(…) « Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ?
Ô Président ! un baiser, c’est moi qui te le donne.
L’herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C’est ton oisiveté; ta douleur est à Dieu.
Quels que soient les dangers de la candidature,
Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure
Que les épines roses t’ont faite au fond du cœur;
Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, Président,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le Président, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne en son château
Ses ministres affamés coulent dans les sondages
En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs déficits hideux.
Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pingouin mélancolique, il regarde les cieux.
Les promesses coulent à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des coffres fouillé la profondeur;
L’océan était vide et la plage déserte;
Pour tout financement il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à son fisc les entrailles ménagères,
Dans son amour sublime il berce nos douleurs;
Et, regardant couler de trop maigres gabelles,
Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
François voit le naufrage engloutir ses enfants;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, frappant son cœur d’une anaphore sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que la promo Voltaire déserte le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se recommande à Dieu.
Français, c’est ainsi que font les politiques.
Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qu’ils servent à leur public
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang (…) ».
(D’après Alfred de Musset, « La nuit de mai »)
Del Basta, 18 juillet 2014