinction, la boucherie de quartier comme les cessions de fonds ou de clientèle intra-groupe.

Les rédacteurs d’actes devront donc désormais se préoccuper des règles du code de l’urbanisme et s’assurer que le bien cédé (fonds de commerce, droit au bail ou fonds artisanal), quand bien même il n’aurait aucun lien avec le commerce de proximité, n’est pas situé dans une zone de sauvegarde et le cas échéant, devra prévoir de purger le droit de préemption de la commune.

Après avoir rappelé très brièvement les étapes de la mise en place d’un périmètre de sauvegarde du commerce de proximité, nous verrons quelques implications pratiques de ce nouveau dispositif pour le rédacteur de l’acte, étant précisé que nous nous consacrons ici à la cession d’un fonds de commerce (et non du droit au bail ou du fonds artisanal, moins courants dans la pratique du cabinet).

1. Mis en œuvre d’un droit de préemption par une commune
Tout conseil municipal peut instaurer une zone de sauvegarde du commerce de proximité, à condition d’en démontrer la nécessité, sous le contrôle et en collaboration avec la Chambre du commerce et de l’industrie et de la Chambre des métiers compétentes.

Au sein de ce périmètre, chaque cession est subordonnée (à peine de nullité de la vente qui peut s’exercer pendant un délai de cinq ans), à une déclaration d’intention d’aliéner faite par le cédant à la commune au moins trente jours avant la date de cession, dont une copie doit être adressée au bailleur.

Cette déclaration précise le prix et les conditions de la cession. Elle est établie sur un formulaire établi par arrêté ministériel non encore paru à ce jour, étant précisé que les praticiens recommandent en toutes hypothèses de joindre une copie du compromis ou de la promesse de cession signés à cette déclaration, afin de rendre opposable toutes les clauses prévues par les parties à la mairie (notamment, les frais de conseils et/ou d’agence).

Il devient donc difficile de céder directement un fonds dans ce type de zone, sans rédiger un contrat préalable comprenant la condition suspensive de la purge du droit de préemption.

Le silence gardé par la commune au terme d’un délai de deux mois à compter de la déclaration vaut renonciation à l’exercice de son droit de préemption.

La commune ne peut exercer son droit de préemption qu’aux prix et conditions proposés dans la déclaration.

Toutefois, en cas de désaccord sur ce prix, le juge de l’expropriation sera compétent pour le fixer judiciairement. Tant que le prix n’est pas fixé, le cédant peut retirer sa déclaration et la commune peut renoncer à préempter.

Une fois la commune propriétaire du commerce ou titulaire du droit sur le local commercial -on sent la contradiction- celle-ci doit dans l’année qui suit lancer un appel à candidatures par voie d’affichage en mairie pendant une durée de quinze jours afin de rétrocéder le fonds de commerce ou le droit au bail à une personne répondant à son cahier des charges afin d’assurer l’objectif de diversification des commerces.

Le décret précise que si la rétrocession n’est pas intervenue à l’expiration du délai d’un an à compter de la prise d’effet de l’acquisition par le titulaire du droit de préemption, l’acquéreur évincé, dans le cas où son identité a été mentionnée dans la déclaration préalable, bénéficie d’un droit de priorité d’acquisition.

Ce dispositif pose évidemment de nombreuses questions quant à la valeur du fonds pendant la période de gestion par la commune et sur les rapports avec le bailleur, qui a tout de même, dans le cadre de la rétrocession, un droit de regard sur le candidat proposé par la commune à peine de nullité. Si ce candidat ne lui convient pas, le bailleur dispose de la faculté de saisir le juge des référés.

2.Questions pratiques
2.1 Comment s’assurer de l’instauration d’une zone de sauvegarde du commerce de proximité ?
A notre connaissance et à ce stade, il n’existe qu’un moyen de s’assurer de l’absence de périmètre de sauvegarde du commerce de proximité : un courrier officiel de la commune en ce sens. Dans ce cas, bien entendu, la cession du fonds peut intervenir comme auparavant. Notre (très récente) pratique semble montrer que les communes répondent facilement et rapidement à notre demande.
En l’absence de réponse de la commune, il serait envisageable de commander une note de renseignement d’urbanisme (voir ci-dessous).

2.2 Lorsque la commune a instauré une zone de sauvegarde du commerce de proximité, comment s’assurer que le bien est situé ou non dans cette zone ?
Par analogie avec les biens immobiliers situés dans des zones soumises au droit de préemption urbain, bien connus des notaires, nous avons pris des renseignements auprès d’un géomètre expert qui nous a indiqué que l’information relative au « DPA » (droit de préemption artisanal) figurait sur la note de renseignement d’urbanisme relative à l’immeuble dans lequel le fonds est exploité.

Il est toutefois là-aussi possible de demander une réponse écrite de la commune sur la situation du fonds/du bail au regard de la zone de sauvegarde du commerce de proximité instaurée, en espérant là aussi avoir une réponse rapide.

Le géomètre expert interrogé nous a indiqué à ce propos que la pratique des mairies variait et que certaines privilégiaient le courrier alors que d’autres envoyaient une note de renseignement d’urbanisme, ou même les deux.

Dans les trois cas évoqués ci-dessus, il convient d’avoir à l’esprit de conclure la cession dans un délai raisonnable suivant l’information délivrée par la commune.

2.3 Nouvelles précautions
Dans le cadre d’un projet de cession de fonds de commerce, il sera judicieux de se renseigner le plus tôt possible auprès du cédant et de la commune par tous moyens (téléphone, internet) pour savoir si elle a instauré une zone de sauvegarde du commerce de proximité et dans ce cas, d’agir avec précaution, si le bien est situé dans cette zone.

Le cas échéant, il conviendra de prendre en compte les délais impliqués par ce droit de préemption et d’établir un avant-contrat pour accompagner la déclaration d’intention d’aliéner, et en toutes hypothèses, bien entendu, d’introduire une condition suspensive relative à l’absence de préemption du bien cédé par la commune.

Le contrat définitif pourra être signé au plus tard deux mois après le dépôt de la déclaration d’intention d’aliéner, à moins bien entendu que la commune ne décide de préempter.

Enfin, le praticien pourrait introduire dans ses modèles de convention de garantie de nouvelles déclarations sur la situation du fonds de commerce au regard d’une zone de sauvegarde de commerce de proximité.

2.4 Le droit de préemption est-il applicable en cas d’apport en société ?
Bien que cette question ne puisse pas être tranchée de façon certaine et que la loi n’exclut pas expressément l’apport en société d’un fonds ou d’un droit au bail du domaine de la préemption, la rémunération de ces biens en titre de capital semble exclure l’apport de l’ensemble du dispositif. En effet, ce dernier fait constamment référence au prix de la cession, qui doit servir de base à la commune pour préempter.

2.5 Le droit de préemption est-il applicable en cas de fusion ?
En matière de fusion ou autre transmission universelle de patrimoine, qui ne sont là aussi pas exclues formellement par le Code de l’urbanisme, il est possible de raisonner par analogie avec le droit de préemption urbain et dans ce cas, de conclure que le dispositif de préemption ne s’applique pas en cas de transmission universelle du patrimoine, hormis la fraude.
Toutefois, il conviendra d’agir avec prudence et de vérifier l’état de la jurisprudence sur ces points.