« Europe année 0 » ?
Assez de défaitisme ! Contre le spleen et les dépeceurs de l’Europe et de l’Hexagone il existe des solutions, (1) Oublier; grâce à la vodka ukraino-polonaise et l’ivresse de l’Euro 2012. (2) Relativiser; Ailleurs c’est pire; la Grèce agonise, l’Espagne est garrottée par les déficits et la spéculation, et selon un observateur bien informé des Nations Unis qui a la chance de ne pas perdre son sang… froid, il semblerait que la Syrie de Bachar Rocko Magnotta El Assad soit au bord de la guerre civile. (3) Agir; «My name is Herman, Herman ‘Euro Bond’» et Angela Andress, croupière du «Casino royal». Si l’on préfère les Ford « Gran Torino sport » 1975 (code zébra 3) aux Aston Martin, il y a François ‘H’ dit Huggy les bons tuyaux; « psssst, j’ai peut être une piste, cherchez du coté de la Relance… ».
Mais l’Europe ne casse pas des BRICS. Comment rivaliser avec les nouveaux riches qui ont de l’espace, des matières premières et maintenant de la matière grise à revendre ? En attendant, (d’ici une génération ?) la boboisation et l’assoupissement de la Chine avec l’arrivée de la ‘CGTing’ et de ‘Melanchang’ locaux, résistant, résilient ou résigné, l’Occident a du souci à se faire.
Moi, François H… «Président normal» de la République
Avant le Grand prix de l’arc de triomphe des législatives, dans l’ordre ou dans le désordre, pas de surprises, le tiercé électoral de la Présidentielle n’aura pas permis de toucher de grosses cotes. De temps en temps il faut aérer la pièce et changer les draps. Les beaux draps !? Après le cabotin le cabotage. Le capitaine de pédalo accostera-t-il sur l’île au trésor ou sur aux l’île aux enfants ? Churchill qui avait la dent dure et le sens de la formule, disait de Christophe Colomb que c’était le premier socialiste: « il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait, et il faisait tout cela aux frais des contribuables ». De toute façon par gros temps, les marges de manœuvres sont infimes. Faute de plan «B» et de vrai programme, il reste les symboles et la Com; régime minceur pour les émoluments des ministres, charte déontologique, train et voiture plutôt que le Falcon 900 pour ‘Mister President’, et RER pour la visite de JM Ayrault à Saint Denis. Sacre et onction royale du PM et du nouveau Président, thaumaturge et normal.
La nouvelle équipe doit se garder des grands numéros de violon, sur le retour de l’espoir, l’espoir du retour, et autres slogans plus vides que les caisses de l’Etat. Cela ne marche plus, et dans 5 ans, si toutefois le pédalo « France » du Club Med « Europe » flotte encore, ce sera dramatique. Sur le radeau de la méduse il ne nous restera que l’es poire pour la soif et l’espoir de l’espoir. Demander, le soir de la proclamation des résultats, à être jugé sur la « justice » et la « jeunesse », c’est habile et moins risqué que d’être jugé sur les taux de chômage et d’endettement. A la lecture du menu du chef du Grand restaurant ‘France’ on peut nourrir quelques craintes. Fric assez de «normalité», gigot de «justice», avec ses petits légumes de diversité à la sauce «jeunesse». Les symboles, comme l’espoir, c’est bien, mais ça ne nourrit pas son peuple. « Ordinaire » c’est une belle chanson du chanteur québécois Robert Charlebois « J’suis un Président ben ordinaire… Autour de moi il y a la guerre/ la peur, la faim et la misère/ J’voudrais qu’on soit tous des frères/ C’est pour ça qu’on est sur la terre/ J’suis pas un chanteur populaire/ Je suis rien qu’un gars ben ordinaire »(1972). La même année, Charles Denner proclamait dans le réjouissant et décapant « L’aventure c’est l’aventure » (Claude Lelouch), «La politique c’est du show business…! ».
