« O TEMPORA O MORES… »

« C’est une grande misère de ne pas avoir assez d’esprit pour parler et pas assez de jugement pour se taire » (La Bruyère). 2012, année olympique, année électorale, forcément bavarde et bruyante. « Plus loin, Plus fort… Plus bas». Étirements et croc-en-jambe avant le sprint final. Campagne de caniveau, petites phrases assassines, coups bas, tout le monde se traite de menteur, affligeant, pathétique…De pire en pire, c’était mieux avant ? Question de point de vue.

Prenons Aristide Briand, vingt cinq fois ministre, onze fois Président du conseil, prix Nobel de la paix en 1926. Manœuvrier habile, doué d’une certaine vista (même s’il a péché par naïveté avec son programme de paix par la sécurité collective dans les années 20), il suscita une haine difficilement imaginable aujourd’hui. Morceaux choisis:

« Ainsi le traître, par la combinaison de la félonie et de la ruse, a accumulé devant lui les difficultés insolubles. Quoi qu’il advienne, il est perdu. Il finira dans l’impuissance et le mépris. C’est en vain que l’hôte de l’Elysée s’emploi à badigeonner le sépulcre; le sépulcre blanchit exhalera toujours une odeur de conscience morte » (J Jaurès, 1910).

« Il est un homme du peuple français, d’une vieille race, avisée et gouailleuse. Il a traîné cette gouaille sur des ports et dans des faubourgs, souple comme un chat, noctambule et paresseux comme lui, guettant les oiseaux, et de temps en temps, se piquant une plume au dessus du derrière pour faire croire que c’était une aile. A force de traîner, le pied est devenu trainard, la voix traînante et l’âme traîneuse. Il porte maintenant des chaussures, parce qu’il est ministre, mais l’âme reste en savate, parce que c’était son destin » (R Benjamin, 1929).

« Ignare à fond, mauvais bougre, fielleux, vanitorgueilleux, capable des pires intrigues et perfidies, tel se présentait alors celui qui devait se révéler bientôt comme le plus redoutable ennemi de son pays. On eût pu lui appliquer le mot de La Rochefoucauld: "La faiblesse est plus l’opposé de la vertu que le vice." Tout en lui était veule, l’allure, le regard d’eau sale, avec un crapaud endormi au fond, la démarche hésitante, l’écendrement de la cibiche ou cigarette, le cheveu long et pelliculaire, l’insinuation grave et même "ah Messieurs combien grâve", avec un accent circonflexe ; tout suait la vadrouille et le désordre de la chambre meublée, où le maquereau et croupier passe son habit taché et sa chemise souillée devant sa glace dépolie ; tout, dis-je, sauf la voix puissante, profonde, reprochante, insinuante à volonté, la contrebasse du cabot idéal. Je l’appelais, cette voix, son violoncelle, et il tirait des effets tziganes à faire pâmer la dame du comptoir » (L Daudet, 1933).

A l’aune d’une telle violence, « Flamby » (c’est presque Bambi) , « fraise des bois », ou « pauv’con » deviennent affectueux. Tout fou le camp, y compris le talent dans l’injure et la diffamation.
O tempora O mores…
CE QUE PARLER VEUT DIRE

Polymnie, Πολυμνία (« celle qui dit de nombreux hymnes ») ou « Eloquentia » est la muse de la rhétorique Elle personnifie également la musique, les chants nuptiaux et le deuil. Pour Cicéron la rhétorique consiste à « prouver la vérité de ce qu’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause » (Cicéron, XXXVII). Elle a ses maîtres, ses théoriciens, ses contempteurs ; En vrac Protagoras, Gorgias, Démosthène, Socrate, Isocrate, Quintilien, Cicéron, Ramus, Fontanier, Genette, Perelman, Fumaroli.

La rhétorique est un métalangage dont les genres varient en fonction de l’auditoire: (1) le délibératif s’adresse au politique, cherche la décision, l’action, le « bien », (2) le « judiciaire » (accusation ou défense), se préoccupe du « juste », (3) le démonstratif ou « épidictique » concerne l’éloge ou le blâme d’une personne.

On distingue classiquement 5 parties dans le système rhétorique: l’inventio (invention), la dispositio (structure), l’elocutio (style et figures de style), la memoria (apprentissage du discours et art mnémotechnique) et l’actio (récitation du discours). Les « moyens de persuader » ou « instances oratoires » sont, (1) l’éthos, c’est-à-dire la sincérité, la sympathie, la probité et l’honnêteté, (2) le « pathos » ensemble des émotions, passions et sentiments que l’orateur doit susciter et, (3) le « logos » ou dialectique.

