I. « C’ÉTAIT MIEUX AVANT »

La décadence n’est plus ce qu’elle était… En français dans le texte «Tout fout l’camp». A l’ancienne, «Pauvre France…», plus raffiné, «C’était pas si mal sous Giscard » (Comédie en 3 actes de X Patier), sournois, «Ils sont partout», soucieux, «Comment on va s’en sortir» ? La décadence est un topos ancien. Le Larousse la définit comme l’« État d’une civilisation, d’une culture d’une entreprise qui perd progressivement de sa force et de sa qualité; commencement de la chute, de la dégradation: entrer en décadence. Période historique correspondant au déclin politique d’une civilisation». Elle se distingue du déclin qui n’est parfois que temporaire. Le concept est d’abord utilisé au sens propre de ‘délabrement’ ou ‘vieillissement’ (au 17ème s) puis au sens métaphorique de ‘déclin,’[1] ou de ‘dépravation des mœurs’ (au 18ème s). Conceptuellement la ‘décadence’ est symétrique de son versant ascendant, le ‘progrès’. Après les ’30 glorieuses’ et avant les ’30 honteuses’, les ’30 ruineuses’ ? Tantôt une méditation esthétique sur les ruines, d’Athènes, de Rome ou de Boulogne Billancourt, tantôt une signification eschatologique, «volupsa» germanique, crépuscule des dieux, ou millénarisme avec jugement dernier.

Le paradigme c’est la chute de Rome. Montesquieu, Gibbon, Toynbee, tout le monde a son idée et sa théorie. La faute aux contacts avec les barbares (Végèce), la faute à la perte de la vertu civique chez les chrétiens (trop concernés par le royaume des cieux), la faute au fer à cheval des tribus barbares (Richta), la faute à l’effondrement du système financier et à la pression fiscale au Vème s siècle (Ward, Perkins), la faute à l’ascension des sassanides en Perse (Heather), « O Tempora o Moresque », la faute à l’empire lui-même qui ne pouvait perdurer sans système budgétaire (Burke, Toynbee), la faute à la déforestation, aux changements climatiques et aux épidémies (Tainter). Mais de quelle chute parle-t-on ? L’empire romain d’Orient a perduré 1000 ans et il existe une continuité entre l’antiquité tardive et le monde médiéval (Pirenne, Brown). La bataille de Poitiers stoppe les conquêtes arabo-musulmanes, marque l’ascension du royaume franc et la continuation de l’État impérial romain. Et puis la chute de Rome va permettre une transmission du flambeau de la culture gréco-latine à l’Europe entière. La philosophie allemande a développé sur ce thème des philosophies de l’histoire mystiques ou romantiques (Herder, Schlegel, Goethe, Novalis). Pour les juristes, le droit romain est une ‘ratio scripta’. Il a joué pour l’Occident un rôle de mythe rationnel, une «viva vox juris» (une voie/voix vivante du droit) [2].

Le thème de la décadence a aussi inspiré les Modernes [Voir la belle somme de J Freund « La décadence » (Sirey 1984)]. «Je suis l’empire à la fin de la décadence /Qui regarde passer les grands barbares blancs/En composant des acrostiches indolents/D’un style d’or où la langueur du soleil danse » (Verlaine, «Jadis et Naguère»). O Spengler défend une vision cyclique de l’histoire, chaque culture étant déterminée par son héritage, ses valeurs et son sentiment du destin. («Le Déclin de l’Occident», ‘Der Untergang des Abendlandes’, 1918-1922). Pour A Toynbee l’effondrement c’est d’abord le déclin d’une « minorité créative» jalouse de privilèges héréditaires qu’elle a cessé de mériter. « Les civilisations meurent de suicide, pas d’assassinat».(«A Study of History», 1934-1961). J Diamond complète l’analyse avec un volet environnemental (« Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed » 2005). Aujourd’hui en France les signes de déclin et de décadence se multiplient, sans véritable volonté d’y remédier. On perd le sens du réel au profit de règles formelles qui finissent par tenir lieu de nouvelle réalité. Ile de France, île de Pâques ou îles Pitcairn ? Sommes-nous des Mayas en puissance ? « La fin de l’espoir, c’est le commencement de la mort » (de Gaulle).
II. UNE ÉCONOMIE EN DÉCLIN PROGRESSIF ET DURABLE

Décrochage de l’industrie et déficits abyssaux

N Sarkozy essayait de vendre des Rafales aux Brésiliens, F Hollande essaie de vendre des ‘Pigeots’ en Algérie. Chacun son truc. Mais l’Airbus cache la forêt, l’essentiel est ailleurs. On amuse la galerie avec des rapports ronflants ou des pactes de dupes, on change d’entraîneur, mais l’économie française pédale dans la choucroute sous l’œil goguenard des anglais et inquiet des Allemands. Au milieu de la tempête, le capitaine Hollande et son équipage, imperturbables, sans carte ni radar, foncent vers l’iceberg.

Louis Gallois, Commissaire général à l’investissement, Panoramix de la compétitivité, Monsieur Propre de l’efficacité et du dialogue social a remis le 5 novembre dernier au Premier Ministre un rapport de 67 pages « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » contenant 22 propositions.
Son constat est implacable. « Le décrochage de l’industrie française, qui s’est amorcé dans les années 1970 s’est accéléré au cours de la dernière décennie, notamment par rapport à l’Allemagne, mais aussi par rapport à la Suède ou l’Italie. Toutes les analyses récentes convergent vers un même constat: l’industrie française atteint aujourd’hui un seuil critique, au-delà duquel elle est menacée de déstructuration [3]. Les causes du déclin hexagonal et les blocs de handicap structurels sont connues et rappelées par le rapport : (1) La recherche, l’innovation et la formation mal articulées avec l’industrie (2) Des flux de financement insuffisamment orientés vers le tissu industriel (3) La faiblesse de la structuration et de la solidarité industrielles (4) Un dialogue social insuffisamment productif. Le marché du travail fonctionne mal ». Il y a les contes publics sur le modèle français, subtil équilibre colberto-social-démocrate et puis il y a les chiffres, les vrais et le tonneau des Danaïdes. Inventaire à la Préverication pour 2012; 70 milliards d’euros de déficit pour le commerce extérieur, 5 milliards pour les retraites, 13 milliards pour l’assurance maladie. Régulièrement la cour des comptes dénonce les gabegies en tous genres. En septembre dernier D Mingaud a fait l’audit des finances publiques. Il n’y a plus de magot, les caisses sont vides et le pays vit au-dessus de ses moyens. Pire, ailleurs on fait mieux avec moins d’argent, et nettement moins de fonctionnaires.

Comment s’en sortir ?

