Dans un arrêt publié au Bulletin (Cass. Com., 10 juillet 2024, n°22-15.836), la chambre commerciale de la Cour de cassation a apporté des précisions inédites sur les modalités de modification des droits attachés aux actions de préférence dans les SAS, auxquelles il convient de porter la plus grande attention.

Contexte de l’arrêt

En l’espèce, l’assemblée générale extraordinaire d’une SAS avait décidé la modification des droits attachés à des actions de préférence, en l’occurrence la réduction du dividende prioritaire prévu.

Deux associés concernés par la modification litigieuse requéraient l’annulation des résolutions d’assemblée, en faisant valoir que leur consentement individuel n’avait pas été recueilli avant la modification et que des titulaires des titres modifiés avaient pris part au vote de l’assemblée en violation de l’article L. 228-15, alinéa 2 du code de commerce, selon lequel « les titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie ».

La cour d’appel de Lyon avait refusé de donner droit à leurs prétentions en soutenant :

  • qu’aucune disposition légale ne prévoyait le recueil du consentement individuel des titulaires d’actions de préférence en SAS et
  • qu’une modification à la baisse des droits attachés à des actions de préférence déjà existantes ne pouvait s’analyser en une conversion, ce terme devant être compris comme renvoyant à la création d’une nouvelle catégorie d’actions de préférence.

Dans son arrêt du 10 juillet 2024, la Cour de cassation rejette le raisonnement des juges du fond et apporte des clarifications extrêmement importantes pour les praticiens.

Nécessité d’un consentement individuel des porteurs d’actions de préférence à modifier, à défaut d’aménagement statutaire

Sur le consentement des porteurs d’actions de préférence, la chambre commerciale indique qu’à défaut d’aménagement statutaire sur la modification des droits attachés à ces titres en SAS, le consentement individuel de chaque porteur concerné est requis. La Cour se fonde sur le droit commun des contrats, en particulier les articles 1103 et 1193 du code civil, selon lesquels une convention (ici, les termes et conditions des actions de préférence) ne peut être modifiée qu’avec le consentement des parties contractantes.

Précisions sur la notion de conversion

La Cour de cassation fournit en outre une définition inédite et particulièrement extensive de la notion de conversion d’actions : toute opération de modification des droits attachés aux actions de préférence serait désormais une conversion, au sens de l’article L. 228-15 du Code de commerce. En application de cet article, les porteurs des titres faisant l’objet de la modification/conversion ne pouvaient pas prendre part au vote, au risque d’entraîner la nullité des décisions collectives litigieuses. Cette impossibilité de voter sur la modification est compensée par l’exigence de recueillir le consentement des porteurs, préalablement à la modification de leurs droits, à défaut d’aménagement statutaire.

Incidences pratiques

L’arrêt de la chambre commerciale est remarquable, tant par son caractère inédit que par les réflexions qu’il engendre en matière d’émission d’actions de préférence, de modification de leurs droits ou de conversion.

Prévoir une assemblée spéciale des porteurs de catégorie d’actions dans les statuts de SAS :

Les dispositions de l’article L. 225-99 du code de commerce relatif à la SA, prévoyant la réunion d’une assemblée spéciale des titulaires des actions de préférence dont les droits font l’objet d’une modification – et permettant donc d’éviter le recueil individuel des consentements – ne sont pas applicables à la SAS (par exclusion de l’article L. 227-1 alinéa 3 du code de commerce). La solution retenue par la Cour de cassation invite alors à anticiper la modification des actions de préférence en SAS au sein des statuts, lesquels constituent la pierre angulaire de cette forme sociale.

Pour éviter l’écueil d’un formalisme lourd à chaque modification envisagée, il est indispensable de prévoir statutairement des modalités de convocation et de réunion d’une assemblée spéciale des porteurs de chaque catégorie d’actions de préférence et la majorité requise pour en modifier les termes, par analogie avec le régime prévu pour les SA.

Une vigilance accrue quant à toute modification des droits d’une catégorie d’actions de préférence :

Il faut désormais comprendre que toute modification, même subtile, des droits attachés à une catégorie d’action constitue une opération de conversion en une nouvelle catégorie. L’enjeu est de taille : outre l’interdiction des bénéficiaires concernés de prendre part au vote, l’assimilation d’une modification à une conversion implique l’application du régime correspondant prévu aux articles L. 228-12 et suivants du code de commerce (notamment l’établissement d’un rapport spécial du commissaire aux comptes et du commissaire aux avantages particuliers le cas échéant).

Il nous semble qu’il convient également de s’interroger, en tant que rédacteur d’acte, sur les modalités de modification de toute autre valeur mobilière donnant accès au capital et si les titulaires desdites valeurs mobilières doivent prendre part au vote.

Enfin, les éventuelles implications fiscales liées à cette jurisprudence seront à analyser au cas par cas.

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Au regard des implications sus évoquées, les précisions apportées par la Cour de cassation en matière de conversion d’actions de préférence invitent à rigoureusement sécuriser la mise en place de ces titres et anticiper le plus possible leur évolution au sein des SAS.