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La mémoire des « Justes»

Jeudi 18 janvier au Panthéon le président de la République a rendu hommage aux "Justes de France" c’est à dire ceux qui, durant la seconde guerre mondiale, ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs persécutés.

La très émouvante cérémonie s’est achevée par le recueillement de Jacques Chirac et de Simone Veil dans la crypte du Panthéon, face à la plaque qui rend hommage aux Justes et aux anonymes qui ont « incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité »

La disparition d’un juste

L’abbé Pierre s’est éteint mardi 22 janvier. Beaucoup d’émotion et de tristesse ont ponctué les hommages unanimes en France et à l’étranger.

Et le châtiment (juste ?) d’un injuste

SH 30/12/06 FV
« Frères humains qui après nous vivez / N’ayez les cœurs contre nous endurcis / Car, pitié de nous pauvres avez / Dieu en aura plus tôt de vous mercis.(…/….) »

Les procès, la justice et les animaux

Nous gardons tous des bancs de la faculté des souvenirs de savoureuses affaires de taureau cardiaque (l’acheteur pouvant se prévaloir d’une erreur sur les qualités substantielles de la chose, voire d’un vice caché), de volailles trop bruyantes créant un trouble de voisinage, ou encore d’animaux de compagnie agressifs, engageant la responsabilité de leur maître censé en avoir la garde.

Trivial me direz-vous, mais quid de la truie condamnée en assise, des rats soulevant une exception de procédure, ou des termites plaidant non coupables ?!

Un topos littéraire

AU MOYEN AGE

Sans remonter à Homère, Aristote ou Pline, au moyen âge, on affectionne les bestiaires, ces traités sur les propriétés réelles ou légendaires des animaux, et sur les symboles moraux ou religieux qui en sont tirés. L’anthropomorphisme et le zoomorphisme inspirèrent toute une tradition de fabulistes. Le bestiaire jouera le rôle d’un miroir social permettant un enseignement moral doublé bien souvent d’une satire politique. Le célèbre Roman de Renard dessine ainsi une véritable société organisée comme celle des hommes, chaque animal ayant un nom et quelques traits de caractère.

Le Roman de Fauvel, moins connu, fut rédigé par un haut fonctionnaire de la chancellerie royale vers 1310. Cette satire visait le roi de France Philippe IV et, surtout, Enguerrand de Marigny, son principal conseiller. Pour déguiser sa cible, l’auteur adopte la formule du héros zoomorphe, Fauvel, un équidé dont le nom est l’acronyme d’une série de six vices reprochés au souverain et à son ministre : F comme Flatterie, A comme Avarice, U comme Vilenie , V comme velléité, E comme Envie, L comme Lâcheté.

Pour revenir au barreau, « La farce de maître Pathelin », chef-d’œuvre du théâtre comique médiéval (dernier quart du 15ème siècle) met en scène une affaire de détournement de draps et de brebis et un avocat peu scrupuleux finalement dupé par son client.

Curieuse coïncidence, à la même époque dans les marges des manuscrits ont retrouve de petites scènes généralement animalières (avec très souvent des singes parodiant l’homme) que l’on appelle drôlerie babouinerie ou même fatrasies. (Marginalia !)

L’AGE CLASSIQUE

Sur le viol de la justice par le pouvoir et la force, la conclusion de Jean de La Fontaine dans « Les animaux malades de la peste » reste désespérante et sans appel : " Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ”.

Avec « Les Plaideurs » (comédie inspirée des « Guêpes » d’Aristophane, Racine règle ses comptes avec le monde judiciaire (la pièce fut froidement accueillie à Paris, mais à Versailles Louis XIV goûta la charge). Sur fond d’intrigue amoureuse (Léandre aime Isabelle), Racine fustige la folie des plaideurs (Chicanneau et la comtesse de Pimbesche), la vanité et le ridicule des avocats et de leurs plaidoiries creuses («… Quand je vois le soleil et quand je vois la lune »…/ « Quand aura-t-il tout vu »…), la sénilité d’un juge (Dandin) qui envoie aux galéres le chien Citron accusé d’avoir volé un chapon !