Le rapport du Commissaire général à l’investissement recense les atouts du village Gallois : (1) Des pôles d’excellence mondiaux (l’industrie culturelle, le luxe, la pharmacie, l’industrie aéronautique et aérospatiale, l’industrie nucléaire, le tourisme) (2) De grands groupes puissants plus nombreux qu’ailleurs (3) Une terre d’émergence de PME innovantes, (4) La recherche, des ingénieurs et personnels techniques bien formés et appréciés à l’étranger (5) La productivité horaire du travail (6) La faiblesse relative du prix de l’énergie électrique pour l’industrie (7) Les infrastructures, les services publics, et la qualité de vie. En version tweet, notre pays est une Venise nucléaire; un musée qui s’enfonce… Au menu, pour repartir de l’avant, 6 plats sont proposés par LG.

En entrée 1 Potage de cote d’alerte atteinte. 2 Velouté d’ambition industrielle: la montée en gamme (priorité à l’investissement et un choc de confiance, préserver le coût de l’énergie, montée en gamme: de l’innovation à l’exportation).

Les plats de résistance 3 Tourte de structuration et solidarité du tissu industriel: faire travailler les acteurs ensemble (Faire croître le nombre d’ETI, renforcer la solidarité des filières industrielles, développer les solidarités territoriales). 4 Cuissot de leviers de la politique industrielle (une formation répondant aux besoins de l’industrie, un financement dynamique, le Commissariat Général à l’Investissement : l’instrument de l’État au service de la préparation de l’avenir).

En dessert 5 Salade de fruits exotiques pour une politique industrielle européenne (une stratégie industrielle européenne trop générale et lacunaire, une politique de recherche et d’innovation européennes, une politique de la concurrence au service de la compétitivité, une politique commerciale extérieure au service de « l’ouverture équitable », une politique monétaire extérieure au service de la croissance 6 Tarte tatin au nouveau pacte social (concertation sur le financement de la protection sociale, négociation sur les Institutions Représentatives du Personnel (IRP), négociation sur la sécurisation de l’emploi, un Pacte Social).

On reste sur sa faim. Sur la forme, une note de synthèse appliquée et fade (le rapport Attali avait plus de souffle). A l’image de Monsieur météo, L Gallois explique le temps qu’il fait, pourquoi les dépressions se succèdent et plombent l’hexagone, mais les recettes pour faire revenir l’anticyclone de la croissance ne sont guère convaincantes. Quant au fond, le « Pacte pour la compétitivité » ressemble fort à un pacte de dupes, une ‘resucée’ de la ‘Nouvelle société’; la 3ème voix, Delors, Rocard, «Chabandabada». La souris a accouché d’une montagne de bonnes intentions; un fourre-tout de truismes économiques, du colbertisme réchauffé au gaz de schiste; pire, un sentiment de 1000 fois déjà vu et entendu. Nos dirigeants exorcisent les problèmes avec des rapports. Les médecins de Molière soignaient en pratiquant des saignées. Le docteur Cahuzac n’a pas trouvé mieux.

La grenouille française veut rivaliser avec le bœuf allemand. On voudrait transformer les français en scandinaves vertueux et solidaires, en allemands travailleurs et consensuels, en italiens astucieux. Le problème c’est que la barre est tenue par des technocrates, rentiers du concept, machines à pondre des discours vides et qui n’ont jamais eu de responsabilités entrepreneuriales, ni de budgets à équilibrer. Méthode Coué, méthode couarde, on se trompe et on trompe. La fonction performative du langage à des limites, à commencer par le bon sens. Un jour il faudra que les énarques comprennent qu’on ne fait pas pousser de l’herbe en décrétant qu’il faut qu’elle pousse, ou en tirant dessus ! La conclusion phare et ubuesque du rapport Gallois censée «sur-plomber» les propositions plus spécifiques, confirme la gravité du mal génétique hexagonal, la ‘bureaucracite aigue’: « Toute nouvelle disposition législative ou réglementaire significative, toute nouvelle politique lancée par l’État devrait être accompagnée d’un document précisant son impact sur la compétitivité industrielle et les moyens d’en réduire les effets négatifs éventuels. » La boucle est bouclée, les bureaucrates gardent la main ou les délices de l’injonction paradoxale, de la double contrainte (école de Palo Alto) et de l’hétérotélie . La Concorde, le concorde, la France, le France avant le…Concordia. Terminé pour la barre et les machines !

Des réformettes pour amuser la galerie; ‘contrats de génération’ et ‘emplois d’avenir’.

Le gouvernement, marabouté par des fantômes idéologiques, le « statu quo hanté » et l’obsession du consensus, ne sort de l’immobilisme que pour faire monter la pression fiscale et agiter le vieux hochet des emplois aidés. Les ‘contrats de générations’ sont sensés, grâce à des allégements de charges, favoriser l’embauche des jeunes de moins de 26 ans, associé au maintien dans l’emploi d’un senior de plus de 57 ans. Faute d’accord des partenaires sociaux, des ‘aménagements’ seront imposés avec sanction financière de l’inspection du travail à la clé. Encore une usine à gaz. L’objectif annoncé de 500 000 embauches en 5 ans a été fait au doigt mouillé, et le financement limité à 180 millions d’euros en 2013, va atteindre un milliard d’euros en 2016. Les financements non votés pour 2013 (dans l’attente d’un projet de loi de finances rectificative), seront assurés par Pôle emploi. Après, on compte sur les économies qui seront dégagées grâce au Pacte de compétitivité. Le syndrome de ‘Perette et le pot au lait’. Saint-Simon reste d’actualité: “Le gouvernement se laisse guider par des principes totalement usés et entièrement discrédités, de manière que toutes ses démarches sont fausses et que toutes les mesures qu’il prend sont mal conçues, même quand ses intentions sont bonnes. »

III. L’ÉDUCATION EST EN PANNE

Le Bulletin scolaire de Marianne n’est pas bon. 520 points, 29e rang sur 45 dans le classement PIRLS (‘Programme International de Recherche en Lecture Scolaire’) qui mesure tous les cinq ans les compétences de 300 000 élèves de 49 pays dans leur langue maternelle [Au-dessus de la moyenne internationale (500 points), mais en deçà de la moyenne européenne (de 534 points).] . Sur le Podium Hong Kong (571 points), la Russie et la Finlande (568 points ex-aequo). Quatre cancres dont la France ont vu leur performance diminuer en dix ans. La performance des élèves français pour la compréhension des textes informatifs a chuté de 13 points en une décennie. Ils sont surreprésentés dans le groupe de niveau le plus faible, et sous-représentés dans le groupe le plus fort. La faute à qui ? Paradoxalement la massification scolaire s’est accompagnée d’une baisse de la lecture des livres. Selon une enquête récente un tiers de collégiens de 11 ans, affirment lire tous les jours mais ils ne sont plus que 9 % à 17 ans. Avec l’acné adieu ‘Harry Potter’, ‘Sabrina l’apprentie sorcière’, et les BD de Dracula, bonjour ‘farce book’ et les ‘Je Vidéo’. « Depuis une trentaine d’années, c’est un fait, chaque génération lit moins que la précédente ‘(S Octobre). Pas de note de Math, Marianne prudente, s’est fait porter pâle le jour de l’évaluation [4]. Trop fort !

