I JUSTINIEN ET LE « CORPUS JURIS CIVILIS »

Justinien (482- 565)

Empereur romain d’Orient, successeur de Justin en 527, Justinien a réussi en l’espace de quelques décennies à rétablir l’unité politique militaire et juridique de l’empire romain. On connaît l’impératrice Théodora, Sainte Sophie, Ravenne, l’essor de la littérature ascétique et de l’histoire, mais aussi la fermeture définitive de l’Académie de Platon.

Les succès militaires de ses généraux Bélisaire et Narsès permirent un temps de contenir les « barbares » et retarder l’inéluctable. Si le VIème siècle est bien le siècle de Justinien, l’héritage le plus glorieux de l’empereur Flavius Petrus Sabbatius Justinianus est évidemment juridique.
Le « Corpus Juris Civilis »

L’expression, qui date du 16ème siècle, désigne une œuvre composite ayant pour maître d’œuvre Tribonien, questeur du palais impérial. Elle comprend 4 parties :

(1) Le « Digeste » (533) – du latin « digon » mettre en ordre (en grec « Pandectes » c’est-à-dire « qui comprend tout »). Il s’agit d’un amalgame (plus de 9000 fragments) des commentaires doctrinaux essentiels de droit civil et de droit prétorien des jurisconsultes romains classiques . (voir Marginalia n° 7
(2) Les « Institutes » (533) – un manuel à l’usage des étudiants modernisant les « Institutes » de Gaius.
(3) Le « Code » (534) – il rassemble les constitutions impériales rendues depuis l’Empereur Hadrien.
(4) Les « Novelles » (533-565) – elles recensent les constitutions impériales postérieures au Code.

Justinien, conscient du tour de force, prétendait que grâce à ce Corpus : « Pour quelques sous, riches et pauvres peuvent les (les lois) acheter et acquérir à peu de frais la quintessence de la sagesse ».

Le corpus n’a pas eu de succès immédiat. Ce n’est qu’à partir du 11ème et surtout du 12ème siècle, après les invasions barbares, qu’il sort de l’oubli.

II LA TRANSMISSION ET L’HERITAGE DU « CORPUS JURIS CIVILIS»

Les glossateurs et la redécouverte du droit romain

À l’aube du XIIème siècle, les juristes médiévaux, les « légistes », redécouvrent et réactualisent le droit romain et avec lui la notion de Res publica, un État centralisé visant le bien commun.
La découverte miraculeuse d’un manuscrit du Digeste (la « littera pisana ») en 1137 lors de la prise d’Amalfi participe de la légende. Ce sont la multiplication des relations d’affaire, l’influence de la réforme grégorienne, et l’essor des cités qui ont contribué à la renaissance du droit romain. Autour de 1100, un certain Irnérius « lit » à Bologne des extraits de Justinien. L’enseignement est perpétré par les 4 docteurs, Martinus, Bulgarus, Hugo et Jacobus. La nouvelle science des lois va rapidement se propager : Gènes, Pise, Arles, Montpellier, Barcelone et progressivement toute l’Europe.

Des glossateurs vont commenter et expliquer le texte. Accurse achève sa « grande glose » vers 1230. Les traités (sommes) sur certaines parties du corpus se multiplient (Ainsi la « Somme » du Code par Azon). Au 14ème siècle, Bartole de Sassoferrato, puis son élève Balde de Ubaldis, assurent le triomphe de la méthode italienne du droit romain, le mos italicus. En France, c’est à Orléans que l’enseignement juridique prospère à la fin du 13ème siècle avec Jacques de Révigny et Pierre de Belleperche. On recherche moins la lettre de la loi que son esprit. Aucun sujet n’échappe à cette école. Une preuve : l’encyclopédie « Tractatus Universis Juris », dite aussi « Tractatus Tractatuum » (Traité des traités), on ne sait jamais !