Le « normal » c’est compliqué
« Sancta simplicitas » ! « La force tranquille » c’était celle du père tutélaire, et le « changement c’est maintenant » ne laisse pas beaucoup de temps. Après la salade, reste à déguster un « Président normal » bien de chez nous, le vrai pays du fromage. A point, affiné, moulé à la louche, au lait cru ? Un « Président normal » on ne sait pas trop ce que cela veut dire et c’est plus crédible lorsque « l’ex anormal » s’agite. François Hollande cherche ses marques, ses racines et se construit une geste. La ‘SFIO’ ? Trop fade et vieillot. Le ‘radical socialisme’ ? « Mon Président, ce Herriot au sourire si doux… ». Les ‘Girondins’, Hollande nouveau Barnave ? Pas très exaltant. François IV (après F Mitterrand, 3ème du nom), se rêverait plutôt en réconciliateur style Henri IV, avec poules au pot plutôt qu’au Fouquet’s. En a-t-il l’étoffe ? L’avenir le dira.
Ses conseillers en normalité ont fait savoir qu’il aime « Les misérables » et « Le mythe de Sisyphe ». C’est la crise et il faut se retrousser les manches. Distribution de bons points à Jules Ferry et Marie Curie. Le danger des calculs passe partout c’est la fadeur et l’insignifiance. Attention au Président à la pâte trop lisse. Cinq années ne seront pas de trop à François IV pour affiner son originalité, sa personnalité, sa normalité. A moins que notre Président ne soit vraiment ‘normal’, ce qui ne serait pas vraiment une bonne nouvelle. FH ou les limites du « toutlemondisme ».
La « justice » ce n’est pas simple
La «République irréprochable» a fait long feu. Le projet de loi sur les conflits d’intérêts est passé à la trappe avant les élections présidentielles. (Voir l’éditorial « Confits d’intérêts » ) Le dernier rapport de « Transparency International » (juin 2012) est sévère pour la France. Au tableau d’honneur européen, les pays scandinaves et l’Allemagne. Marianne a de gros progrès à faire. Treize «institutions» hexagonales ont été évaluées à l’aune de leur indépendance, de leur transparence, de leur intégrité et de leur contribution à la lutte contre la corruption. Les parlementaires français sont les seuls (avec les slovènes) à ne pas rendre publiques leurs déclarations de patrimoine et d’intérêt. L’inscription au registre des lobbies existant à l’Assemblée nationale est facultative, ce qui limite son efficacité. Pour « Transparency International » "le Parlement, l’exécutif et la justice" (!) sont les points faibles de la lutte contre la corruption. Seules les institutions financières (Cour et chambres régionales des comptes) et les services chargés du contrôle des élections sont bien notés.
Avec ou sans majuscule, la « justice », n’est pas une affaire simple. A. Frossard disait que les procès finissent toujours par celui de la Justice ! En demandant à être jugé sur ce terrain, F Hollande ne prend aucun risque. On peut faire dire tout et son contraire aux chiffres, à l’éthique, sans parler de la morale. Chacun a son idée de la justice. Les poètes; «La justice écoute aux portes de la beauté » (A. Césaire), «On ne cueille pas le fruit du bonheur sur l’arbre de l’injustice» (Proverbe persan); Les cyniques; « La justice est la sanction des injustices établies » (A. France), «La Justice, cette forme endimanchée de la vengeance» (S. Hecquet), «La Justice c’est quand on gagne un procès» (S. Johnson); Les humoristes; «La Justice est gratuite, heureusement elle n’est pas obligatoire» (J. Renard), «Les hommes naissent libres et égaux en droit. Après ils se démerdent» (J. Yanne); Les juristes; «You and Dawson, you both live in the same dreamworld. It doesn’t matter what I believe. It only matters what I can prove. So don’t tell me what I know, or don’t know. I know the LAW” («Des hommes d’honneur » 1994).
Comment choisir et trancher entre les calembours, les codes, les jugements derniers, le kelsénisme, le keynésianisme, les inégalités et les déficits abyssaux ? Quelle conception de la justice pour François H, politique confirmé, ex plaisantin, néo Président réformiste ? Alfred Capus disait « Quand on aime la justice on est toujours révolté »; François Hollande, nouveau Sisyphe, est-il un homme révolté ?
La « jeunesse » et l’éducation, c’est complexe
Notre Président aurait placé la jeunesse au cœur de son projet pour la France. “La jeunesse est la condition de notre propre réussite, parler de la jeunesse c’est rassembler toutes les générations” (Déclaration de novembre 2011). Il y a la doxa des slogans pédagogico-électoraux dont on se gargarise depuis des générations, et puis il y a la réalité et les vérités qui dérangent. Rue de Grenelle on connaît le Discours de la méthode Coué par cœur.