Que faire lorsque les rouages de la transmission ont été brisés ? Dans l’attente d’une génération spontanée, V Peillon, ‘Géo Trouvetou’ aristotélicien, se débat avec l’infiniment petit et l’infiniment complexe. Dans la soupe primitive, les projets de rénovation de l’école se succèdent plus vite que les plans quinquennaux soviétiques. Notre Vincent Potter ne fait pas les choses à moitié [5]. On compte sur le numérique pour sauver le Mammouth, avec le raccordement informatique de la Creuse, de nouvelles ressources pédagogiques, et la maintenance des profs. «On avance, on avance on avance, on n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens, mais faut qu’on avance »…

Ce 666ème plan d’informatisation et ‘rénofondastructuration’ de l’Éducation Nationale va boguer. Le problème n’est pas le haut débit, c’est le grand débile. Le numérique fera peut-être sauter des blocages bureaucratiques et syndicaux mais ne résoudra pas le problème de fond, celui de la difficile transmissions des savoirs. Quelques suggestions de bon sens qui, elles, ne coûteraient rien: (1) Rapatriement des enseignants en détachement, disponibilité, congés pédagogiques, formation trans-numérique, et renvoi d’urgence sur le front, pas celui de gauche, mais celui des écoles, des collèges et des lycées, (2) Limitation des projets pédagogiques sur l’adaptation de Bérénice en Rap, les châteaux fort en pot de yaourt, et les ateliers flamenco pour apprendre l’espagnol (3) Interdiction des smartphones, des iPad, et des couteaux à cran d’arrêt dans les classes (4) Davantage de dictées, de grammaire, de calcul, d’histoire et de géographie (5) Pour les parents d’élèves, limitation drastique de l’accès des enfants aux écrans numériques afin de leur redonner du temps, le goût de la lecture, de l’étude et de la pensée.

Les bibliothèques virtuelles universelles, les métamorphoses du livre numérique et les nouveaux modes de lecture dont on nous rebat les oreilles, c’est très bien quand on sait déjà lire, chercher et penser. C’est très bien pour M Fumaroli ou U Eco, mais c’est un leurre et un piège pour Beverley, Kevin, Mustapha et Jean Charles qui se prennent dans la toile comme des mouches et se noient dans la grande ‘mare nostrum’ de l’information. Vieux paradoxe des livres de poche, des Maisons de la culture et théâtres subventionnés qui n’ont jamais alphabétisés personne. La politique culturelle profite un peu aux lettrés et beaucoup aux apparatchik cultureux qui lorgnent vers le conseil d’administration de la future Villa Médicis de Montfermeil, la présidence du Master ‘Tag-Rap- Capoeira’ de l’Université Patrick Sébastien de Bobigny, et la future annexe du Musée d’Orsay de Villers-Bocage.

IV. DÉCADENCE CULTURELLE

‘Juvénalisation’, ‘mangaisation’ et crétinisation ‘mainstream’

Les 12 meilleures ventes de « livres » dans l’hexagone en décembre 2012: 1 «La vérité sur L’affaire Harry Quebert» J Dicker, 2 «Blake et Mortimer, Le serment des cinq lords» Y Sente A, Juillard, 3 «Le Sermon sur la chute de Rome» J Ferrari, 4 «Cinquante nuances de gris» E. L James, 5 «Lou T.6 ; L’âge de cristal» J Neel, 6 «Le chat erectus» P Geluck, 7 «Tout seul; souvenirs» R Domenech, 8 «III T.21 ; L’appât » – Y Sente 9 «Le Dictionnaire de Laurent Baffie» L Baffie 10 «La couleur des sentiments» K Stockett, 11 «Carnets secrets» JL Delarue, 12 « Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B», J Tardi. Cinq Bandes dessinées, une bande sans dessiner (Si c’est pas por no c’est por les autres), un Goncourt, et un Goncourt des collégiens à offrir pour Noël à l’intello de la famille. Que rajouter à ce triste spectacle ? Le lancement de l’Institut de Tweetlittérature comparée et du 1er festival de tweetterature de Québec [5] !

Juvénal dénonçait la décadence et l’hypocrisie de la Rome Impériale, repère d’aigrefins, de faux dévots, de bouffons et de proxénètes. «Difficile est saturam non scribere». Dans ‘Juvénal’ il y a, ‘vénal’ et ‘juvénile’, entre autre… Rien de nouveau depuis le IIème siècle, «Panem et circenses», clientélisme, évergétisme et triomphe Delarue. M….comme «Mainstream». Le crépuscule des idoles pas celui des idiots. Aujourd’hui les enfants ont le lourd et triste privilège de faire l’éducation de leurs parents. Au-delà de la dextérité de la Petite Poucette qui ravie M Serres et apprend à son grand père à envoyer des SMS avec son pouce, la mode est à la Bdisation et à la Mangaisation tous azimuts.

La série « Manga de Dokuha » ne recule devant rien; on trouve dans son catalogue: ‘Les Frères Karamazov’, ‘Hamlet’ ; ‘Les Misérables’ ou le ‘journal d’Anne Frank’. Les milliers de pages de la ‘Recherche du temps perdu’ et du ‘Voyage au bout de la nuit’ vous effraient ? Pas d’inquiétude, Marcel a été Mangaisé pour 6,99 euros, et L Deutsch, gros malin renifleur de coups éditoriaux, a accouché d’un « Paris de Céline ». Encore trop de texte ? Offrez-vous « L’arche et la colombe » un album photo souvenir de l’arrière petite nièce de Proust, façon ‘Paris Match’ à Combray. À suivre, la recette des bonnes madeleines d’autrefois dans « Cuisiner comme Francoise », « Elle déco – spécial les intérieurs de tante Léonie » ; « 50 millions d’amis, hors-série Céline, Bébert et Toto », « Apprenez le grand écart sans effort avec Lucette » etc. La glissade continue, inexorable. La collection « Pour les nuls » veut élargir son lectorat trop élitiste, et propose une version moins scientifique, dite « pour les nuls- en bande dessinée ». La concurrence est féroce. Duel de géants avec ’L’histoire de France en Bande dessinée’ de L Deutsch (Casterman), ‘Le grand bêtisier de l’histoire de France’ (Larousse), ‘La France, histoire curieuse et insolite’ (Éditions Ouest-France). La prochaine étape ce sera l’histoire de France en tweet, un siècle pour 135 signes, Topissime !

