(Clarté, pertinence, influence)

 

Vade-mecum à l’attention des juristes… entre autres

« Nul n’est censé ignorer le langage » (Paul Valéry)

La langue de la République est le français (article 2 alinéa 1 de notre Constitution). « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Nous connaissons tous la formule de Boileau. L’éloquence, faculté de toucher et persuader par le discours, est une « structure mère » de la culture Occidentale (Marc Fumaroli). La rhétorique déploie les moyens oratoires permettant de « prouver la vérité de ce qu’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause » (Cicéron).

Rédiger de façon claire, efficace, convaincante n’est pas un luxe. Ce qui devrait être une exigence, un devoir pour les juristes, reste largement délaissé, ignoré, dans les facultés de droit ou à l’Ecole du Barreau. Victime du naufrage des Humanités, la rhétorique n’est plus enseignée au Lycée depuis belle lurette. Chacun son style, sa culture, ses us et coutumes. Les « lawyers » anglo-saxons, familiers des interrogatoires et contre-interrogatoires, dans leurs écritures comme en audience, sont traditionnellement factuels, moins polémiques que leurs confrères latins ; pas nécessairement plus talentueux… « It depends on the context… ».

Rédiger, relire, corriger des écritures, des mémos, des contrats, c’est le pain quotidien des juristes et une joie du métier. La bonne nouvelle, c’est que l’appétit et le métier viennent en rédigeant. « La législation du langage donne même les premières lois de la vérité » (Nietzsche).

I. L’objectif : l’efficacité par la clarté et l’élégance

A. Convaincre ou persuader ?

Convaincre (logos), c’est s’adresser à la raison, aux facultés d’analyse et raisonnement de l’auditeur. Le locuteur défend sa thèse en développant des arguments rationnels dans le but d’obtenir l’accord raisonné de son interlocuteur. Persuader (pathos), c’est en appeler à la subjectivité de l’auditoire. Le discours fait davantage appel aux sentiments ou aux émotions. Les juristes doivent jouer sur les deux tableaux. Le « logos-conviction » prend le dessus dans les écritures (par opposition à la plaidoirie), ou en matière civile et commerciale (par opposition au pénal).

Tous les genres sont permis, hormis le genre ennuyeux, sans parler du genre ennuyé… Au-delà des forces ou faiblesses du dossier (en faits ou en droit), des écritures claires, soignées (forme comme fond) vont attirer l’attention, séduire le juge, la première étape, essentielle, de sa conviction. La règle d’or, c’est la clarté. La première leçon enseignée dans les « Law schools » américaines est triviale : “Can a 8 years old child understand your story ?”. Si c’est le cas, un jury pourra être convaincu, tout va bien. Si ce n’est pas le cas, le travail est à reprendre…

B. Pourquoi des écritures claires et structurées ?

Pas (uniquement) pour briller et se faire plaisir. Les magistrats, surchargés, ont un temps limité à consacrer à chaque dossier. Ils détestent le confus, la langue de bois et sont eux même tenus à des obligations rédactionnelles de rigueur et clarté. Des arguments bien exposés pourront être repris, à la lettre, dans le jugement : le graal pour l’avocat.

On distingue classiquement cinq parties dans la rhétorique : l’inventio (invention), la dispositio (structure), l’elocutio (style et figures de style), la memoria (apprentissage du discours et art mnémotechnique) et l’actio (récitation du discours). Trois critères permettent d’atteindre la vérité judiciaire (celle du juge) : (1) Une présentation séduisante (2) La qualité rédactionnelle (3) La qualité du raisonnement juridique.

C. Les outils

1. Le raisonnement

Les faits doivent être orientés habilement (tournés vers l’application du droit en cause) et prouvés. A chaque affirmation factuelle, doit correspondre au moins une pièce, identifiée par son numéro de bordereau et un intitulé, afin que le juge soit convaincu de la véracité du fait allégué.

Le raisonnement juridique doit être logique et servir une démonstration. Il reprend les textes de loi, la jurisprudence applicable, le cas échéant les interprète, et démontre que les faits de l’espèce permettent leur application. Le raisonnement juridique est généralement syllogistique (majeure, mineure, conclusion). (i) Les faits sont les suivants (…) (ii) La loi, la jurisprudence qui énoncent que (…) s’appliquent en l’espèce (iii) Le tribunal jugera donc (…).

2. Les arguments

In limine litis, il convient de traiter d’éventuelles irrecevabilités ou exceptions de procédure. Eviter de multiplier les arguments. Mettre en avant les plus forts, incontestables. Ils peuvent être logiques (faisant appel à la raison de l’interlocuteur), d’expérience, d’autorité, ad hominem. Ne pas abuser des subsidiaires qui souvent fragilisent le principal, génèrent de la confusion et une impression de faiblesse. Attention, un mauvais argument peu annihiler toute une argumentation… « Les preuves fatiguent la vérité » (Georges Bracque).

Dans quel ordre ? La « disposition » étudie la structure et la cohérence des lieux rhétoriques. L’ordre dit homérique privilégie les arguments forts en exorde et en épilogue, ménageant les effets et le public au milieu du discours. Quintilien recommande de commencer par des arguments faibles puis de progresser de façon ascendante. L’inverse est également concevable. En application de l’adage « Docere, placere, movere », l’orateur commence par les arguments logiques, poursuit avec ceux qui plaisent, conclut avec ceux qui émeuvent. Il n’existe pas de règle idéale. Les recettes de cuisine ne font pas le cuisinier.