Les légistes vont tirer et forger de la « forteresse de mots » (l’expression est de Pierre Legendre) que constitue le droit romain, de nouveaux outils, des méthodes d’analyse et d’interprétation. Le droit public est renouvelé (l’état, le prince comme source de droit, le domaine public) et contribuera à légitimer les prétentions politiques des empereurs, des papes et des rois. ( Michelet, toujours lyrique, et ici assez injuste, rend responsable les légistes du conseil royal sous Philippe Le Bel de l’absolutisme monarchique : «La France est alors un légiste en cuirasse, un procureur bardé de fer… Ces chevaliers en droit, ces ames de plomb et de fer… procédèrent avec une horrible rigueur dans leur imitation servile du droit romain…Les Pandectes était leur bible, leur évangile… )
Le droit privé (la personnalité juridique, le mariage) la procédure et le droit pénal sont également transformés par le droit romain et le droit canonique (les 2 droits savants, l’utrumque jus).

L’humanisme juridique

Au 16ème siècle, les humanistes et les philologues (Budé, Alciat, Zunker, Cujas), armés d’une méthode historique et critique, triomphent en imposant le « mos gallicus ». Ils mettent de l’ordre dans les textes, rectifient les contresens, traquent les gloses parasites et recherchent la pureté des sens. C’est le cicéronisme transposé au droit.

Rabelais est sévère pour les jurisconsultes, le bartoldisme et la glose « …les livres des lois ressemblaient à une belle robe d’or, triomphante et précieuse à merveille, qui fut brodée de merde… la glose d’Accurse, est tant infâme et punaise que ce n’est qu’ordure et vilénie » (Pantagruel V).

Molière (« Monsieur de Pourceaugnac »), Racine (« Les plaideurs »), Beaumarchais (« Le mariage de Figaro » et son juriste ridicule Bartolo ) et beaucoup d’autres reprendront la rengaine. Reste qu’au-delà des railleries et des débats de philologues, le droit romain est riche d’enjeux symboliques triviaux et essentiels i.e. le pouvoir, mieux, une matrice du pouvoir.

« Pourquoi Charlemagne a-t-il permis que l’empire fut partagé ? Pourquoi Charles Quint n’a-t-il pas fait une nouvelle conquête des Gaules ? Pourquoi Napoléon ne s’est-il pas fait couronner empereur d’occident ? Qu’est ce que ce nom de tribu barbare dont on m’affuble : Français ? Je ne suis pas français. Mon catéchisme me dit que je suis catholique romain, et moi je traduis cela ainsi ; Romain et maître du monde ! Mon souverain, mon unique maître, c’est ce grand vieillard maigre, qu’on représente toujours vêtu de blanc, le divin auguste Léon, empereur d’Occident ! » (« Fermina Marquez » ; Valéry Larbaud).

Le droit romain fonctionnera comme phénomène inaugural et de transmission (Le pontife et l’empereur ont « toutes les archives dans leur poitrine » selon la célèbre formule scolastique). Il a été une propagande et une raison (ratio scripta).

III LA CONSTANCE DU FANTASME IMPERIAL

Un peu d’histoire

« Quiconque imaginerait que ce mot empereur n’est en lui-même qu’un vain son, ne connaîtrait pas le pouvoir qu’ont sur les hommes les sons articulés. La réalisation d’une monarchie universelle est un espoir absurde, sans doute ; Mais toute absurdité colossale, si nous pouvons parler ainsi, a des zélateurs très ardents ». Mirabeau était dans le vrai. La question de l’empire obsède l’occident depuis 2000 ans.

Nous sommes les héritiers de Charlemagne. Aujourd’hui l’Europe se cherche tel un nouvel Hamlet. Elle hésite entre ses désillusions, une mauvaise conscience et les bons sentiments. Mais pas besoin de creuser bien loin pour retrouver ses vrais racines et les fantômes (pas toujours très fréquentables) de son passé impérial : le Reich… empire !

Récupérer l’héritage de Rome et de son droit c’est récupérer le pouvoir avec pour enjeu ultime le « dominium mundi », la maîtrise du monde. C’est par les armes mais aussi grâce au droit romain (et souvent à sa manipulation) que sont arbitrés les duels opposant le pape et l’empereur (Frédéric Barberousse, Henri IV, Canossa et la comtesse Mathilde ) ou plus tard l’empereur et le roi de France.