Séparer le bon grain de l’ivraie

En 2013 nous allons célébrer le centième anniversaire de la publication de « Du côté de chez Swann », premier opus de « La Recherche du temps perdu », dont l’édition se poursuivra jusqu’à la mort de Proust en 1922. Pendant l’hiver 1940-41 Joseph Czapski peintre et officier polonais prisonnier à Griazowietz (URSS), ne tweetait pas. Pour lutter contre le désespoir et la déchéance il organisait avec ses camarades rescapés des massacres de Katyn, sans notes, des conférences sur Proust et la ‘Recherche’. Balzac, Tolstoï, Conrad, Anatole France, Barrès étaient aussi de la partie. « La seule vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature » (Proust, Le temps retrouvé). Il y a 75 ans la Culture française rayonnait encore. La littérature servait de rempart à la barbarie [7]. En 2013, il nous reste les anniversaires, les fantômes, les masques, la nostalgie, les rééditions élégantes de leçons de choses chez Deyrolles, les planches pédagogiques d’autrefois, les cahiers de géographie de nos grands-mères, et les belles histoires de l’oncle Paul.

Je ne suis pas iconoclaste. Je ne veux pas jeter le bébé Cadum avec l’eau du bain. La bande dessinée a ses maitres, parfois visionnaires: Hergé et l’aventure spatiale, Jacobs, les dérèglements climatiques ou la géopolitique («SOS Météores», «Le secret de l’espadon»,). «Faire une bande dessinée c’est se souvenir » (C Ware). Au siècle dernier le «Politically correct» ne faisait pas la loi [8]. Un incipit sans fioritures de Jacobs:« Tandis que dans le monde inquiet se multiplient pactes et conférences, tapi au cœur de l’Asie, le mystérieux « empire jaune »vient d’achever les préparatifs de la plus criminelle des guerres. Aventurier habile et sans scrupule, le colonel Olrik chef du 13ème bureau et conseiller militaire de l’usurpateur Basam-Damdu, empereur du Tibet, procède à une ultime inspection de l’arsenal de Lhassa, sous la conduite du colonel Paksa, responsable de l’organisation technique de l’armée » (Le secret de l’espadon, 1950-53). 60 ans plus tard, ça bouillonne dans la mer de Chine, le lanceur Nord-coréen Taepodong-2 et le satellite Kwangmyongsong-3 donnent des sueurs froides au NORAD. L’histoire bégaie.

La bande dessinée compte de vrais artistes. En 1998 S Heuet s’est lancé dans une belle adaptation de la ‘Recherche’ mais elle ne remplacera jamais la magie du texte proustien. Le talent n’est pas héréditaire. C’est vrai pour les Lettres, et pour le 9ème Art. La descendance biologique, adoptive, spirituelle ou les suiveurs, n’égalent jamais l’original. Gaston Lagaffe, Lucky Luke, Tanguy et Laverdure, le Lieutenant Blueberry sont devenus orphelins à la mort de Franquin, Morris, Charlier et Giraud. On ne réchauffe pas un soufflé. Hergé avait raison, terminus après « Vol 714 pour Sydney ». Dernier avatar des ‘saisons 2’ et héros clonés, Michel Vaillant VRAAAAAOOOOUUUUUUUMMMMM et l’album « Au nom du fils ». Junior ne tient pas la route. À quand le fils caché de Corto Maltese, la fille de Rahan, la femme du Lieutenant Blueberry, Natacha demande le divorce à Archie Cash et épouse Yoko Tsuno (il faut être de son temps) ? « Un père spirituel n’est pas forcément un papa rigolo » (P Geluch).
V) LES DEMONS FRANCAIS

A) RELOOKER LE MAMMOUTH

« Le changement c’est maintenant ». Le gouvernement, à la Crozier des chemins, propose un Mammouth Newlook version Christian dort… Il est urgent de discuter de l’ordre du jour mais pas de précipitations, il faut des compromis, laisser du temps au temps, et in fine, ne rien changer. Un tiers mandarin chinois, un tiers satrape ottoman, un tiers dignitaire soviétique, sans oublier un 4eme tiers « Messieurs les ronds de cuir », l’idéal type du modèle bureaucratique français est plus courtelinesque que Wébérien. Une révolution est en marche; la ‘Révision Générale des Politiques Publiques’ vient d’être remplacée par la ‘MAP’ (Modernisation de l’Action Publique). On reprochait à la RGPP d’être trop « quantitative », trop « centralisée », trop « directe », sans doute trop efficace ! «La constance d’une habitude est d’ordinaire en rapport avec son absurdité» (Proust, La Prisonnière).

Rien ne peut arrêter le char lourd de l’État (95 litres d’encre aux 100 pages de rapport) qui patrouille sur le millefeuille crémeux de la France bureaucratique. Mme Y Moreau (conseillé d’Etat, Président du Haut conseil du dialogue social [9]) préconise la création d’un « Commissariat général à la stratégie et à la prospective » (CGSP), clone du commissariat au Plan supprimé en 2005. Y Moreau, constate qu’ « il manque un lieu bien structuré de prospective et de stratégie, placé auprès du premier ministre, qui assure une cohérence d’ensemble des politiques publiques et qui entretienne des liens effectifs avec les décideurs ». Le CGSP serait « un lieu transversal de concertation et réflexion  »à froid », c’est à dire un lieu de synthèse et de partage, au service de la construction d’une vision de l’avenir ». Le rapport Moreau suggère une rationalisation et simplification révolutionnaire des différents organismes de conseil et d’expertise auprès du Premier ministre. Le ‘Conseil d’Orientation des Retraites’ (COR), le ‘Conseil d’Orientation pour l’Emploi’ (COE) et le’ Conseil d’Analyse Economique’ (CAE) seraient maintenus, mais le ‘Conseil d’Analyse de la Société’, le ‘Comité de Pilotage des Régimes de Retraite’, le ‘Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale’ sont dans le collimateur. Survivront-ils en 2013 ? Suspense insoutenable pour les suites qui vont être données au rapport de Mme Moreau tire aux flancs. ‘Dignitas non moritur’. «L’imbécilité humaine est un bien curieux spectacle» (Courteline).

