FOOTBALL, ROYAL NAVY ET COMMON LAW

Pour un étranger, il existe au moins 3 moyens de mieux comprendre l’âme anglaise : le football, la Royal Navy, la Common Law :

  • Le plus difficile c’est le football. Il faut des années pour s’expliquer comment, avec un aussi médiocre fond de jeu, les clubs anglais ont pu se forger un tel palmarès européen. Il faut une vie entière pour commencer à comprendre la haine opposant les fans de Tottenham de ceux d’Arsenal.
  • Le plus déprimant (surtout pour les Français) c’est la Royal Navy : Douvres, L’écluse, Bévéziers, La Hougue, Quiberon, les Saintes, Prairial, Trafalgar… avec la seule bataille de la Chesapeake pour sauver un bilan calamiteux ; et encore, sans un amiral Graves pusillanime et incapable de s’affranchir d’instructions rigides, c’était Aboukir avant l’heure pour l’amiral De Grasse ! Constat lucide mais sans complexes (Normand, je ne fais plus de complexes en la matière depuis 1066).
  • Reste le plus féodal, le plus exotique, le plus chic, et le plus utile pour nous juristes, la Common Law, ou peut-être « le » Common Law (si l’on en croit le professeur Legrand), dés lors que le masculin permet de mieux comprendre qu’il est avant tout question d’un droit et jamais principalement d’une loi.

Honneur aux plaideurs, honneur aux barristers ! (Nous évoquerons la City, royaume des solicitors, une autre fois). Une promenade au milieu des Inns of courts (Gray’s Inn, Lincoln’s Inn, Inner Temple et Middle Temple) et nous voilà instantanément transportés au 15ème siècle. Tout y est apaisant : le silence, les pelouses, l’église du Temple et même la mine préoccupée des barristers un peu trop joufflus.

La néogothique High Court trône sur le Strand. Un hall d’entrée long comme un stade de football, pavement de marbre, statuts du roi Alfred, de Moïse, rien ne manque. Belle occasion de pontifier pour le Lord Chancellor: « That they and their successors may be enabled truly to do justice within these walls as long as the British name shall endure, that the blessing of the Almighty may rest upon their labours, that the law which they administer may ever be a terror to evil doers and a strength and support to those who have right on their side is the fervent prayer of all Judges of your Majesty’s Supreme Court of Judicature » (Lord Selborne, 1882).

Sur Chancery Lane « Ede & Ravenscroft » fabrique les mêmes perruques depuis plus de 300 ans. Chez « Wildy’s, un vendeur un tantinet obséquieux vous proposera une édition originale du « De Legibus et Consuetudinibus » de Bracton (Londres, 1569) considéré par l’historien Maitland comme"the crown and flower of English medieval jurisprudence". Comptez 25 000 euros si l’exemplaire est propre. Pour les budgets plus modestes la boutique de la Law Society écoule ses mugs, presse-papiers et ours en peluche (les mêmes que ceux de la voisine London School of Economics). Succès garanti auprès des praticiens continentaux généralement anglophiles. Pour admirer un manuscrit de la Magna Carta (1215) il vous faudra pousser jusqu’à la British Library à St Pancras. Rien à dire, question traditions et merchandising, les Anglais savent y faire !

Tout cela entre en résonance avec de vieux souvenirs ou lectures d’enfance : « Mary Poppins », « My Fair Lady », « Bleak House », « Les carnets du major Thomson », « Les silences du colonel Bramble » , « Black et Mortimer ». Chacun y retrouvera ses petits. Les clichés et les stéréotypes ne mentent jamais, même si, à l’image des Anglais, ils ne disent jamais toute la vérité.

Leur force, c’est l’arrogance tranquille. Ils ne doutent de rien, surtout pas devant un étranger. « Stiff upper lip”, « Never complain, never explain ». « Good game ! ». De fieffés négociateurs, des lobbyistes hors pair (Paris JO 2012, touché, coulé !). Réalisme en béton armé, beaucoup de bon sens (de la provocation), un léger décalage existentiel et cette façon un peu trop systématique de ne rien prendre au sérieux. Neuf fois sur dix le Français tombe dans le panneau.