AUJOURD’HUI

Autres temps, mêmes maux. La fable animalière reste d’actualité. (« Rhinocéros » de Ionesco « La peste » de Camus.). « Animal Farm » (1945) de Georges Orwell, satire mordante du stalinisme et de touts les totalitarismes, est devenue un classique ; « Four legs good, two legs bad », « All animals are equal but some are more equal than others ». Pour l’anecdote, le tyran du roman se prénomme « Napoléon »… Mais est-ce une anecdote ?!

Nicolas Chamfort, sans pitié mais toujours lucide, rappelait à ce propos il y a deux siècles, en forçant un peu le trait : « Le caractère naturel du français est composé des qualités du singe et du chien couchant. Drôle et gambadant comme le singe, et dans le fond très malfaisant comme lui; il est comme le chien de chasse, né bas, caressant, léchant son maître qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondissant de joie quand on le délie pour aller à la chasse. »

Les procès d’animaux : une étrange tradition

L’affaire la mieux documentée concerne la pendaison d’une truie à Falaise en 1386 qui aurait perpétré un homicide à l’endroit d’un enfant de trois mois, dont le bras et une partie de la figure furent dévorés. En plus de pendre la truie, on lui a tailladé une cuisse et coupé le groin. On l’avait habillé d’une veste, d’un haut de chausse et on l’avait aussi ganté.

On sait que de nombreux chats ont été jugés et livrés aux flammes durant l’Ancien Régime. Associés à Satan, on croyait qu’ils pouvaient être la métamorphoses de sorcières. On connaît nombre de procès concernant les animaux « nuisibles »; chenilles (1120), mouches (1121), serpents, anguilles (1225). Certaines affaires s’éternisent (ainsi de 1545 à 1787 contre des cantharides, ou mouche espagnole, à Saint-Jean de Maurienne).

Il était courant d’envoyer sur les lieux où séjournaient les animaux accusés, un huissier chargé de leur lire à haute et intelligible voix l’assignation à se présenter en personne, tel jour, telle heure, devant l’autorité judiciaire afin que l’état de contumace pût être décrété. Au jour et à l’heure dite, le tribunal attendait les inculpés les portes grandes ouvertes. Et comme ils ne se présentaient pas, il convenait alors de leur trouver une excuse plausible afin de pouvoir leur donner un procureur.

Lors d’un procès contre des scarabées du Coire, le juge, constatant que la citation à comparaître restait sans effet, estima qu’il convenait de ne pas tenir rigueur aux coléoptères «attendu leur jeune âge et l’exiguïté de leur corps» ! Assimilés à des mineurs, il devenait alors possible de leur attribuer un avocat pour les défendre.

Vieux débats des temps obscurs et irrationnels ? Que nenni ! Relevé dans une dépêche Reuter il y a quelques années (21 octobre 2004) :
« Les baleines, marsouins et dauphins du monde entier n’ont pas le pouvoir de poursuivre en justice le président des États-Unis parce que l’U.S. Navy utilise un système de sonar qui nuit aux mammifères marins.
Les trois juges de la 9e chambre de la cour d’appel de San Francisco, considéré comme une des plus libérales du pays, ont expliqué mercredi qu’il n’existait certes aucune raison pour laquelle les animaux ne seraient pas autorisés à porter plainte, mais que pour autant, ceux-ci ne s’étaient pas vu accorder ce droit ».

Hommage à Barthélemy Chasseneuz

Ce jurisconsulte érudit (1480 – 1541), auteur de plusieurs ouvrages dont un commentaire sur la coutume de Bourgogne (Lyon, 1517) qui fit longtemps autorité, joua un rôle important (avec Guillaume Budé) dans la défense des droits régaliens de la couronne de France (« Le roi est empereur en son royaume ») contre les romanistes, partisans de l’empire.

