LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
Le Code du travail permet à l’employeur de déroger à la durée légale du travail et au régime des heures supplémentaires en mettant en place des conventions individuelles de forfait annuel en jours. Celles-ci permettent à l’employeur de rémunérer forfaitairement les salariés sur la base d’un nombre de jours travaillés par an. La durée du travail est ainsi comptabilisée en jours, et non plus en heures.
Le législateur a strictement encadré les conditions de mise en place de ces conventions. Elle sont subordonnées à la conclusion :
– d’une convention ou d’un accord collectif le prévoyant (d’entreprise, d’établissement ou de branche), et
– d’une convention individuelle de forfait (écrite) avec chaque salarié concerné.
Depuis quelques années, la Cour de cassation exigeait également que l’accord en application duquel étaient conclues ces conventions contiennent des dispositions de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés concernés (respect des durées maximales de travail, des repos journaliers et hebdomadaires, suivi et contrôle de l’amplitude des journées de travail, charge de travail raisonnable, etc.). Cette position concernait aussi les accords de branche, c’est-à-dire les conventions collectives négociées au niveau national, s’appliquant à toutes les entreprises du secteur d’activité concerné en France.
Cette situation a donné lieu à une jurisprudence très abondante, la Haute Cour censurant à la chaîne les dispositions prévues par de nombreuses conventions collectives : commerces de gros le 26 septembre 2012, industries chimiques le 31 janvier 2012, bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite Syntec) le 24 avril 2013, cabinets d’experts comptables et commissaires aux comptes le 14 mai 2014, etc.
Grave conséquence pour les entreprises : Toutes les conventions de forfait conclues en application de ces conventions collectives se trouvaient de facto privées d’effet… Les employeurs étaient ainsi dans l’insécurité juridique la plus totale puisque tous les salariés concernés pouvaient désormais prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, et ce alors même qu’ils s’étaient naïvement fondés sur les dispositions de leur propre convention collective !
Cette stratégie, bien connue des avocats amenés à défendre les intérêts de cadres autonomes licenciés, était bien plus efficace et plus rentable que de réclamer des dommages-intérêts pour licenciement abusif ! La chambre sociale de la Cour de cassation n’a malheureusement jamais su mettre un terme à cette pratique…
Le législateur est finalement intervenu et la loi Travail du 8 août 2016 sécurise enfin le régime du forfait jours : Elle précise non seulement les clauses obligatoires de l’accord collectif permettant d’assurer la santé et la sécurité des salariés, mais permet désormais à l’employeur dont l’accord collectif n’est pas conforme, ou a été invalidé, de poursuivre l’exécution ou conclure de nouvelles conventions individuelles de forfait avec les salariés concernés à condition de respecter l’intégralité des dispositions suivantes :
– établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
– s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
– organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ; et
– définir les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion (à défaut de stipulations conventionnelles sur ce point).
Désormais, l’employeur pourra directement palier aux carences de l’accord collectif auquel il est soumis ! Mais, encore faut-il que ce dernier mette effectivement en œuvre les mesures supplétives dictées par le législateur.
La loi sécurise également les accords collectifs conclus avant l’entrée en vigueur de la loi et ne comportant pas les nouvelles dispositions obligatoires. Les conventions de forfait conclues avec les salariés se poursuivront sans que l’employeur ait à recueillir leur accord et ce, même lorsque les accords auront été renégociés pour être mis en conformité.
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