CEDH, 16 janvier 2016 Barbulescu c. Roumanie (en anglais)
La Cour européenne des droits de l’Homme a été une nouvelle fois saisie sur le fondement de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales relatif au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance.
L’affaire se déroule en Roumanie. L’employeur avait demandé à son salarié d’ouvrir une messagerie aux fins de répondre aux demandes des clients. Par la suite ce salarié est informé que ses communications, via cette messagerie, avaient été surveillées pendant toute une semaine. Or il en ressortait qu’il avait utilisé cet outil à des fins personnelles : le relevé de communication révélait entre autre des échanges avec son frère et sa fiancé, sur des sujets hautement personnels tels que sa santé et sa sexualité…
Le salarié est licencié pour infraction au règlement intérieur de la société, celui-ci interdisant l’usage des ressources de l’entreprise à des fins personnelles. Il saisit alors les tribunaux afin de contester son licenciement, et invoque la violation de son droit à la correspondance par la consultation de ses communications. Sa plainte est rejetée, la justice roumaine arguant du fait que l’employeur avait agi raisonnablement dans la mesure où il avait respecté la procédure de licenciement applicable et que le salarié avait été dûment informé du règlement intérieur de la société.
Sur la question de la surveillance des emails envoyés par un salarié à partir d’une adresse de messagerie professionnelle, la Cour européenne estime tout d’abord que l’article 8 de la CESDH est applicable en l’espèce.
La Cour ajoute que n’est pas abusif le fait qu’un employeur souhaite vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles pendant les heures de travail. Et que par ailleurs, l’employeur a accédé à la messagerie de son salarié pensant que celle-ci ne contenait que des échanges professionnels avec des clients de la société.
L’équilibre entre le droit au respect de la vie privée et de la correspondance du salarié et les intérêts de la société est respecté, la CEDH rejette dès lors toute violation de l’article 8.
Cette décision européenne semble atténuer la portée de la décision Nikon, datant du début des années 2000, qui interdisait à l’employeur de prendre connaissance des messages personnels de son salarié en vertu du respect de sa vie privée et portait aux nues le secret des correspondances alors même que l’employeur avait interdit (en vain) l’utilisation personnelle de ses outils dans son règlement intérieur.
Il est cependant surprenant de constater que dans l’arrêt du 12 janvier 2016, la Cour européenne ne cherche même pas à caractériser ou non l’usage abusif de la messagerie professionnelle par le salarié. Cette notion d’ « abus » étant pourtant, rappelons-le, privilégiée par la jurisprudence française en la matière…
Enfin, toujours est-il qu’en vertu d’une jurisprudence constante et malgré tout toujours d’actualité, l’employeur ne peut ni ouvrir, ni lire à sa guise les emails d’un salarié que celui-ci aurait pris soin d’identifier comme « personnel »… L’employeur pourra les consulter uniquement en sa présence.
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