En 1158, à la Diète de Roncaglia, les docteurs de Bologne expliquent à Frédéric Barberousse l’étendue de ses pouvoirs « Tu peux, en tant que loi vivante, promulguer des lois, y soumettre (les uns), en dispenser (les autres) ; les ducs passent et disparaissent, les rois gouvernent, mais c’est toi qui les juges ; ce que tu veux, tu le fais, car tu es la loi animée ». Cette célèbre conclusion est inspirée de la Novelle 105 « Dieu envoie l’empereur aux hommes comme loi vivante » (la loi qui respire) .

L’enjeu de l’enseignement de ce droit stratégique est capital. On sait que , pour protéger la théologie, la décrétale « Super Speculam » (1219) a interdit l’enseignement du droit romain à Paris. Cela n’était pas pour déplaire à Philippe Auguste. (Il aurait d’ailleurs, pour des raisons politiques évidentes, soufflé l’idée de la décrétale à Honorius III)

L’empire de France – l’empire français – la démocratie

En amont de la parenthèse coloniale, le rêve impérial a longtemps obsédé la couronne de France. Bien avant l’opérette napoléonienne, pour contrer la prééminence de l’empereur outre Rhin, le roi de France se dit « empereur en son royaume » qu’il ne tient que « de Dieu et de lui » (milieu du 13ème siècle). A partir de Charles VIII, les rois de France adoptent la couronne fermée des empereurs. Plusieurs légistes à l’imagination fertile démontreront la supériorité du titre de roi sur celui d’empereur,(ainsi Chasseneuz, voir Marginalia n°2. Dans les écritures le Christ est appelé « roi » et non « empereur » ; la vierge n’est-elle pas « reine » … De la belle ouvrage !

Présente chez les derniers Valois, Henri IV, Louis XIII, la thématique impériale perdure jusqu’à la fin du 17ème siècle lorsque Louis XIV clame la suprématie française sur l’Espagne. Pas de politique sans mystique. De Jean de Salisbury à de Gaulle en passant par Bossuet, une constante nationale.

Balivernes des temps ancestraux et barbares, irrecevables après les Lumières, la révolution et l’avènement de la « science politique » ? Remplacer « Dieu » par « l’être suprême » et « Roi » par « République » ne change rien à l’affaire. (Ernst Kantorowicz a tout dit à ce propos ; « Dignitas non morirur »)

Sur un ton plus comique (mais aussi sanglant) le 4 décembre 1977, Bokassa 1er a été couronné Empereur à Bangui devant 5000 invités, en présence du ministre français de la coopération Robert Galley. Il revêtit pour l’occasion le même uniforme que le Maréchal Ney lors du sacre de Napoléon 1er . L’Empereur Bokassa est renversé en septembre 1979 par un commando du SDECE, (future DGSE ) qui a investi Bangui alors qu’il se trouvait en Libye pour négocier un rapprochement avec le colonel Kadhafi. La roue tourne. En décembre dernier lors de sa récente visite d’Etat en France le guide de la « Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste » (en version courte, la Libye), a admiré la (le ?) statu(t) du roi soleil à Versailles… tout en restant empereur en sa Jamahiriya .
(Rama Yade, Secrétaire d’Etat aux Droits de l’Homme, bien isolée, à sauvé l’honneur national en déclarant à propos de cette visite: "il doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort ”. A la suite de cette déclaration elle se serait fait passer un savon par le Premier ministre François Fillon. (Pour mieux nettoyer les tâches de sang… ?!))
La roue continue de tourner.

