Le droit français dispose avec le titre IV du livre IV de son Code de commerce d’un arsenal de dispositions législatives que certaines entreprises étrangères nous envient mais dont la quasi-totalité des entreprises (françaises ou étrangères) opérant en France peinent à comprendre l’utilité.

Certaines en questionnent même la légalité…

Pétri de bonnes intentions, le législateur français a introduit dans le code de commerce en 2008 la notion de « déséquilibre significatif » dans la relation contractuelle. Ainsi, aux termes de l’article L. 442-6 I 2°) du Code de commerce, il est interdit « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Sorte de dérivé de l’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi, l’article L.442-6 I 2°) du code de commerce présente deux « avantages » sur le précédent : d’une part il créé un « droit » à réparation au bénéfice des victimes de « déséquilibres significatifs » et, d’autre part, il créé le principe d’une amende civile dont le ministère de l’Économie peut requérir l’application.

Une fois encore, en prétendant vouloir protéger les petits fournisseurs de la grande distribution, le législateur a introduit un concept général dans le Code de commerce qui a vocation (sauf quelques très rares exceptions) à s’appliquer à toutes les relations commerciales entre un fournisseur et un distributeur relative à la distribution de produits ou de services et a pour effet de compliquer la rédaction des contrats et le bon déroulement des relations commerciales au quotidien.
Dans un jugement rendu le 13 juillet 2010, le Tribunal de commerce (« TC ») de Bobigny a considéré que l’application de cette disposition amènerait le juge à une étude subjective du contenu et de la portée des clauses contractuelles au regard notamment de l’intention des parties, des conditions particulières qui auront été négociées ou encore des circonstances qui auront entouré les négociations [1]. Cela conduira inévitablement les parties à s’opposer sur l’interprétation qu’il faut donner aux conventions en cause et risque de créer une grande insécurité juridique.

Les difficultés que soulève cette disposition sont telles que la DGCCRF elle-même s’est sentie contrainte de préciser la notion sur son site internet, même si ces « précisions » ne présentent qu’un aspect pratique limité [2].

Le Tribunal de commerce de Bobigny a également considéré que la question de la constitutionnalité de cette disposition devait être vérifiée au regard de la procédure découlant du paragraphe III de l’article L. 442-6, qui permet au ministre chargé de l’économie d’intervenir dans des conventions de droit privé. En effet, selon le Tribunal cette procédure pourrait contrevenir au principe de liberté du commerce et d’entreprendre, ainsi qu’au principe de liberté de s’engager par contrat.

Par une décision du 15 octobre 2010, la Cour de cassation a donc demandé au Conseil constitutionnel de vérifier si l’article L. 442-6 I 2°) contrevient au principe de légalité des délits et des peines consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elle n’a en revanche pas retenu le deuxième argument soulevé par le TC de Bobigny.

La procédure de la question prioritaire de constitutionnalité a donné lieu à de nombreuses décisions depuis l’entrée en vigueur du dispositif le 1er mars 2010 [3]. A ce jour, une seule question (en cours d’instruction) concerne les dispositions du Titre IV du code de commerce et vise une problématique liée à l’application dans le temps de l’article L. 442-2 interdisant la revente d’un produit à perte.

Si les sages du Conseil devaient confirmer les interrogations du TC de Bobigny et déclarer l’article L. 442-6 I 2°) illégal, cela pourrait porter un coup d’arrêt (salvateur ?) à l’interventionnisme croissant de l’État dans la vie économique et dans la régulation des pratiques commerciales des entreprises.
De manière plus pragmatique, on peut espérer que cela invite le législateur à rationaliser l’arsenal législatif existant afin d’éviter de subir à nouveau ce qui serait certainement perçu comme un véritable camouflet.

Le Conseil constitutionnel devra rendre sa décision dans les trois mois de la saisine, soit avant la mi-janvier 2011.

________________________________________________________________________________

[1] T. com. Bobigny, 13 juillet 2010, n° RG 2010F00541

[2] www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgccrf/documentation/lme/relations_indust_commerce.htm

[3] www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-type/les-decisions-qpc.48300.html