« … il faut agir dès la petite enfance et tout au long de la scolarité, en redonnant des moyens en personnel et en ressources et en refondant les modes d’apprentissage, les rythmes scolaires, au service de la réussite à l’école. Les décisions doivent être prises en fonction de l’intérêt de la communauté éducative (enseignants, parents, enfants)…
Préparer l’avenir de notre jeunesse, c’est aussi disposer d’une recherche forte, du fondamental à l’application, et, en sciences humaines et sociales, pour mieux faire face aux enjeux sociétaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés… Nous avons besoin du talent de tous les jeunes, quel que soit leur milieu social, car la recherche, la connaissance, l’innovation ne sont pas le privilège de quelques-uns… 1ère priorité: démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur, en favorisant un parcours de réussite pour tous les étudiants et multiplier par deux le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur en 15 ans… 2ème priorité: Rétablir la confiance avec l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche et assurer la reconnaissance internationale de l’université et de la recherche françaises… Des niches d’excellence existent dans toutes les universités et l’objectif est de privilégier le travail en réseau, par thématiques fortes, avec un ou plusieurs chefs de file, sur tout le territoire». (Extraits des «Propositions» de F Hollande pour l’enseignement supérieur et la Recherche).
Après les incantations, la réalité. Le « toutlemondisme » généreux est un leurre et un attrape gogo. Ce n’est pas en décrétant la fin d’une pseudo défiance vis-à-vis de la communauté éducative que l’on rétablit la confiance. Ce n’est pas en cassant le thermomètre et en refusant la remontée des tests évaluant les élèves vers les académies, que l’on fait baisser la température et monter le niveau.
Le problème, c’est que 144 jours d’école par an pour les écoliers français (total le plus faible de l’OCDE) c’est dérisoire, et 6 heures d’enseignement par jour (en moyenne) c’est beaucoup trop long. Le problème c’est que personne, à commencer par les syndicats enseignants, ne veut travailler un jour de plus. Or il n’y a pas de secret, pour apprendre, les enfants doivent travailler et passer du temps à l’école, en gardant un minimum de concentration.
Le problème, c’est que pour conserver son maroquin, un ministre de l’éducation ne doit rien entreprendre, rien réformer, ne toucher à aucun statut, aucun acquis, aucun échelon ou médaille en chocolat. Tout juste peut-il commander à un inspecteur général 5 étoiles un 149ème rapport sur l’avenir de l’éducation nationale. Son rapport, intitulé « Objectif 2015 : état des lieux et avenir de l’Education éducationnelle pour tous » sera soigneusement enterré, et contredit par un incontournable 150ème livre blanc sur l’apprentissage « Propositions sur les diplômes d’avenir visant à la promotion de la diversité durable et qualifiante ».
La « pensée » c’est difficile
Il faut arrêter de se payer de mots. Dans un précédent «Marginalia» (« Il était une fois dans l’ouest » 2008 ) j’avançais que la jeunesse mérite mieux que la démagogie ambiante des politiciens, bureaucrates, et pédagogues de magazines qui légitiment ou se voilent la face sur la réalité d’une crétinisation accélérée. La jeunesse est la première victime des mensonges de la doxa sur l’air de la métamorphose des savoirs, du niveau général qui monte, et de tout va très bien Madame la marquise de Sévigné. La jeunesse a besoin de repères, de principes, de maîtres et d’une transmission qui fonctionne. Un 15ème plan Marshall des banlieues, le recrutement de 7 millions de travailleurs sociaux, la création de 10 Masters « Rap-Nouvelle cuisine » à l’université de Vincennes et la distribution gratuite du « Monde Diplomatique » ou des œuvres complètes d’Emmanuel Levinas à Loudéac, Aubervilliers ou Neuilly, ne changeront rien à l’affaire.
