La loi Sapin 2 introduit la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (« CJIP ») dans le droit pénal français, sorte de transaction pénale calquée sur le « deferred prosecution agreement » américain.
Après avoir été abandonnée une première fois durant la rédaction du projet de loi Sapin 2, la CJIP a été réintroduite durant les débats parlementaires en tenant compte des critiques formulées par le Conseil d’État. Elle sera insérée au sein du Code pénal dans un nouvel article 41-1-2.
Le Conseil constitutionnel ayant été saisi de la loi Sapin 2, il est toutefois possible que ce nouvel article ne soit pas promulgué en l’état.
Qui peut bénéficier d’une CJIP ?
Une personne morale mise en cause pour corruption, trafic d’influence, blanchiment, blanchiment aggravé ou blanchiment de fraude fiscale et qui accepte l’accord proposé par le Procureur de la République.
Quand et comment peut-on bénéficier d’une CJIP ?
« Tant que l’action publique n’est pas en mouvement » et « sur proposition du Procureur de la République ».
Par ailleurs, la loi Sapin II permet au juge d’instruction, saisi de faits constituant une des infractions pouvant faire l’objet d’une CJIP, de transmettre la procédure au Procureur afin que ce dernier tente de conclure une convention avec la ou les personne(s) morale(s) mise(s) en examen.
Contenu d’une CJIP
Par cette convention, la personne morale pourra ainsi se voir imposer une ou plusieurs des obligations suivantes :
– le versement d’une amende au Trésor public dont le montant sera fixé de « manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements » ;
– la mise en place, pour une durée maximale de 3 ans, d’un programme de mise en conformité comprenant une ou plusieurs mesures de prévention et de détection (voir notre article à ce sujet). Ce programme s’effectue sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (« AFA » voir notre article à son sujet, p.5), aux frais de la personne morale concernée dans la limite d’un plafond fixé dans la convention ;
– la réparation des dommages causés par l’infraction aux éventuelles victimes identifiées à ce stade et qui pourront transmettre au Procureur tout élément permettant d’évaluer leur préjudice.
Les sommes en questions devront être payées dans un délai maximum d’un an.
La validation de la CJIP par un magistrat du siège
En cas d’accord entre la personne morale mise en cause et le Procureur, ce dernier saisira le Président du Tribunal de grande instance aux fins de validation de la convention.
À l’issue d’une audience publique et de débats contradictoires, celui-ci sera libre de valider ou non la proposition de convention en « vérifiant le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l’amende (…) et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements ».
Sa décision est insusceptible de recours.
Effet de l’ordonnance de validation du TGI
Elle n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.
Il est à noter que la loi comprend une ambiguïté à cet égard. Lorsque c’est le juge d’instruction qui transmet la procédure au Procureur en vue de la conclusion d’une CJIP, cette possibilité n’est ouverte que si « la personne morale mise en examen reconnaît les faits et qu’elle accepte la qualification pénale retenue ». Bien que l’instruction judiciaire soit secrète, la rédaction de cet article est pour le moins malheureuse dans la mesure où elle laisse entendre que la personne morale reconnaît sa culpabilité. Reste donc à savoir comment ce nouveau dispositif sera utilisé par les magistrats du parquet et par les juges d’instruction.
Elle n’est pas inscrite au bulletin n°1 du casier judiciaire, ce qui signifie par conséquent que la personne morale évitera d’être exclue des marchés publics français ou étrangers qui sont généralement réservés aux personnes n’ayant jamais fait l’objet de condamnation pour des atteintes à la probité.
L’ordonnance de validation, le montant de l’amende et la convention sont publiés sur le site internet de l’Agence française anticorruption.
Droit de rétraction
Si le Président du TGI rend une ordonnance de validation, la personne morale mise en cause dispose d’un délai de 10 jours pour se rétracter, faute de quoi elle sera tenue d’exécuter les obligations qui découlent de la convention.
Instruction
Dans le cas où le juge d’instruction transmet au Procureur le dossier en vue de la conclusion d’une CJIP, l’instruction est suspendue. S’il existe des mesures de contrôle judiciaire, celles-ci sont maintenues jusqu’à validation de la CJIP.
Si, 3 mois après transmission de la procédure :
– aucun accord sur une CJIP n’a été trouvé ;
– la convention n’a pas été validée par le Président du TGI ;
– la personne morale exerce son droit de rétractation ;
– la personne morale n’exécute pas l’intégralité des obligations dans le délai prévu à la CJIP ;
– le Procureur de la République retransmet la procédure au juge d’instruction et l’instruction peut reprendre.
Action publique
Durant l’exécution de la CJIP, la prescription de l’action publique sera suspendue. Si elle est pleinement exécutée, l’action publique sera éteinte.
En revanche, (i) si la personne morale mise en cause n’exécute pas pleinement ses obligations, (ii) si elle se rétracte dans les 10 jours suivant la validation de la convention ou (iii) si le Président du TGI refuse de valider cette dernière, le Procureur sera tenu de mettre en mouvement l’action publique.
Dans les cas (ii) et (iii), le Procureur ne pourra faire état devant la juridiction d’instruction ou de jugement des déclarations faites ou des documents remis lors de la procédure. A contrario, ces éléments pourront donc être utilisés si la personne n’exécute pas ses obligations.
Sanction en cas de mauvaise exécution de la CJIP
Si la personne morale ne justifie pas avoir exécuté intégralement ses obligations, le Procureur devra lui notifier, à peine de nullité, l’interruption de l’exécution de la convention. Ceci entraîne de plein droit la restitution de l’amende versée au Trésor public, mais pas le remboursement de frais de l’AFA.
Au-delà de la CJIP
Même si la CJIP est exécutée :
– les victimes non encore indemnisées (sauf l’État) gardent la possibilité de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile ;
– les personnes physiques n’étant pas concernées par ce nouveau dispositif, les représentants légaux des personnes morales mises en cause demeureront responsables et pourront donc faire l’objet de poursuites pénales distinctes.
***
La CJIP constitue un outil répressif similaire à ceux existants déjà dans de nombreux pays membres de l’OCDE.
La CJIP a pour principal intérêt, pour la personne morale, de ne pas emporter déclaration de culpabilité et de n’avoir ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. En d’autres termes, elle ne sera pas inscrite à son casier judiciaire mais fera seulement l’objet d’un communiqué du Procureur et d’une publication sur le site internet de l’AFA. La personne morale évitera ainsi d’être exclue des marchés publics français ou étrangers. De plus, la CJIP permet d’éviter les frais de procès.
En revanche elle n’est pas sans contrainte (paiement d’une lourde amende et/ou mise en place d’un programme de conformité) et n’exclut pas tous les risques puisqu’elle n’empêchera pas les actions en réparation des victimes au civil ni les actions par des autorités étrangères pour les délits en question ou pour des délits connexes (d’autant que les CJIP seront publiées sur le site de l’AFA).
C’est avec la pratique que l’on pourra juger de l’efficacité du dispositif.
Cet article a été co-écrit par Marie-Aimée Peyron, Stéphanie Faber et Louis-Emmanuel Pierrad