Aujourd’hui, quelques journalistes, bloggeurs et pamphlétaires « rebelles » (re)découvrent en frissonnant les racines absolutistes du pouvoir hexagonal et les dérives d’une république un peu trop monarchique à leur goût. Tout cela est assez comique. Le Roi, l’Empereur, le Maréchal, le Général, le Président, ont été de grands hommes providentiels, et restent nos maîtres et nos sauveurs. Dans les lieux de pouvoir (à droite, à gauche, au centre, à Paris, en province) on entend partout le chant des courtisans (« Ami qu’attends tu… »). On parachute, on distribue, on place, on (re)case, on se renvoie l’ascenseur notamment entre grands corps ou pour petits services politiques rendus : une ambassade, une circonscription imperdable, un comité de sage, une légion d’honneur, une villa Médicis, un consulat à New York, une commande de rapport sur « La défense de la modernisation de la tradition » (ou l’inverse) etc.

Pas de quoi être fier et faire des gorges chaudes sur les républiques bananières du tiers monde. Les petits rappels à l’ordre et coups d’épingle de la cour des comptes sont bien inoffensifs pour ne pas dire dérisoires. Au-delà de la gabegie comptable et financière particulièrement inique et choquante, nous touchons ici à des questions de principe et à des symboles sur lesquels tout l’édifice social est construit. Il me semble qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la République française pourtant si fière de son modèle, ses institutions et si ombrageuse sur son Etat impartial, sans oublier ses incomparables services publics au service de tous…

(Jean- François Revel disait il y a plus de 40 ans que, depuis le temps qu’il entend parler du rayonnement de la France il ne comprenais pas que le reste du monde ne soit pas mort d’insolation… Toujours perspicace, il notait aussi : « Ce que les français détestent ce ne sont pas les inégalités, ce sont les inégalités autres que celles qui sont octroyées par l’Etat » . Ce népotisme plus ou moins ouvert et accepté, ces faits du Prince généralisés, ce système de places que l’on retrouvent à tous les échelons hiérarchiques et administratifs n’ont rien à envier à l’Ancien Régime et gangrènent la confiance dans la démocratie et la chose publique. Un tiers despotisme oriental, un tiers nomenklatura soviétique, un tiers décadence romaine. On croise les doigts au moment de la parution du « canard enchaîné » le mercredi matin…pas vu pas pris… Le plus triste et choquant dans cette affaire est que cela ne choque quasiment personne. C’est normal, c’est comme cela, c’est la tradition…C’est l’omerta.)

Chamfort est cruel mais avait vu juste sur la nature courtisane des français.

(« Le caractère naturel du français est composé des qualités du singe et du chien couchant. Drôle et gambadant comme le singe, et dans le fond très malfaisant comme lui; il est comme le chien de chasse, né bas, caressant, léchant son maître qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondissant de joie quand on le délie pour aller à la chasse." (Chamfort ; Maximes et pensées). Mais aussi cet extrait brûlant d’actualité : « "C’est une chose avérée qu’au moment où M. de Guibert fut nommé gouverneur des Invalides, il se trouva aux Invalides 600 prétendus soldats qui n’étaient point blessés et qui, presque tous, n’avaient jamais assisté à aucun siège, à aucune bataille, mais qui, en récompense, avaient été cochers ou laquais de grands seigneurs ou de gens en place ”. Tout est dit.)

IV PIERRE LEGENDRE : L’ENFANT TERRIBLE DU DROIT ROMAIN ET DE LA SCOLASTIQUE

Si Michel Villey fut un apôtre appliqué de la pensée juridique et le défenseur courageux d’une scolastique médiévale mal aimée (surtout du thomisme), Pierre Legendre fait figure d’enfant terrible. Ce penseur érudit, méconnu en France, célébré à Londres, Rome ou New York par un petit nombre d’aficionados, n’a jamais recherché la gloire académique ou médiatique.