Les vrais enjeux sont ailleurs. Ils sont « culturels » au sens à la fois large et strict du terme. En amont du « travail » et du respect des valeurs (traditionnelles ou plus modernes), en amont de l’éthique et de la morale, il y a la capacité à comprendre, analyser, réfléchir et, partant, il y a le goût pour la pensée, l’étude et la lecture. Il existe un héritage empoisonné de « Mai 68 » qui s’est fourvoyé en prônant ou en se faisant complice du relativisme culturel et intellectuel (Coluche = La Bruyère, Platon nous rase et « Hair » nous libère de Kant), et qui a passé un pacte faustien i.e. l’illusion du rêve et de la spontanéité contre l’abandon du savoir et sa dévalorisation. Il y a en 1968 un tournant symbolique maudit marquant la défaite des « Humanités » contre les « sciences sociales ». Exit le latin, le grec, la rhétorique etc.
Une spirale dangereuse de liquidation de la pensée s’est mise en place dans les années 60 et la glissade continue. Aujourd’hui, deux générations plus tard, nous payons le prix fort. Nous sommes submergés de chercheurs autodidactes, journalistes analphabètes, Trissotins de 3ème ordre (fonctionnaires/factionnaires/souteneurs de la révolte et permanents du parti… pris) qui passent leurs 35 heures à enfiler les clichés « politically correct » et ouvrir tout grand le robinet de l’eau tiède du nivellement par le bas. On fait passer les anchois avariés du pédagogisme, du relativisme et de la démission pour des produits exotiques.
Les librairies exigeantes ferment et dans les « Points presse » submergés de magazines débiles rien ne nous est épargné : Bande dessinée « Spécial 1000 ans de philosophie occidentale», histoire de France « pour les Nuls », dvdisation généralisée, 400 chaînes de TV et tutti quanti. La prochaine étape ? « La nullité pour les Nuls », la boucle sera bouclée ! Les jeunes français viennent d’être sacrés champions d’Europe de la consommation de cannabis. A 17 ans la moitié l’on testé, et 10% déclarent en avoir fumé au moins 10 fois au cours du «moi» précédent. L’avenir de la jeunesse se joue aussi à la maison, avec des parents courageux qui prennent leurs responsabilités, qui encouragent le goût de la lecture chez leurs enfants, qui imposent des règles et limitent l’abrutissement devant les écrans plats, «farce book», le «binge drinking» et autres paradis artificiels.
Pas besoin de symposiums internationaux, de commissions interministérielles ou de chercheurs interdisciplinaires pour faire ces constats de bon sens. Entre les « chemins qui ne mènent nulle part » et « les pentes qui ne montent jamais », les renoncements successifs se paient au prix fort. La politique du plus petit dénominateur commun et de l’égalitarisme démagogique nous a conduits dans la nasse des surenchères et du déni permanent. Plus personne ne croit à la « normalitude » ou au « toutlemondisme». Les élites et intellectuels aux discours généreux ont tous un GPS permettant de slalomer sur la carte scolaire et d’orienter leurs enfants vers les « bonnes » écoles (publiques ou privées) et les lycées prestigieux, pas trop multiculturels, de la République. La diversité et le métissage c’est surtout bon pour les discours et les élections. En français dans le texte, « Nimbysm » (« Not in my backyard »).
Assez d’hypocrisie. Nous vivons non seulement au-dessus de nos moyens financiers mais aussi à crédit intellectuel, dans le surendettement des mensonges, des vœux pieux, des promesses faussement généreuses. La « mythoméritocratie » et l’ascenseur social républicain sont en panne depuis des décennies. Au lieu de caresser son électorat dans le sens du poil en psalmodiant le rosaire des illusions perdues de Jules Ferry et Marie Curie, François Hollande devrait dire toute la vérité ; ‘tout est à reconstruire’, et ce n’est pas d’abord une question de budget. Lorsque viendra le jour de la « dernière classe », tout le monde sera attentif, les enseignants auront le moral, les élèves méritants et studieux ne se feront plus traiter de « bouffons » par les caïds analphabètes, mais il sera trop tard, non seulement la jeunesse, mais encore les Maîtres, ne sauront ni lire, ni penser. Nous sommes tout au bord des falaises de marbres… La Fontaine, reviens, ils sont devenus fous !