On pourrait multiplier à l’infini les exemples de cette réformite folle et ubuesque, des gabegies à tous les niveaux et couches du millefeuille bureaucratique français. Ancien élève de l’ENA, O Saby dénonce le système de l’intérieur; 27 mois de formation [10], ambiance délétère, incompétence de nombreux intervenants, ambitions démesurées des élèves (« Promotion Ubu Roi », 2012). « Les énarques ces hommes dédaigneux qui savent des choses inutiles» (A Santini). S’agissant des collectivités territoriales, on s’interroge sur la légitimité et l’efficacité des 36 ‘organismes associés’ de la région Ile de France; 1 200 personnes, un budget de 190 millions d’euros, en hausse de 22% depuis 10 ans, et des domaines d’interventions mal définis. Même maquis dans d’autres organisations comme par exemple les syndicats patronaux. 155 Medef territoriaux, 687 branches professionnelles [11]. «Moins le poste que vous occupez sera élevé, plus votre absence sera remarquée» (Courteline).

B) KAFKA CHEZ LE SAPEUR CAMEMBERT; LE TEMPS DES INVENTAIRES ET DES ECHEANCES

En France la réforme de l’État est une vieille scie, presque aussi vieille que l’Etat, mais elle n’a jamais bénéficié de l’appui politique ni de la continuité d’action. De grands commis se sont essayés à l’exercice; H Fayol, L Blum, R Capitant, M Debré…«Combien de malins, combien de capitaines… ». On a tout essayé pour dépenser mieux et moins; la ‘Rationalisation des Choix Budgétaires’ (1968), le ‘New Public Management,’ la décentralisation (1982), la circulaire ‘Renouveau du service public’ (1989), le décret relatif à l’évaluation des politiques publiques (1990), le recours aux agences publiques, l’e-administration etc. Des grands commis on passe vite au grand comique; la RGPP, RGPO, ADAE, MINEF, CIRE, LOLF (qui porte bien son nom). Faire revenir dans la sauce de Peters, épicer avec la loi de Parkinson ou de Brooks… Ionesco fait du consulting et la révolution permanente. Mais nous avons toujours plus de papier ou de fonctionnaires car il faut phosphorer sur l’évaluation de la réforme de la modernisation de l’amélioration du service public ! «Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats » (Proust, ‘Le temps retrouvé’). Faute de pouvoir et vouloir s’atteler à des réforme de fond, simples et de bon sens (fertiliser le terrain économique, favoriser l’esprit d’entreprise et la confiance), le gouvernement met en branle une gigantesque bureaucratie qui tourne à vide pour penser sa propre transformation à la recherche de l’efficacité. Comment gouverner un pays qui produit plus de 300 sortes de « fromages» ! A qui profite le crime ? Pas à la compétitivité française. On tire de tout cela des éditoriaux, des pièces de théâtre, mais cet absurdistan a un prix [12]. Les chaines les plus lourdes sont les chaines de papier. «La France est un pays extrêmement fertile: on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts» (G Clemenceau).

Il me semble que quelque chose s’est brisé depuis une décennie, et le désenchantement s’accélère à toute vitesse depuis 18 mois. Les vieux numéros de prestidigitation et d’hypnose sur l’intérêt commun’, la ‘res publica’, la ‘citoyenitude’ et la grandeur du service public, ne marchent plus. Les français, comme les soviétiques voyagent, lisent les journaux, s’expatrient (la mondialisation est passé par là), comparent avec leurs voisins, et réalisent qu’ils n’en n’ont pas pour leur argent. Aujourd’hui on connait la musique. On ne leur fait plus la grande tirade sur le siècle des lumières et l’humanisme, la grande scène du ‘il fait bon vivre ensemble’, de l’honneur et du privilège d’être français. Le « service public » n’est plus un mot magique, le « César ouvre-toi ». Tout le monde décode, il est question de la sauvegarde du service public du service public, du corporatisme, et des privilèges. La bureaucratie et la division des lâches…La France, tigre de papier ou plutôt royaume des cocottes en papier, est devenu un nain aux pieds d’argile. « Ce que les français détestent ce ne sont pas les inégalités, ce sont les inégalités autres que celles qui sont octroyées par l’Etat » (JF Revel).

François de Florette s’épuise à chercher les sources de la croissance, avec sa baguette de coudrier élaguée à Notre-Dame-des-Landes. Il multiplie les incantations, distribue les sésames, la ‘2037 d’or’ du contribuable vertueux, la légion d’honneur du millionnaire résistant aux sirènes de l’exil à Bruxelles ou Moscou. Lorsque F Hollande et notre énarchie auront réussi à faire fuir les actifs, les ambitieux, les travailleurs ou les millionnaires, il ne restera que des fonctionnaires et les sans-papiers en transit vers l’Angleterre. lls pourront s’interroger à loisir sur la réforme de l’efficience de la fonction publique et sur la bureaucratie « comme univers heureux et coupable » (P Legendre).

C) GUERRES CIVILES ET ZIZANIES

Boudin rouge contre boudin blanc

Il faut arrêter de se voiler la face ; le « modèle français » fait rire tout le monde sauf les français. Le plus grave ce n’est pas la faiblesse de notre économie, l’impuissance de l’Education Nationale, l’abstentionnisme électoral ou la montée des extrémismes. Le plus grave c’est qu’on ne pourra s’en sortir que dans l’unité, et qu’on ne voit pas comment cette union sacrée va se faire. Pas avec N Sarkozy qui, maladroit et égoïste, a raté une occasion historique de remettre le pays sur le rail. Pas avec F Hollande qui nous refourgue des anchois avariés en les faisant passer pour des produits exotiques. Lutter contre les démons qui minent le pays, réconcilier la nation avec elle-même, réconcilier le peuple, l’Etat et le pays, voilà la vraie urgence à court, moyen et long terme pour les politiques. «La justice sociale se fonde sur l’espoir, sur l’exaltation d’un pays, non sur les pantoufles » (De Gaulle).

Les démons français ce sont les guerres civiles qui minent l’hexagone depuis toujours et se multiplient. « Il n’est pas frais mon poisson… ?! ». Nous déclinons les zizanies depuis des siècles à toutes les sauces: boudin noir contre boudin blanc, Armagnac contre Bourguignons, catholiques contre protestants, la Fronde, les Parlements, jansénistes contre jésuites et gallicans, royalistes contre républicains, communards contre les Versaillais, ouvriers contre bourgeois, école laique contre école privée, conservateurs contre progressistes, réformistes contre réactionnaires, gauchistes contre gaullistes, Paris contre Province. Aujourd’hui de nouvelles fractures fragilisent un peu plus notre banquise hexagonale: jeunes/vieux, Paris/banlieue, public/privé, entrepreneurs/fonctionnaires, actifs/chômeurs, famille traditionnelle/ famille mono homo, Torreton/Depardieu etc.