Meilleurs ennemis ou, c’est plus perfide, moins bon alliés, les Anglois ? Peu importe.

Nous en avons besoin, ils nous donnent des leçons de maintien…

COMMON LAW : UNE QUESTION D’AMBIANCE

Un droit éminemment pratique, ponctuel, reposant sur des raisonnements inductifs et des « causes of action ». Un droit qui s’intéresse plus au quid facti qu’au quid juris. La codification est rejetée parce que ce schème cognitif et proactif ne correspond pas aux valeurs réactives, à l’individualisation et la particularisation de la communauté juridique outre manche.

Une justice de praticiens et de casuistes qui préfèrent à la règle abstraite, les habitudes de comportement, le vécu, l’hétérogène. Le fragmentaire, le dispersé plutôt que le rationnel et les universaux auxquels invite la pensée abstraite. Aucune décision judiciaire anglaise ne peut être appréhendée indépendamment des faits sur lesquels elle a porté. « Solvitur ambulando » résume le professeur Cooper à propos de la démarche du juge de Common law. Autrement dit, les juristes anglais, avant d’être des juristes, sont des anglais !

La Common Law n’est pas légaliste mais d’essence sociologique. Il n’y a pas d’ancien droit anglais. Le présent n’existe que comme prolongement du passé. Blackstone dit tout, en rappelant que la Common Law est un fond de sagesse tacite et non écrite, le juge étant un « oracle du droit ». Matthew Hale, célèbre jurisconsulte du 17ème siècle éclaire la notion de « precedent » en se référant au récit des Argonautes. Même si l’ensemble des parties de la nef Argo fut remplacé au cours de son périple, le vaisseau gardait néanmoins son identité originaire.

A l’inverse, le droit français est une doctrine du roi législateur issu du césaro-papisme, relayée d’abord par l’absolutisme royal puis par le fétichisme des révolutionnaires pour la loi. Mallieux il y a 100 ans définissait le code civil comme « un recueil d’ordres donnés par le maître de l’Etat » et André Siegfried rappelle à propos des Français « Ils croient au droit écrit, au droit romain, un droit aux arrêtes durs, fondé sur la méfiance le réalisme, le pessimisme qui fait contraste avec le droit anglais fondé sur la coutume et sur la confiance ».

Fouillée relevait fort justement en 1898, à propos de la société française (c’est plus que jamais d’actualité): «Persuadés qu’une révolution peut toujours remplacer une évolution, la puissance du temps nous échappe ». Quel contraste avec ce rappel d’un jugement anglais 650 ans plus tôt :
« Nous ne pouvons ni ne voulons changer les usages » (The Prior of Bermondsey v. The Parson of Fivehead 1342). Le grand comparatiste Levy Ullmann résume malicieusement : « Ce qui fait essentiellement que le droit anglais nous résiste quand nous voulons y pénétrer c’est l’ambiance »”…. Deux approches, deux mentalités, deux moralités, deux pays, beaucoup d’incompréhensions et, forcément, une dés-entente cordiale !

Dans le texte, deux extraits de l’impeccable « History of English Law » de Pollock and Maitland (1911) :

« Such is the unity of all history that anyone who endeavors to tell a piece of it must feel that his first sentence tears a seamless web. The oldest utterance of English law that has come down to us has Greek words in it; words such as bishop, priest, and deacon. If we search out the origines of Roman law we must study Babylon: this at least was the opinion of the great Romanist of our own day. A statute of limitations must be set; but it must be arbitrary. The web must be rent; but, as we rent it, we may watch the whence and whiter of a few of the severed and ravelling threads which have been making a pattern too large for any man’s eye (…/…) »

« Our forms of action are not mere rubrics nor dead categories; they are not the outcome of a classificatory process that has been applied to pre-existing materials. They are institutes of the law; they are-we say it without scruple-living things. Each of them lives its own life, has its own adventures, enjoys a longer or shorter day of vigour, usefulness, and popularity and then sinks perhaps into a decrepit and friendless old age. A few are still-born, some are sterile, others live to see their children in high places. The struggle for life is keen among them and only the fittest survive. »