Un hommage à 3 titres :

  • (1) Chasseneuz est l’auteur de l’extraordinaire « Catalogus gloriae mundi » (1529 Lyon chez Denis de Hrasy pour Simon Vincent)

Il s’agit d’un savant ouvrage consacré à des recherches sur les rangs, les préséances, les offices, dignités et charges de la couronne, et qui se recommande par son illustration (de superbes bois en pleine page).

  • (2) Chasseneuz est célèbre pour avoir brillamment défendu certains animaux et notamment les rats d’Autun

Dans sa défense Chasseneuz souleva plusieurs exceptions de procédure. Le demandeur ayant accusé tous les rats, il plaida qu’il était injuste d’en assigner seulement quelque uns. Chasseneuz releva aussi que les délais de comparution imposés aux rats n’étaient pas assez longs, notamment parce que pour leurs petites pattes de rongeurs la distance était grande et pleine de périls. A cet effet il avait fait citer les prédateurs, tels que les chats, qui obligeaient les rats à effectuer de nombreux détours ! Chasseneuz obtint gain de cause et on aurait prolongé le terme de la comparution

  • (3) C’était aussi un juste, et son titre de gloire reste la défense de descendants des Vaudois.

Il était à la tête du Parlement de Provence lorsque fut rendu le 18 novembre 1540 un arrêt condamnant à mort par contumace un certain nombre d’habitants de Chabrières et Mérindol (dans le Lubéron). Ces descendants des vaudois étaient rendus suspects par la nouvelle doctrine de Luther. Chasseneuz a suspendu l’exécution de la sentence en demandant au Roi que les habitants de Mérindol fussent entendus. Après la mort de notre jurisconsulte en 1541, son successeur, le Président d’Oppede, fit exécuter l’arrêt dans toute sa rigueur.

Citations du mois

Plaider

«Une plaidoirie doit être comme une robe de femme: assez longue pour couvrir le sujet, assez courte pour être suivie.» (Anonyme)

« Plaider c’est expliquer parce que juger c’est comprendre » (Bâtonnier Allehaut)

« La clarté est la qualité maîtresse, elle domine tout » (Maurice Garçon)

Les procès

Voltaire prétendait qu’il avait été ruiné 2 fois ; la première parce qu’il avait perdu un procès, la seconde parce qu’il avait gagné un procès !

On connaît le plaidoyer célèbre d’Abraham Lincoln : « Discourage litigation. Persuade your neighbours to compromise whenever you can. Point out to them how the nominal winner is often a real loser – in fees, expenses, and waste of time »”.

Plus cynique : « Litigant :a person about to give up his skin for the hope of retaining his bones » (Ambrose Bierce)

Dans la même veine: « Lawsuit: A machine which you go into as a pig and come out as a sausage » et d’ajouter: « Death is not the end. There remains the litigation over the estate »

Avocats

« Lawyers are like rhinoceroses: thick skinned, short-sighted, and always ready to charge » (David Mellor)

Dans un genre plus… Buffon: « I think we may class the lawyer in the natural history of monster » (J Keats)
« Sea lawyer: a shark » (Lexicon balatronicum: a dictionary of buckish, university wit and pickpocket eloquence 1811)

Mais où est le coq ?

Érudition

La peine à laquelle doit être condamné le parricide en droit romain classique (loi Pompéia) :

« "La peine de parricide par l’institution des ancêtres est telle : le parricide est battu de verges teintes de son sang, ensuite on le coud dans un sac, avec un chien, un coq, une vipère et un singe, le sac est jeté dans la mer profonde, si la mer est très proche: autrement il est jeté aux bêtes par la constitution d’Adrien » (Digeste livre XLVIII titre IX; traduction de Hulot))

A suivre…