Torreton contre Depardieu

A gauche on aime le théâtre, de préférence subventionné, le paysan du Danube, Robin des bois et Thierry la Fronde. On se moque du gros Gérard, nouveau shérif de Sherwood, qui s’exile en Belgique et manque de panache. Torreton, nouveau de Guiche, chevalier sans peur ni reproche de l’ordre des arts et des lettres, Scapin conseillé de la mairie de Paris, DonJuan arrivé et qui a gardé ses abdos, a taillé un short XXXXL à Gérard Cyrano: « Ne le plaignez pas trop… ». Boudin rouge contre Boudin blanc. Torreton Richard III prend sa plume et part au galop, « A horse! A horse! My kingdom for a horse! ». Depardieu est un déserteur: « Monsieur le Président je vous fais une lettre que vous lirez peut être si vous avez le temps / je viens d’apercevoir Gérard et sa rombière qui s’enfuient vers l’arrière… »

Robin des bois c’est un beau rôle, noble, exaltant, difficile lorsqu’on veut changer la vie, lorsqu’on a un plan ‘B’. Mais il ne faut pas trop en demander à de Guiche. La propriété a du bon, et le commerce n’est plus le vol. Aujourd’hui il faut défendre le char de l’Etat, et rester sur le pont pendant la tempête, de préférence, le pont d’Avignon et sa cour d’honneur. Lorsqu’on n’est pas Saint François il faut être un peu jésuite et utilitariste, surtout quand la charité chrétienne n’a plus court. Trop riche c’est combien ? Pourquoi une limite à 75 % ? Quel bilan coût-avantage ? Quelle image en Europe et pour les investisseurs étrangers dont le pays a besoin ? Questions futiles pour un de Guiche pensionnaire, sociétaire, sans culotte avec des hauts de chausses et des rubans de soie. Assurancetourix se fait servir le sanglier, ça change tout [13]. Reste la danse du ventre, le grand guignol du réalisme de la gauche efficace. Reste F Hollande le chauvesouris, plus Ubu roi que Richard III, ‘Je suis de gauche voyait mes aides, je suis efficace vive le Cac’ (La Fontaine ‘La chauvesouris et les 2 belettes’). Toujours le théâtre, théâtre de l’absurde.

Que reste-t-il de nos amours ?

Que reste-t-il de nos amours ? La France du « petit guerrier à l’esprit malin, à l’intelligence vive à qui l’on confie les missions périlleuses », la France des images d’Epinal, de Ferry, Jaurés, Moulin, Tom Morel ou Marcel Pagnol, c’est bien pour les campagnes électorales, mais c’est fini. Il y a un temps pour tout. Après la gloire de Treiweiller et le château de Mamère, c’est le Temps des secrets; notre village gaulois encerclés par les Goths et les Huns n’a pas de potion magique. Il faut arrêter de se voiler la face sur la gravité des fractures sociales, il faut arrêter de se payer de mots sur la richesse de la diversité, des saveurs du monde, le relativisme général. Les «quartiers» ont remplacé les «événements», mêmes litotes et non-dits. Droit à la différence et/ou droit à l’intégration ? On s’y perd. Pour que le multi-culturalisme prospère, il faudrait qu’il reste de la culture. Le ‘Bleu blanc rouge’ ne rassemble plus personne, drapeau gris, drapeau noir, drapeau en berne.

Que reste-t-il de notre ‘affectio societatis’ ? Pas grand-chose. La patrie ? Trop connotée. La Marseillaise ? Trop pure et trop sanglante. Nos ancêtres les Gaulois ? Une offense à la diversité. L’histoire de France ? Trop ancien. La famille? Atomisée. Le travail ? Il n’y en a pas, l’économie française ne crée pas d’emplois. L’école, les diplômes, la méritocratie, et l’ascenseur social ? Hors service. La langue ? C’est l’éclate, Mort de rire. Les grands principes, la France pays des droits de l’homme ? Cela n’intéresse que les sans-papiers [14]. Je force à peine le trait. Le ‘nous’, le contrat social se sont liquéfiés. Il reste l’individualisme, les replis identitaires et mes droits à moi. En 1966 ‘Et moi et moi, et moi’, c’était une chanson de J Dutronc. En 2013 c’est la multiplication cancéreuse des revendications, des droits subjectifs e.g. le droit au droit de, le droit aux enfants blonds aux yeux bleus, les jumeaux pour tous, le droit à l’intelligence, le droit à la bêtise… « Dans la culture du Sujet-Roi, de l’individu mini-État, chacun est à soi-même une secte, et la société une super-secte gérant l’absurde » (P Legendre). Quant au salut par le fédéralisme et l’Europe, c’est une farce. Son prix Nobel de la paix, César pour l’ensemble de son œuvre, ressemble à un hommage mortuaire. Tout cela sent le musée et le sapin. Aujourd’hui c’est chacun pour soi. A Merkel n’est ni Heidi, ni Sissi, c’est plutôt Non Non ! Personne n’est la dupe, le modèle français est un repoussoir.

La France est devenue une grande Sécurité sociale avec resto du cœur en cuisine américaine, et bon an mal an ses dizaines de milliards de déficit. En période suspecte, il nous reste la gouaille et l’esprit frondeur. Les 10 personnalités préférées des français en 2012 rassurent sur la permanence de la légendaire finesse française, garante du génie et de la grandeur nationale. 1 O Sy, 2 G Elmaleh, 3 Y Noah, 4 J Debouze, 5 J Dujardin, 6 L Guerra, 7 S Veil, 8 Z Zidane, 9 F Foresti, 10 D Boon. Cherchez l’intruse ! Au 18èmes Casanova rédigeait ses mémoires en français, on admirait et on jalousait l’esprit parisien, l’amour de la liberté, l’art de vivre et le raffinement de Versailles, la culture française représentait un certain idéal universel. C’est fini nous sommes rentrés dans le rang, sans ambition ni grandeur, rongés par nos querelles, crétinisés, digérés par Hollywood. JF Revel disait il y a 50 ans que, depuis le temps qu’il entend parler du rayonnement de la France il ne comprenait pas que le reste du monde ne soit pas mort d’insolation….Voici venu le temps des soldes et des grands inventaires, avant liquidation ou changement de propriétaire.