Les « lieux » ou « topoï » sont des figures de style « stéréotype logico-déductif », destinées à embellir un texte ou à le rendre plus vivant. Le «Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ? » (« Qui, quoi, où, par quels moyens, pourquoi, comment, quand ?») est resté célèbre. La « disposition » étudie la structure et la cohérence des lieux rhétoriques. Parmi les rythmes classiques et canoniques on trouve l’« ordre homérique » qui privilégie les arguments forts en exorde et en épilogue en ménageant les effets et le public au milieu du discours. Quintilien recommande de commencer par des arguments faibles puis de progresser de manière ascendante (ou l’inverse). En application de l’adage « docere, placere, movere », on mettra en avant les arguments logiques, suivis de ceux qui plaisent, pour terminer par ceux qui émeuvent. Mais ce ne sont pas les recettes de cuisine qui font le cuisinier.

Au XIXème siècle, attaquée par les romantiques et la pensée positiviste, la rhétorique perd son statut d’art noble au profit de l’histoire et de la poésie. Avec les modernes, changement de perspective. Après l’OPA de la linguistique et de la Pragmatique la rhétorique est repensée en termes structuraux (Saussure, Jacobson, Barthes). J L. Austin et J Searle ont classifié les actes de langage, théorisé les énoncés performatifs (Quand dire c’est faire, 1962). Lacan a mis en lumière les liens entre la rhétorique et l’inconscient: « Ellipse et pléonasme, hyperbate ou syllepse, régression, répétition, anaphore, apposition », tels sont les « déplacements » syntaxiques, métaphore, catachrèse, antonomase, allégorie, métonymie et synecdoque, les « condensations » sémantiques, où Freud nous apprend à lire les intentions ostentatoires ou démonstratives, dissimulatrices ou persuasives, rétorsives ou séductrices, dont le sujet module son discours onirique» (J Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud » 1966).

Le sociologue a évidemment son mot à dire. Ce que parler veut dire ? Bourdieu mais c’est bien sûr…. ! C’est une économie des échanges linguistiques. 800 pages plus loin (sans compter les annexes et l’appareil bibliographique), une conclusion lumineuse et imparable: on lit et on cite plus volontiers Proust, rue Madame que rue des filles du calvaire.

LANGUE DE BOIS

Platon (le Gorgias et le Phèdre) oppose la « rhétorique sophistique », mauvaise, « logographie » qui se fonde sur vraisemblance et l’illusion, à la vraie rhétorique, la « rhétorique de droit » ou « rhétorique philosophique ».

Le discours politique prend trop souvent les formes de la mauvaise rhétorique. Le candidat orateur doit convaincre et persuader pour être élu. Il aura recours au slogan plus ou moins creux (« Un autre monde est possible » , « Replacer l’humain au cœur de la politique », «L’insurrection citoyenne ») à la provocation, aux petites phrase («Vous n’avez pas le monopole du cœur », « Votre bilan c’est votre boulet »), à la langue de bois (utilisation des lieux communs et stéréotypes), aux amalgames, aux promesses, à la peur ou au pathos.

Bref une rhétorique de l’image se nourrissant de sophismes (paralogismes, pétitions de principe ou paradoxes), concernée principalement par l’éthos et le pathos, et dans laquelle l’argumentation et le logos sont discrédités. Le bréviaire du politicien c’est « L’Art d’avoir toujours raison ou Dialectique éristique » (A Schopenhauer, 1830). Autrement dit, «La dictature c’est ferme ta g…, la démocratie c’est cause toujours ! ». Stendhal est lucide: « Tout gouvernement même celui des États Unis ment toujours et en tout ; quand il ne peut pas mentir au fond, il ment sur les détails ».

En avril dernier, La Revue avait publié en avant première un discours électoral du/de la futur(e) président(e) de la République ( Les gentils, les méchants, le big bazar… ). Après cent mille milliards de poèmes (Quenaud), cent mille milliards de discours !?

