Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi rendu un jugement en date du 30 janvier 2008 qui met en exergue un nouvel aspect du droit des paris – l’utilisation par les bookmakers, dans leurs messages aux clients, des noms de clubs de football déposés comme marques protégées. Plus particulièrement, le contentieux portait sur l’utilisation en vue de la promotion de leurs services sur deux sites de paris en ligne de la fameuse marque « JUVENTUS » déposée par le prestigieux club turinois du même nom. Le célèbre club italien de football, Juventus FC, avait porté plainte contre Unibet Ltd (qui opérait alors sous le nom de « Mr. Bookmaker.com Ltd ») et William Hill Credit Ltd pour atteinte au droit de la marque, « JUVENTUS » étant une marque déposée en France et dans la Communauté européenne dans la classe 41. Cette classe comprend notamment, selon la Classification Internationale de Nice, les services de paris et de jeux, à savoir le même secteur d’activité que celui dans lequel opèrent Unibet et William Hill.

Les messages publiés sur les sites Internet respectifs étaient les suivants :

  • sur le site de William Hill : « Pariez en toute sécurité sur vos sports favoris…Ce site Internet est complet et mis à jour quotidiennement concernant la Juventus » ; et
  • sur le site d’Unibet : « Les deux géants du football européen vont s’affronter mardi soir à 20.45. Le Real Madrid et ses 9 titres de Ligue des Champions accueille la Juventus de Turin et ses 6 titres de Coupes européennes… ».

La Juventus prétendait que les défendeurs violaient ses droits de propriété intellectuelle par la reproduction, sans son autorisation préalable, de la marque « JUVENTUS ». L’article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle, tiré de la directive européenne n° CE/89/104 qui harmonise le droit des marques, établit une liste d’actions que les tiers ne peuvent réaliser qu’après obtention de l’accord préalable du propriétaire de la marque, telles que l’utilisation d’une marque identique pour des biens et services identiques ou l’utilisation d’une simple marque similaire pour des biens et services identiques ou similaires lorsqu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.

La marque Juventus était clairement citée par Unibet et William Hill à l’identique, pour des services identiques à ceux protégés par la marque – mais il serait bien difficile de faire référence à la Vieille Dame sans recourir au nom « Juventus » ! La seule question était de savoir si la reproduction constituait une « utilisation » du mot « Juventus » en violation du droit de marque par le propriétaire de la marque déposée.

Les défendeurs ont tenté d’invoquer l’exception à la règle pré-citée, permettant l’utilisation de la marque lorsque celle-ci est « nécessaire…pour les besoins d’indiquer la source des biens et des services » (article L. 713-7 du Code de la propriété intellectuelle).

Toutefois, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté ces arguments de défense. Alors que le tribunal a réaffirmé la règle selon laquelle les opérateurs de site Internet sont en principe autorisés à utiliser les marques pour identifier les clubs de football auxquels ils font référence dans le cadre de leur activité, il a précisé qu’une telle utilisation doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour l’activité opérée. Le tribunal a considéré ici que l’utilisation faite par William Hill et Unibet de la marque Juventus allait au-delà de cette nécessité d’identification du club et a reconnu, que par essence, les bookmakers utilisaient la marque Juventus comme moyen de promouvoir leur propre activité, en tirant profit de la marque, de la célébrité et du prestige de l’équipe italienne.

Il est vrai que l’utilisation de la marque « JUVENTUS » par William Hill pourrait lui être reprochée, puisque l’opérateur de paris semble se concentrer uniquement dans son message, sur l’actualité footballistique concernant la Juve. En revanche, il est difficile de comprendre les raisons pour lesquelles le tribunal a également sanctionné Unibet, puisque son message consistait simplement en un commentaire éditorial plutôt neutre et informatif. Dans des décisions précédentes, ce même tribunal avait reconnu que la simple utilisation d’une marque à titre d’information ne devait pas être considérée comme une violation du droit des marques. En effet, dans un jugement du 22 février 1995, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé que l’utilisation par un magazine d’une marque déposée (en l’occurrence « TF1 ») pour les seuls besoins d’information ne pouvait être considérée comme une promotion de l’activité de l’entreprise.

Cet argument n’a pas été invoqué par les défendeurs. Toutefois, il aurait été intéressant de connaître la position qu’aurait pris le tribunal s’ils avaient soutenu que le site Internet présentait une expression ou un commentaire d’ordre journalistique, donné à titre d’information pour ceux parmi les Internautes utilisateurs du site qui voulaient en savoir davantage sur le match, par opposition à un usage à finalité commerciale. L’argument aurait consisté à mettre en évidence la comparaison effectuée par Unibet – à titre d’information donc – entre les 6 et 9 couronnes continentales glanées, respectivement, par la Juve et le Real.

L’idée de limiter ce qui est essentiellement une liberté d’expression, en interdisant à Unibet de publier sur son site web de simples commentaires sur les évènements sportifs à venir, nous semble regrettable. On peut se demander quelle aurait été l’approche du tribunal si les défendeurs avaient été des éditeurs de journaux et que le club les avait accusés d’avoir bénéficié de ventes accrues grâce aux encarts publicitaires sur lesquels la marque « JUVENTUS » figurait ou si la marque avait été utilisée en première page, ce qui aurait attiré l’attention des lecteurs. Par exemple, il est habituel pour les groupes audiovisuels ou radiophoniques d’acheter de l’espace publicitaire pour promouvoir la retransmission de tel ou tel grand match de Coupe d’Europe se déroulant le soir même.

Cette décision illustre donc les difficultés continuelles qui existent entre les détenteurs de droit de propriété intellectuelle et l’industrie du pari pour promouvoir leurs produits. Ces escarmouches ne représentent pas seulement des batailles commerciales mais aussi la confrontation de philosophies différentes sur l’étendue respective des droits de propriété intellectuelle et de la liberté d’expression.

Cependant, cette décision ne manifeste-t-elle pas un mécontentement latent du pouvoir judiciaire quant au débat actuel sur l’ouverture du marché des paris en ligne, mécontentement qui se serait exprimé, aussi surprenant que cela paraisse, par la métaphore de la violation du droit de marque ?