VI) MORCEAUX DE BRAVOURE

Courteline d’or au Premier ministre, ce Ayrault au sourire si mou, pour sa lettre de mission au Commissaire général Gallois

« (…/…) Il s’agit donc de donner un nouvel élan à l’industrie française. Tous les acteurs susceptibles d’y contribuer doivent être invités à se rassembler autour d’un véritable pacte productif pour la compétitivité, Ia croissance et l’emploi. Ces trois priorités sont au cœur des engagements du Président de Ia République. Elles ont animé les ateliers de Ia Grande Conférence Sociale qui s’est achevée le 10 juillet. Le choix de constituer un ministre de plein exercice consacré au redressement productif reflète l’engagement fort de mon Gouvernement dans ce domaine. Ce pacte productif doit se traduire par un programme opérationnel ambitieux, mis en œuvre sous l’impulsion de ce Gouvernement dans le prolongement de la Grande Conférence Sociale, et permettant de restaurer durablement la compétitivité de nos entreprises ct de les préparer aux enjeux de demain. Je souhaite que vous me fassiez part de vos propositions sur différentes mesures structurelles susceptibles de porter à nouveau notre industrie aux meilleurs niveaux mondiaux. Le diagnostic des atouts et des déficits de l’industrie française a fait l’objet de plusieurs analyses de qualité dans la période récente, notamment de la part de Ia Conférence Nationale de l’industrie, sous l’égide de Jean-François Dehecq. Vous en rappellerez les grandes lignes et, parmi les points les plus saillants, ceux qui engagent les politiques publiques. (…/…) Le sursaut que souhaite provoquer le Gouvernement implique une prise de conscience et une mobilisation collectives des industriels eux-mêmes, qu’ils soient donneurs d’ordres, équipementiers ou sous-traitants, ainsi que des partenaires sociaux. II est donc nécessaire que ces acteurs soient pleinement associes à l’élaboration des propositions que vous me soumettrez, s’agissant notamment du renforcement des filières et du dialogue social » (…/…).

Et l’on voudrait voir sortir quelque chose de salvateur de cette triste tisane ?! En France, après le nucléaire il nous restera toujours les usines à gaz et … l’énergie éolienne…« Nous payons des impôts pour rétribuer des fonctionnaires chargés de veiller à ce que nous payions bien nos impôts afin de rétribuer d’autres fonctionnaires» (Anonyme).

« Messieurs les Rond de cuir » (Courteline)

(…/…) Et quand enfin, autour de lui, c’était le triomphe du chaos, l’orgie auguste du pêle-mêle, l’enchevêtrement définitif et à tout jamais incurable, Van der Hogen prenait sa plume et documentait à son tour, lancé maintenant dans des flots d’encre. Entre deux murailles de dossiers équilibrés à chaque extrémité de sa table et que le passage de voitures agitaient de grelottements inquiétants, il couvrait de sa large écriture d’innombrables feuilles de papier qu’il envoyait par charretées au visa directorial et qu’on retrouvait aux lieux le lendemain matin : tartines extraordinaires, où se voyaient favorablement accueillies les revendications d’obscurs collatéraux enterrés depuis des années ; où des notaires envoyés à Toulon en 1818 pour faux en écritures authentiques étaient signalés au Parquet comme coupables d’infractions à des circulaires abrogées.
ll brochait ces âneries d’une main convaincue, s’interrompant de temps en temps pour brandir à travers l’espace des bâtons enflammés de cire rouge, abattre au hasard du papier des coups de timbre sec formidables, qui sonnaient comme, au creux d’une caisse, les coups de marteau d’un emballeur. Il regrimpait à son échelle, en redescendait aussitôt, s’en retournait ensuite aux archives pour, de là, rappliquer chez le bibliothécaire, une vieille bête que tuaient de chagrin, à petit feu, ses façons de charcuter le Dalloz, le recueil des avis du Conseil d’État et la collection de l’Officiel. Il bouleversait la Direction de son importance imbécile. Son inlassable activité était celle d’un gros hanneton tombé au fond d’une cuvette. Mystérieux, solennel, profond, il détenait des secrets d’État, et il n’avait pas son semblable pour demander aux gens : « Comment vous portez-vous ? » de la même voix dont il leur eût jeté à l’oreille : « Vous ne voudriez pas acheter un joli jeu de cartes transparentes ? » (Courteline, Messieurs les ronds de cuir).

«Trésor historique de l’Etat en France», «L’amour du censeur», «Leçons VI» (P Legendre)

« Il s’agit d’observer comment se propage la soumission, devenue désir de la soumission, quand le grand œuvre du Pouvoir consiste à se faire aimer. L’accomplissement d’un tel prodige a toujours supposé une science particulière, qui précisément échafaude cet amour-là et camoufle par son texte le tour de passe-passe d’un dressage pur et simple. Autrement dit, la Loi en chaque système institue sa science en propre, un savoir légitime et magistral, pour assurer jusqu’aux sujet la communication des censures et faire prévaloir l’opinion des maîtres. Sur l’étroit espace des traditions occidentales, mais grâce à la lignée ininterrompue des commentaires juridiques ou des nouvelles versions du texte, s’offre à nous cette manière étonnamment préservée, une science perpétuelle au Pouvoir. Des théologiens-légistes de l’antiquité aux manipulateurs de propagandes publicitaires, s’est perfectionné un seul et même outillage dogmatique, afin de capter les sujets par le moyen infaillible qui fait ici question : la croyance d’amour » (P Legendre « L’amour du censeur »).

« Les soutes de chaque Etat sont l’Administration; les soutes de la science de l’Etat, le magasin juridique. Ainsi calée, selon ses techniques propres et par des ficelles culturelles, la France peut naviguer; ainsi embarqués, selon leur style de croyance au pouvoir, les Français peuvent remâcher leurs principes, révolutionnaires notamment, ou aujourd’hui libéraux à tout-va. Elève de la haute tradition juridique européenne et, je l’espère, fidèle traducteur des théoriciens baroques, fondateurs des sciences camérales, j’ai pensé qu’il était opportun de notifier, dans le titre de ce livre, l’attache de l’historicité française aux représentations dont elle vit : ainsi ai-je emprunté aux classiques ce terme encore précieux, Trésor historique. Nous qui vivons sous la botte de la fonctionnalité gestionnaire, nous aurions, me semble-t-il, grand intérêt à réhabiliter, pour une stricte analyse, de tels concepts » (P Legendre «Trésor historique de l’Etat en France»).

« Si les dires scientifiques, sont appelés à trôner à la place du Tiers mythique, ils deviennent forme souveraine du dire et rite fondateur, leur autorité s’inscrit comme rapport au mythe, la légalité devient elle-même rite de la Science. Sur cette lancée, poursuivons : la Science devient rite du gouvernement, de par la logique structurale, statuts de légistes, c’est-à-dire en fait de juristes occultes. Un immense problème surgit : la mystification du Politique par les sciences » (Pierre Legendre, ‘Leçons VI’ 1992).