« J‘ai pour notre pays une grande et noble ambition. Après les crises internationales qui nous ont durement touchés, après le temps des Jérémiades, de la démagogie et des frilosités, vient le temps du rassemblement. Il faut donner un élan à la nation qui doit retrouver sa fierté et ses valeurs. Il faut réconcilier la France avec elle-même. A l’heure de la mondialisation les clivages dogmatiques et politiciens sont stériles. Non, la gangrène du chômage n’est pas une fatalité. Non, la débâcle écologique n’est pas programmée. Non, l’insécurité n’est pas inéluctable. Oui, il faut redonner l’espoir à la jeunesse. Oui, il faut investir massivement dans la recherche et l’éducation qui développent l’esprit d’entreprise par lequel passe notre salut. Le travail, le savoir et la culture permettront de créer les investissements de demain et de rétablir la confiance. Pas de renouveau sans un projet ambitieux et moderne, un projet pour l’avenir, sur lequel je m’engage à rendre des comptes régulièrement. L’heure est venue de réformer en profondeur mais dans la sérénité. C’est la priorité des priorités. Je veux passer un pacte de confiance avec la nation. Non à la langue de bois, Non à la spéculation rapace, Oui aux nouvelles solidarités. Oui à une société moins corsetée, plus libre. Oui à une France des valeurs vraies, une France plus forte et sûre d’elle-même, au sein d’une Europe respectée qui montre la voie dans le nouvel ordre mondial en construction. La route sera parfois difficile mais le consensus est mon combat. Le pays trouvera son second souffle, parce que vous le méritez, parce que votre travail doit être récompensé. N’écoutez pas les mensonges, n’ayez pas peur, ayez confiance, engagez vous. L’argent existe. Nous sommes riches de nos différences qui cimentent l’unité profonde. Notre travail à tous, nos efforts communs vont payer. Vive la République vive la France. ». L’avantage de la langue de bois c’est que chacun peut y retrouver ses petits.

Version Shakespeare « Words, words, words » (Hamlet, act II, sc 2). Version Dalida/Delon: « Encore des mots toujours des mots, les mêmes mots /Rien que des mots /Des mots magiques des mots tactiques qui sonnent faux : Oui tellement faux (…/…) Caramels, bonbons et chocolats / Merci pas pour moi, mais/Tu peux bien les offrir à une autre /Qui aime les étoiles sur les dunes /Moi les mots tendres enrobés de douceur /Se posent sur ma bouche mais jamais sur mon cœur » (1973).

Variations sur la vérité, le vraisemblable et le mensonge, du général au particulier : « De tout les camouflages il n’y a rien de tel que la vérité : personne ne la croit » (M Frisch), « L’un des mensonges les plus fructueux, les plus intéressants qui soient, et l’un des plus faciles en outre, est celui qui consiste à faire croire à quelqu’un qui vous ment qu’on le croit » (S Guitry), « La parole a été donnée à l’homme ; mais c’est la femme qui l’a prise » (J Sidvé), « Je me flatte d’avoir toujours le dernier mot dans mon ménage et ce mot est généralement oui » (J Renard), « La parole est d’argent, mais le silence endort » (Y Mirande).
LANGUE DE DROIT
Donner sa parole

Les civilistes connaissent le principe du consensualisme. En droit français l’échange de consentement et l’accord de volonté suffisent pour former un contrat. Le formalisme (les contrats solennels) est l’exception. La liberté du mode d’expression de la volonté est le corollaire naturel de la liberté contractuelle. « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles » (Loisel). Le silence ne vaut pas acceptation d’une offre, sauf exception. Mais quand on a donné sa parole il faut la respecter. L’adage « Pacta sunt servanda » est repris par l’article 1134 alinéa 1 du code civil: « Les conventions légalement formée tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Le fondement moderne de cette prescription est moral (Saint Mathieu, Saint Thomas). Manquer à sa parole c’est commettre un péché même si le Décret de Gratien n’est pas dogmatique sur la question. L’école du droit naturel (Grotius, Pufendorf) justifie le respect de l’engagement par la volonté elle-même. C’est la théorie de l’autonomie de la volonté. Il y a la morale, il y a le droit et puis il y a la réalité.

Tenir sa parole

Le quinquennat arrive à son terme, 264 lois ont été votées (27 de plus que durant le précédent). Dans le dernier wagon du dernier métro on trouve des textes importants, comme le plan de titularisation des précaires de la fonction publique.

Mais beaucoup de promesses sont restées à quai. Exit la « règle d’or » à valeur constitutionnelle visant à restaurer l’équilibre budgétaire, le projet de loi sur la déontologie et la prévention des conflits d’intérêts (lire « Confit» d’intérêts) Swift dixit. Napoléon est pragmatique: « Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner. », la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Trop tard, trop cher, trop risqué. … ? « Les deux maximes de tout grand courtisan sont: toujours tenir son sérieux et ne jamais tenir sa parole » Swift dixit. Napoléon est pragmatique: « Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner. »

Le droit de se taire (CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c. France Req. no 1466/07)

Dans cette affaire la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à un procès équitable (Art. 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme). Le requérant, mis en cause dans une affaire d’agression avait été placé en garde à vue six mois après les faits et renvoyé devant le tribunal correctionnel pour complicité de violences volontaires

La CEDH a constaté l’ « atteinte [portée en l’espèce] au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence ». La Cour critique notamment le fait que « le requérant [n’a pas] été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait » et le fait qu’il « n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale […]. L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention » (§ 54).