Agrégé d’histoire du droit (Sa thèse porte sur « La pénétration du droit romain dans le droit canonique classique, 1964 »), professeur, aujourd’hui retraité, à la Sorbonne et à l’Ecole pratique des hautes études (section sciences religieuses), c’est aussi un psychanalyste formé à l’école lacanienne.
Pierre Legendre est un polymathe qui compte à son actif une trentaine d’ouvrages aux titres souvent fulgurants : « L’amour du censeur ; essai sur l’ordre dogmatique, 1974», « Jouir du pouvoir ; traité de la bureaucratie patriote, 1976», « Paroles poétiques échappées du texte, 1982 » . Il a également réalisé avec Gérald Caillat trois films : « La fabrique de l’homme occidental, 1996 » ; « L’ENA miroir d’une nation, 1999» ; et« Dominium Mundi ; l’empire du management, 2007 ». Ce dernier opus est un somptueux opéra (ou peut-être un requiem) sur le chef-d’œuvre de l’occident, l’Etat.

Ouverture : « ‘Voici le salut et la puissance’. Ces mots glorieux de la piété chrétienne ont annoncé le règne du Christ. Ces mots exaltent aujourd’hui les promesses et les pouvoirs de l’Economie globalisée. C’est le temps où triomphent le Management, la gestion universelle, scientifique et technique. Mais qui gouverne cet empire planétaire au nom de quoi, et que devient le mystère de l’homme, ouvrant au regard l’infini ? »

Pierre Legendre à la fois un archéologue et physicien de la norme, est un alchimiste obsédé par le code ADN de la loi et le séquençage du génome du pouvoir. Sa méthode, sa recette, son art : l’exploration méthodique depuis 40 ans de la « dogmatique juridique ».

Les vieilles ficelles de la sociologie traditionnelle, les poncifs de la pensée juridique académique ou des sciences politiques (version rue saint-Guillaume, Bourdieu, Luhmann ou Dworkin) ne l’intéressent pas. Politiquement il renvoie dos à dos l’idéal libertaire anti-tabou et l’ultra-libéralisme. Par delà le bien, le mal et les querelles académiques, ni d’avant-garde, ni d’arrière- garde, il n’est pas du troupeau. C’est un scolastique, le gardien du temple (de Jupiter) autrement dit de la « Limite ».

Réfléchir sur l’« l’homo juridicus » (Pour reprendre le titre d’un ouvrage récent d’Alain Supiot), explorer la « Limite », c’est penser la toute-puissance du fantasme paternel, les lieux et les énigmes de la loi vivante, les emblèmes qui parlent, l’opéra du pouvoir, la fonction tellement essentielle de juger, c’est-à-dire le droit du dernier mot.

Cette œuvre sent le souffre. Pierre Legendre a bousculé beaucoup de certitudes hexagonales, par ailleurs mises à mal par le tsunami de la mondialisation. La question du juridisme a été historiquement censurée en France. Il a osé dévoiler les fondements à la fois inconscients et religieux du « fétichisme » du livre, du texte, du code, ainsi que les ressorts de notre « bureaucratie patriote ».

Erudit nourri de la tradition scolastique, misant sur l’un et l’autre droit, et faisant son miel de l’héritage de la patristique et des théologiens, il rappelle des vérités inouïes, incompréhensibles pour la doxa.

Florilège : le travail du juriste c’est « l’art d’inventer les paroles rassurantes, d’indiquer l’objet d’amour où la politique place le prestige, et de manipuler les menaces primordiales » (Pierre Legendre « L’amour du censeur »). « Tout système d’institution est un nœud de fables et ces fables s’élaborent en un espace précieux de mots » (…/…) « Le juridisme est un phénomène d’interprétation fondé sur l’amour du texte et demeure l’instrument efficace des pratiques gestionnaires » (…/…) « Justinien est un empereur théocrate dont nous descendons par lignage d’écriture ». (Pierre Legendre « Paroles poétiques échappées du texte »)

Le droit romain reste la matrice occidentale, et en réalité aujourd’hui la matrice universelle du pouvoir politique ou économique. L’œuvre de Pierre Legendre est exigeante. Penser n’est pas facile. Elle ne peut pas laisser les juristes indifférents. Elle leur rappelle que leur fonction essentielle est « d’entretenir une mystique de l’utopie enclavée dans une logique de dogme » (Pierre Legendre « L’amour du censeur »).