«Ces robes (…) c’était celles dont Elstir, quand il nous parlait des vêtements magnifiques des contemporaines de Carpaccio et du Titien nous avait annoncé la prochaine apparition, renaissant de leurs cendres, somptueuses, car tout doit revenir… » (Proust, ‘Le coté de Guermantes’).

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[1] Par exemple chez Bossuet (« Discours sur l’histoire universelle »), ou Boileau (« Traité du sublime de Longin » des causes de la décadence des esprits).

[2] La fonction heuristique du texte fondateur est de produire la raison. À ce titre, le ‘Corpus Juris Civilis’ de Justinien a statut de totem et d’emblème. Comme l’a démontré avec force Pierre Legendre, il signifie, sur le mode de l’emblème, le principe de signification. Le droit romain fonctionnera comme phénomène inaugural et de transmission (Le pontife et l’empereur ont « toutes les archives dans leur poitrine » selon la célèbre formule scolastique). Il a été une propagande et une raison (ratio scripta).

[3] Le ralentissement des gains de productivité du travail par tête en France est continu au cours des deux dernières décennies: 1979-1989 : + 1,5 % ; 1990-1999: +1,1 % ; 2000-2008: + 0,8 %. En 2009, le taux d’emploi de la France reste inférieur de 6 points à celui de l’Allemagne, mais il est surtout inférieur de 15 points chez les jeunes (15-24 ans) et de 18 points chez les seniors (55-64 ans). « Le déficit croissant du commerce extérieur marque nos difficultés à la fois vis-à-vis des meilleures industries européennes et face à la montée des émergents. La perte de compétitivité industrielle est le signe d’une perte de compétitivité globale de l’économie française. Car l’industrie ne se développe pas en vase clos : elle dépend des autres secteurs de l’économie, des services et de l’énergie en particulier ; elle dépend de l’écosystème créé par les politiques publiques, de la dynamique des dépenses et des recettes publiques, ou du fonctionnement des services publics, des grandes infrastructures, comme de l’appareil de formation et de recherche ou du marché du travail. Cette perte de compétitivité est, pour une large part, à l’origine des déséquilibres des finances publiques comme du chômage ; elle limite notre marge de manœuvre en Europe et dans le monde ; elle menace notre niveau de vie et notre protection sociale ; elle réduit la capacité de croissance de l’économie» (Rapport Gallois).

[4] Selon l’enquête TIMSS les écoliers de Singapour, de Corée, et de Hong-Kong sont largement en tête devant le peloton de suiveurs qui comprend la Russie, Israël, la Finlande, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

[5] « On va de A à Z », il ne faut pas « tomber dans les illusions technicistes. On n’est pas là pour s’abrutir devant des écrans », mais il faut les « utiliser pour progresser dans les apprentissages » (V Peillon).

[6] Le festival de tweetterature de Québec a son manifeste: « La twittérature est à la rature, ce que le gazouillis est au chant du coq. Les uns vantent l’alexandrin, d’autres jouent du marteau-piqueur. La twittérature n’est pas affaire d’homme ou de femme, elle est ambidextre, son manichéisme asexué. Elle est aussi singulièrement plurielle. La twittérature est à la portée de tous. Elle fait vibrer les sourds; elle illumine les aveugles; les manchots peuvent l’effleurer du doigt. La twittérature ne manque pas d’ambition, elle génère l’ambition mais aussi la notoriété et bien d’autres valeurs littéralement littéraires ».

[7] « Ce n’est pas au nom de Dieu, ce n’est pas au nom de la religion que le héros de «A la recherche» quitte tout, mais il est frappé d’une révélation foudroyante. Les deux derniers volumes sont aussi un hymne de triomphe de l’homme qui a vendu tous ses biens pour acheter une seule perle précieuse et qui a mesuré tout l’éphémère, tous les déchirements et toute la vanité des joies du monde, de la jeunesse, de la célébrité, de l’érotisme, en comparaison avec la joie du créateur, de cet être qui, en construisant chaque phrase, en maniant et en remaniant chaque page, est à la recherche de l’absolu qu’il n’atteint jamais entièrement et qui d’ailleurs est impossible à atteindre.» (Joseph Czapski, « Proust contre la déchéance »).

[8] Dans son arrêt du 5 décembre dernier la Cour d’appel de Bruxelles a sauvé «Tintin au Congo» de la censure, en déboutant le « Cran » (Conseil Représentatif des Associations Noires) et B Mbutu Mondondo qui estimaient que l’album contient des propos racistes.

[9] Instance instituée par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail et rattachée aux services du ministre chargé du Travail. Vaste programme !

[10] Le coût annuel d’un énarque est de 83 300 euros contre 6500 euros pour un étudiant en droit à l’ Université Paris 2.

[11] Derrière chaque branche on trouve un ou plusieurs syndicats patronaux, lequel adhère ensuite souvent à une fédération de syndicats, qui elle-même adhère à une ou plusieurs des trois organisations représentatives au niveau interprofessionnel.

[12] Pour le citoyen d’incessantes tracasseries chronophages. Pour les entreprises, l’ensemble des formalités administratives et obligations d’informations imposées par l’État et l’administration représentent un «impôt papier» dont le coût est estimé à 60 milliards d’euros par an !

[13] La sauvegarde du cinéma labélisé ‘qualité française’ et la défense de ‘l’exception culturelle’ nationale est une vaste fumisterie. On savait depuis longtemps ce que V Maraval vient de dénoncer dans ‘Le Monde’. 10 fois moins de recettes et des acteurs 5 fois mieux payés leurs collègues américains. Une médiocrité institutionnalisée. « La vérité si je mens ». Bienvenue chez les intouchables, les imposteurs, les sans talent , rentiers d’une industrie de l’hébétude et de la vulgarité, et qui trouve le moyen d’être déficitaire malgré les subventions publiques.

[14] Chamfort est cruel mais avait vu juste sur la nature courtisane des français. « Le caractère naturel du français est composé des qualités du singe et du chien couchant. Drôle et gambadant comme le singe, et dans le fond très malfaisant comme lui; il est comme le chien de chasse, né bas, caressant, léchant son maître qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondissant de joie quand on le délie pour aller à la chasse » (Chamfort ; Maximes et pensées) ; Mais aussi cet extrait toujours d’actualité : « C’est une chose avérée qu’au moment où M. de Guibert fut nommé gouverneur des Invalides, il se trouva aux Invalides 600 prétendus soldats qui n’étaient point blessés et qui, presque tous, n’avaient jamais assisté à aucun siège, à aucune bataille, mais qui, en récompense, avaient été cochers ou laquais de grands seigneurs ou de gens en place» (idem).