LE BRUIT DU MONDE ET LA PAIX DU SILENCE

Noblesse du silence

Atrabilaire ou pas, il est difficile d’échapper à l’oppression sonore, mentale, globale, permanente, qui nous aliène ; je veux parler des mensonges de l’Agora, des slogans de bonimenteurs démagogues, de l’absurdité de l’hyperconsommation, du néant de la société du spectacle, du vide médiatique, du tautisme crétin des centaines de chaines de télévision et du web, relayant en boucle et en réseau le buzz pipo-le, et dont l’unique fonction est de vendre du temps de cerveau disponible.

Nietzsche enseigne que le chemin vers toute grandeur passe par le silence. Le pouvoir n’aime pas les silencieux, les méditatifs, le quiétisme, les jansénistes. Les bavards, les indignés, on peut en faire des secrétaires d’état à l’indignation, distribuer des « Oscars de l’insurrection citoyenne» ou des légions d’honneur. Les taiseux sont plus dangereux, de la graine de martyrs. Louis XIV qui craignait l’ombre, les solitaires et toutes les formes de noblesse, a liquidé Port Royal. La distinction entre le fait et le droit (pour éluder le formulaire d’Alexandre VII), l’appui de Pascal et d’Antoine Arnaud n’auront pas suffit. L’abbaye est rasée à la poudre en 1713. « Je crains votre silence, et non pas vos injures. » (Racine, Andromaque). Reste le vieux paradoxe rappelé par Montherlant « L’église a plus maintenu ses vérités par ses souffrances que par ses vérités mêmes » («Port Royal» 1954).

Pour Roland Barthes, dans son régime le plus courant, le langage produirait et reproduirait la servitude humaine. La littérature par contraste, s’avère le lieu inclassable « atopique » d’où il serait possible de contrecarrer la force oppressive des langues maternelles par une « révolution permanente du langage ». Ce serait une anarchie en acte, un « dépouvoir ». Pourquoi pas. En marge des sciences sociales, les moralistes sont souvent cyniques et vice versa; « Tout le monde ment et se ment » (J Esprit, « La Fausseté des vertus humaines »), «La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée» (Talleyrand, cité dans le « Le rouge et le noir »), «Parole d’homme riche: les pauvres, on a beau ne rien leur donner, ils n’arrêtent pas de demander» (Chamfort). Le dandy nihiliste met tout le monde d’accord et rafle la mise: «Je vis dans la terreur de ne pas être incompris » (O Wilde).

Esthétique du silence

Les livres propagent le silence relève Julien Green. « Dire que nous sommes des êtres de langage, comme le fait la société, est profondément faux. […] Nous ne sommes pas des êtres parlants, nous le devenons. Le langage est un acquis précaire, qui n’est ni à l’origine ni même à la fin car souvent la parole erre et se perd avant même que la vie cesse» (P Quignard ).

Il y a des lieux de silence et de recueillement : les péristyles, les cloîtres, les bibliothèques, les musées, les jardins… Les silences de la lecture, de la méditation, de la marche, de tous les matins du monde, nous apaisent et nous guident.

Des peintres du silence ? Piero della Francesca, Zurbaran, La Tour, de Chirico (la période métaphysique), Balthus, Hopper…Des écrivains du silence ? Pascal, Gracq, Quignard…Des cinéastes du silence ? Bresson, Melville, Malick… Des héros taciturnes? Corto Maltese, le lieutenant Blueberry (So long Giraud/Moebius), l’inspecteur Harry, Harmonica…

Moins bruyant et plus brillant que Jean Dujardin et « The artist », Delon dans « Le Samouraï », McQueen dans « Bullit », Eastwood dans « L’homme des hautes plaines ». Le cinéma nous offre une palette de silences réjouissants, lumineux, graves parfois. La fin onirique de la « La Dolce Vita », au bout de la nuit et au bord de la plage (F Fellini, 1961), le plan séquence (image temps chère à Deleuze) qui clôture la sublime « Eclipse » d’Antonioni (1962), le final déroutant et ambiguë de « L’affaire Thomas Crown » (N Jewison,1968), le happy end joyeux du «Graduate » (M Nichols, 1967). Les héros, Elaine et Benjamin, dans le bus, heureux et silencieux, sur fond de …« Sound of silence ». « Aucune parole ne précède les vrais départs » (E Jabès).