In libro veritas; la dernière fable et la « dernière classe »
"La dernière classe" (A Daudet)
Dans cette nouvelle extraite des "Contes du lundi" (1873), Alphonse Daudet, relate la dernière leçon de français dans une école alsacienne avant l’arrivée des Prussiens en 1871. Il y a les défaites militaires, il y a aussi des défaites intellectuelles et morales annoncées ; il est plus difficiles de se relever des secondes.
"(…/…) Alors d’une chose à l’autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide: qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison… Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J’étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu’il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n’avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n’avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu’avant de s’en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d’un seul coup. (…/…) Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu’au bout. Après l’écriture, nous eûmes la leçon d’histoire; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE BI BO BU. Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu’il s’appliquait lui aussi; sa voix tremblait d’émotion, et c’était si drôle de l’entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah! Je m’en souviendrai de cette dernière classe… (…/…) M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m’avait paru si grand. «Mes amis, dit-il, mes amis, je… je… » Mais quelque chose l’étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase. Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put: «VIVE LA FRANCE!» Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait signe: «C’est fini… allez-vous-en.»
"Le juge arbitre, l’Hospitalier et le solitaire" (La Fontaine)
Cette ultime fable mélancolico-janséniste qui date de 1693 est considérée comme le testament du poète. Les juristes et les conciliateurs apprécieront; le droit comme la médecine peut contribuer au salut de l’âme. Mais la voie intérieure du solitaire n’est-elle pas la voie royale ? "Connais-toi toi-même» rappellent Socrate et La Fontaine.
« Trois Saints, également jaloux de leur salut, /Portés d’un même esprit, tendaient à même but.
Ils s’y prirent tous trois par des routes diverses : /Tous chemins vont à Rome : ainsi nos Concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents. /L’un, touché des soucis, des longueurs, des traverses,
Qu’en apanage on voit aux procès attachés, /S’offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d’établir ici-bas sa fortune. /Depuis qu’il est des lois, l’Homme pour ses péchés
Se condamne à plaider la moitié de sa vie. /La moitié ? Les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le Conciliateur crut qu’il viendrait à bout/De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos Saints choisit les hôpitaux. /Je le loue ; et le soin de soulager ces maux
Est une charité que je préfère aux autres. /Les malades d’alors, étant tels que les nôtres,
Donnaient de l’exercice au pauvre Hospitalier, /Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse :
Il a pour tels et tels un soin particulier ; /Ce sont ses amis ; il nous laisse.
Ces plaintes n’étaient rien au prix de l’embarras/Où se trouva réduit l’Appointeur de débats :
Aucun n’était content ; la sentence arbitrale/À nul des deux ne convenait :
Jamais le Juge ne tenait/À leur gré la balance égale.
De semblables discours rebutaient l’Appointeur : /Il court aux hôpitaux, va voir leur Directeur :
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure, /Affligés, et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois. /Là sous d’âpres rochers, près d’une source pure,
Lieu respecté des vents, ignoré du soleil, /Ils trouvent l’autre Saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même. /Qui mieux que vous sait vos besoins ?
Apprendre à se connaître est le premier des soins/Qu’impose à tous mortels la Majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité ?/L’on ne le peut qu’aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême. /Troublez l’eau : vous y voyez-vous ?
Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous ?/La vase est un épais nuage
Qu’aux effets du cristal nous venons d’opposer. /Mes frères, dit le Saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image. /Pour vous mieux contempler demeurez au désert.
Ainsi parla le Solitaire. /Il fut cru, l’on suivit ce conseil salutaire.
Ce n’est pas qu’un emploi ne doive être souffert. /Puisqu’on plaide, et qu’on meurt, et qu’on devient malade, Il faut des médecins, il faut des avocats. /Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas ; Les honneurs et le gain, tout me le persuade. /Cependant on s’oublie en ces communs besoins.
Ô vous, dont le public emporte tous les soins,/Magistrats, Princes et Ministres,
Vous que doivent troubler mille accidents sinistres,/Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne/Si quelque bon moment à ces pensers vous donne, Quelque flatteur vous interrompt./Cette leçon sera la fin de ces ouvrages :
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !/Je la présente aux Rois, je la propose aux Sages ;
Par où saurais-je mieux finir ? » (La Fontaine Livre XII, fable 25).
« A la fin tu es las de ce monde ancien » (Apollinaire).