3. Le style

a. Synthétique, uniforme, sobre

Il est impératif d’être vigilant sur l’orthographe, la syntaxe, la concordance des temps. S’attacher à être concis : une idée ou un fait par phrase. Éviter les redondances, lourdeurs (Sancta simplicita…). Soigner les enchainements et transitions. Avec une grande économie de moyens, bien maniée, l’ironie, est une arme redoutable. Le « Qui, quoi, où, par quels moyens, pourquoi, comment, quand ? » est resté célèbre. Le Maréchal Foch avait un précepte (repris par René Floriot) (1) De quoi s’agit-il ? (2) Ce que je veux.

L’excessif est un feu de paille, porte à faux. Éviter les batailles de chiffonniers, règlements de comptes avec l’adversaire : c’est le magistrat qu’il faut convaincre. Bannir la polémique, l’excès de lyrisme, le style journalistique. « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant » (René Char).

b. Au service de l’argumentation, les figures de style (tropes) rendent le texte plus vivant

Les connecteurs logiques favorisent l’organisation et la fluidité du discours. Les figures par amplification (hyperbole, gradation) donnent du poids et de l’ampleur à un argument. L’atténuation (euphémisme, litote) suggère implicitement. L’analogie, les images, métaphores colorent l’argumentation. L’opposition (chiasme, antithèse) souligne les contradictions.

II. Comment ?  

A. Préparation 

Manuscrit ou ordinateur pour le premier jet ? Question d’aisance, d’habitude, de génération. Commencer par le commencement. Avant de construire un plan détaillé, il faut analyser, s’approprier les pièces, écritures adverses, recherches éventuelles. N’écrire que ce qu’on a conçu soi-même. Éviter de travailler dans l’urgence. La relecture à froid des versions, projets (d’écritures ou de contrats), permet d’alléger, d’affiner les arguments, de polir le style.

Dans les dossiers complexes, ne pas hésiter à faire relire (le plan, le fond, la forme) par un collègue avisé. Dieu se trouve dans les détails…. “There is no such thing as good drafting, there is only good re drafting.” S’agissant d’un travail collectif, d’équipe, veiller à la cohérence générale, à l’articulation des arguments, et à l’unité stylistique.

B. Quelques conseils

– Pour les écritures longues, prévoir un sommaire, le cas échéant des chapeaux, une introduction, un récapitulatif, mais s’abstenir de multiplier les lourdes annonces de plan.

– Réserver les faits disputés dans la partie « discussion », pour éviter les redites.

– Si le dossier s’y prête, agrémenter les écritures de schémas explicatifs, diagrammes, photos.

– Citer de façon rigoureuse. Contrôler les jurisprudences, arguments, citations adverses (parfois tronquées).

– Utiliser les notes en bas de page (références doctrinales et jurisprudentielles), afin d’éviter d’alourdir le corps du texte.

– Ne pas citer l’argumentation adverse, sauf si elle est absurde, contradictoire ou fausse.

– En défense, si elle est piégeuse, ne pas se laisser enfermer dans la structure de l’argumentation du demandeur. Ne contester que le contestable. Bien articuler les demandes reconventionnelles.

– Pour les mémoires successifs, conclusions récapitulatives, veiller à la cohérence de l’argumentation par sédimentation.

III. Pour aller plus loin

A. Sur l’éloquence

Cela ne sert à rien d’avoir raison, si l’on n’a convaincu personne. Discrète, l’éloquence se moque de l’éloquence, mais en impose. « L’Eloquence, c’est lorsque les paroles sont des choses » (attribué au Pseudo-Longin).

1. Les bons élèves

« L’avocat doit résolument rejeter le vague, le flou, l’inutile (…) L’éloquence assemble mystérieusement toutes les ressources de la connaissance, de l’esprit et du cœur, pour convaincre. (…) C’est la maîtrise des mots et des formes du discours. Surtout elle est l’intelligence, la culture, la force de la pensée, la pudeur de l’émotion, la puissance de la raison, la sensibilité discrète, retenue (…) Elle est aussi le respect du juge, le respect de l’adversaire, le respect de tous (…) L’éloquence est faite de toutes les forces de l’esprit et du cœur savamment assemblées, tendues pour tâcher de convaincre ». (Jean-Denis Bredin)

« J’ai renoncé à la beauté du discours » (Henri Leclerc). « Tout ornement est une faute de style » (Auguste Perret à propos de l’architecture moderne). « Une grande partie du talent d’un orateur consiste à dissimuler son art et à montrer un naturel qui crée, entre celui qui écoute et lui-même, un courant de sympathie et de confiance » (Maurice Garçon).

2. Facéties

« La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée » (Talleyrand). « Je vis dans la terreur de ne pas être incompris » (Oscar Wilde). « Ce qui probablement fausse toute la vie, c’est qu’on est convaincu qu’on dit la vérité parce qu’on dit ce qu’on pense » (Sacha Guitry).

“A lawyer is a contextualist (a person who believes that the full meaning of a thing is not inherent in that thing but depends on its relationship with other things); You don’t know the rule until you know the exceptions; Research isn’t finished until the deadline arrives; Each case has a theory i.e. the single most plausible storyline of a litigation position; both its logical and emotional center” (V Martin, M Frederick).

B. Squire Patton Boggs : « Local connections – Global influence »  

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« Brièveté… clarté… vraisemblance » (Cicéron)