CULTURE

« Quo usque tandem… » (Cicéron)

§ 1. Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? Quamdiu etiam furor iste tuus nos eludet? Quem ad finem sese effrenata iactabit audacia? Nihilne te nocturnum praesidium Palatii, nihil urbis uigiliae, nihil timor populi, nihil concursus bonorum omnium, nihil hic munitissimus habendi senatus locus, nihil horum ora uultusque mouerunt? Patere tua consilia non sentis, constrictam iam horum omnium scientia teneri coniurationem tuam non uides? Quid proxima, quid superiore nocte egeris, ubi fueris, quos conuocaueris, quid consilii ceperis, quem nostrum ignorare arbitraris? § 2. O tempora ! O mores! (…/…)

i[§ 1. Jusqu’où en fin de compte abuseras-tu, Catilina, de notre patience ? Combien de temps encore ta folie furieuse nous esquivera-t-elle ? Jusqu’à quelle limite ton audace effrénée ira-t-elle ? Les rondes de nuit du mont Palatin, les vigiles de la ville, la terreur du peuple, le rassemblement de tous les bons citoyens, ce lieu très fortifié choisi pour tenir la séance du sénat, le visage et la physionomie de ceux-ci ne t’ont ému en rien ? Tes projets sont dévoilés, tu ne t’en rends pas compte? Ta conjuration a été étranglée à cause de la connaissance de tous ceux-ci, tu ne le vois pas ? Qui de nous, penses-tu, ignore ce que tu as fait la nuit dernière et la nuit d’avant, où tu étais, qui tu as convoqué, quelle décision tu as prise ? § 2. Quelle époque! Quelles mœurs!
(Cicéron, exorde ex abrupto de la Première Catilinaire prononcée au temple de Jupiter Stator, le 8 novembre 63 avant J.-C).

« Les plaideurs » (Racine)

Petit Jean

« Messieurs… Vous, doucement;/ ce que je sais le mieux, c’est mon commencement./ Messieurs, quand je regarde avec exactitude/ l’inconstance du monde et sa vicissitude;/ lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents,/pas une étoile fixe, et tant d’astres errants;/ quand je vois les césars, quand je vois leur fortune;/ quand je vois le soleil, et quand je vois la lune;/ quand je vois les états des Babiboniens/transférés des Serpans aux Nacédoniens;/quand je vois les Lorrains, de l’état dépotique,/ passer au démocrite, et puis au monarchique;/ quand je vois le Japon… »

L’Intimé

« Quand aura-t-il tout vu? »

Petit Jean

« Oh! Pourquoi celui-là m’a-t-il interrompu? /Je ne dirai plus rien. »

Dandin

« Avocat incommode,/ que ne lui laissez-vous finir sa période?/ Je suois sang et eau, pour voir si du Japon/ il viendroit à bon port au fait de son chapon,/ et vous l’interrompez par un discours frivole./ Parlez donc, avocat. »

« Hymne de la surdité » (Du Bellay)
« (…/…) Je n’orrais point blâmer la mauvaise conduite
De ceux qui tout le jour traînent une grand suite
De braves courtisans, et pleins de vanité,
Voyant les ennemis autour de la cité,
Portant Mars en la bouche et la crainte dans l’âme:
Je n’orrais tout cela, et n’orrais donner blâme
A ceux qui nuit et jour dans leur chambre enfermés
Ayant à gouverner tant de soldats armés,
Font aux plus patients perdre la patience,
Tant superbes ils sont chiches d’audience » (…/…)
« Là se voit le Silence assis à la main dextre,
Le doigt dessus la lèvre : assise à la senestre
Est la mélancolie au sourcil enfoncé :
L’Étude tenant l’œil sur le livre abaissé
Se sied un peu plus bas : l’Ame imaginative,
Les yeux levés au ciel, se tient contemplative
Debout devant ta face : et là dedans le rond
D’un grand miroir d’acier te fait voir jusqu’au fond
Tout ce qui est au ciel, sur la terre et sous l’onde,
Et ce qui est caché sous la terre profonde :
Le grave Jugement dort dessus ton giron,
Et les discours ailés volent à l’environ. » (…/…)

« Silenzio ! » (Silence !), le dernier mot du dernier plan du « Mépris » le chef d’œuvre de Godard. Le mot de clôture sera repris par David Lynch dans «Mulholland Drive ». Un hommage au Maître.

« Silenzio »