Le 18 septembre nous avons assisté à notre première audience QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité).
Les huit membres permanents du Conseil constitutionnel ainsi que Nicolas Sarkozy, membre de droit, siégeaient aux côtés de Jean-Louis Debré, président.
La séance était consacrée ce jour-là à l’examen de trois affaires portant l’une sur le droit alsacien-mosellan en matière d’estimation de la valeur du rendement d’une exploitation agricole en indivision, la deuxième sur le code de l’expropriation et la dernière sur le droit de suite.
Cette dernière QPC posée par la Fondation Hans Hartung et Anna Eva Bergman (la même QPC avait été posée dans un litige semblable par la Fondation Alberto et Annette Giacometti mais n’avait pas été renvoyée), concernant l’article L.123-7 du code de la propriété intellectuelle, était rédigée dans les termes suivants :
« Les dispositions de l’article L. 123-7 du code de la propriété intellectuelle en ce qu’elles excluent du bénéfice du droit de suite les légataires contreviennent-elles au principe d’égalité consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »
L’article L. 123-7 du code de la propriété intellectuelle dispose qu’après le décès de l’artiste, le droit de suite subsiste au profit de ses héritiers, à l’exclusion des légataires et ayants cause, pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années suivantes.
Le droit de suite, défini à l’article L.122-8 du même code, est le droit inaliénable de l’auteur d’une œuvre originale graphique ou plastique de percevoir une participation au produit de toute revente de son œuvre après sa première cession.
Selon la fondation requérante, légataire universel des deux peintres, la différence de traitement entre les légataires et les héritiers de l’artiste ne serait justifiée par aucune différence de situation et contreviendrait à l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil des Sages a considéré, selon nous à raison, dans une décision rendue le 28 septembre, que la réserve de la transmission du droit de suite aux héritiers de l’artiste s’inscrivait dans la logique des dispositions par lesquelles le législateur avait souhaité en 1957 protéger l’auteur et confortait cette protection en l’étendant à la famille de l’artiste. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré l’article contesté comme étant conforme à la loi (Décision n° 2012-276 QPC).
La QPC a été instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et est entrée en vigueur le 1er mars 2010. Il s’agit d’un droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de contester a posteriori la constitutionnalité d’une loi. Le Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, a le pouvoir d’abroger la disposition législative contestée.
Au-delà de la barbe de trois jours de Nicolas Sarkozy lors de son audience de rentrée du 18 septembre, au 2 rue de Montpensier, la procédure QPC a eu de larges échos dans les médias, que ce soit lors du procès Servier ou récemment dans l’ « affaire Corrida ».
Des statistiques sur la QPC au 31 décembre 2011 établissent que depuis le 1er mars 2010, le Conseil constitutionnel a enregistré 1022 dossiers adressés par le Conseil d’État et la Cour de cassation, dont 224 dossiers de renvoi. Parmi les décisions rendues, on dénombre 17 % de non-conformité totale et 22 % de non-conformité partielle.
Il y a une corrélation entre le succès de la procédure QPC et le fait que tout justiciable partie à un procès (certains allant même jusqu’à intenter des procès dans ce seul but) puisse poser une QPC, soit directement devant les juridictions où une partie peut assurer elle-même sa défense, soit par le biais de son avocat.
Au-delà du droit de vote, il s’agit de l’expression la plus directe de la démocratie en France, qui doit être saluée et encouragée !
Préservons-nous toutefois de l’inflation et d’une motivation systématiquement financière des QPC.