DROIT COMPARE

« Les Anglais vénère la loi et méprise l’autorité ; les Français c’est l’inverse » (Chamfort)

« Que cette histoire vous apprenne, messieurs, à user de beaucoup de sobriété en fait de lettres de cachet. Sachez que maître Élie de Beaumont, ce célèbre défenseur de la mémoire de Calas, et maître Target, cet autre protecteur de l’innocence opprimée, ont fait payer vingt mille francs d’amende à celui qui avait arraché par ses intrigues une lettre de cachet pour faire enlever la comtesse de Lancize, mourante, la traîner hors du sein de sa famille, et lui dérober tous ses titres. (…/…) Prenez garde à vous, messieurs; ne demandez pas légèrement des lettres de cachet. »

Un Anglais, en lisant cet article, a demandé: « Qu’est-ce qu’une lettre de cachet? »

On n’a jamais pu le lui faire comprendre.

(Voltaire, Dictionnaire philosophique)

HABEAS CORPUS ET DROITS DE LA DEFENSE

« Legal; compatible with the will of a judge having jurisdiction » (Ambrose Bierce, The Devil’s dictionary)

« En Angleterre, un homme accusé de bigamie est sauvé par son avocat qui prouve que son client avait trois femmes » (Georg Christoph Lichtenberg)

« Under the English legal system you are innocent until you are shown to be Irish. » (Ted Whitehead).

« Rule Forty-two. All persons more than a mile high to leave the court.

Let the jury consider their verdict,’ the King said, for about the twentieth time that day.

`No, no!’ said the Queen. `Sentence first–verdict afterwards ».

(Lewis Carroll, Alice’s Adventures in Wonderland)

LES FICELLES DU METIER : UNDERSTATEMENTS ET SARCASMES

« The one great principle of English law is to make business for itself." (Charles Dickens)

« No brilliance is required in law, just common sense and relatively clean fingernails » (John Mortimer)

« The Bob Drennan letter clearly says it was not a bribe to give false evidence; it was a recognition to help in circumstances that were difficult » (David Mills, solicitor; à propos d’une pièce compromettante dans une affaire de corruption impliquant Silvio Berlusconi).

« Economical with the truth » (Sir Robert Armstrong, secrétaire de cabinet, durant le procès « Spycatcher » en 1986).

(Lawyer: « What is the difference between a misleading impression and a lie?

Armstrong: A lie is a straight untruth.

Lawyer: What is a misleading impression – a sort of bent untruth?

Armstrong: As one person said, it is perhaps being « economical with the truth ».)

« The only thing a lawyer won’t question is the legitimacy of his mother. » (W C Fields)

« A Lawyer will do anything to win a case, sometimes he will even tell the truth. » (P Murray).

Lemuel Gulliver: « I said there was a society of men among us, bred up from their youth in the art of proving by words multiplied for the purpose, that white is black and black is white, according as they are paid. To this society all the rest of the people are slaves”. Lemuel Gulliver: « Judges are picked out from the most dextrous lawyers, who are grown old or lazy, and having been biased all their lives against truth or equity, are under such a fatal necessity of favouring fraud, perjury and oppression, that I have known several of them to refuse a large bribe from the side where justice lay, rather than injure the faculty by doing any thing unbecoming their nature in office ».

Lemuel Gulliver: « It is likewise to be observed, that this Society has a peculiar Cant and Jargon of their own, that no other Mortal can understand, and wherein all their Laws are written, which they take special Care to multiply; whereby they have gone near to confound the very Essence of Truth and Falsehood, of Right and Wrong; so that it may take Thirty Years to decide whether the Field, left me by my Ancestors for Six Generations, belongs to me, or to a Stranger three hundred Miles off » (Jonathan Swift, Gulliver’s Travels).

POUR (EN) FINIR, HONNEUR AU PLUS GRAND

« The first thing we do, let’s kill all the lawyers »

(Shakespeare, King Henry VI)

A suivre…