L’un des points les plus inattendus de la décision du Conseil Constitutionnel concerne tout d’abord le principe de l’interopérabilité, sur lequel un consensus avait été trouvé, mais que le Conseil a censuré. Rappelons que l’exception d’interopérabilité, concept du législateur français, non compris dans la Directive européenne, visait à assurer la compatibilité entre les mesures techniques de protection – "MTP" ou "verrouillage" installé sur les œuvres sous format numérique – et les systèmes de lecture des œuvres – baladeurs numériques, logiciels d’écoute numérique notamment. Cet impératif justifiait l’introduction d’une exception spécifique à l’incrimination de contournement des mesures techniques à partir du moment où le contournement était réalisé à des fins d’interopérabilité ou de sécurité informatique. Pourtant, le Conseil Constitutionnel a supprimé l’ensemble des dispositions consacrant cette exception, considérant qu’il s’agissait là d’une atteinte au principe constitutionnel de "légalité des délits et des peines" en raison du soi-disant "flou" de la définition de l’interopérabilité, il est vrai, non définie dans le texte de loi.
Par ailleurs, le Conseil n’a pas retenu l’argument des requérants soutenant que l’absence de définition claire du "test des 3 étapes" – lequel conditionne la validité des exceptions au monopole d’exploitation de l’auteur – portait atteinte au principe de "légalité des délits et des peines". Le Conseil n’y a vu cette fois aucun "flou" et s’est contenté de préciser, pour valider l’insertion du test des 3 étapes en droit français, que le texte de la loi DADVSI se borne "à tirer les conséquences des dispositions inconditionnelles et précises" de la Directive du 22 mai 2001. Ce qui est contestable, compte tenu du peu de précision des dispositions en question et de l’incertitude juridique dans lesquelles elles placent les citoyens pour vérifier la validité d’une exception au droit d’auteur… Soulignons en effet que les notions clés du test des 3 étapes, que sont "l’exploitation normale de l’œuvre", le "préjudice injustifié" ou encore les "intérêts légitimes de l’auteur", ne sont définies nulle part ! Aux juges donc de se charger, comme souvent, d’en délimiter les contours !
Sur la question de la licéité de la source de la copie, qui a donné lieu à plusieurs jurisprudences et à de nombreux débats en doctrine, le Conseil a précisé que les dispositions qui conditionnent le bénéfice d’une exception au droit d’auteur, à un accès licite à l’œuvre, "ne contraindront pas les bénéficiaires des exceptions à apprécier eux-mêmes le caractère licite ou illicite de cet accès". Est-ce à dire qu’un internaute utilisant un logiciel de peer to peer pourra bénéficier de l’exception de copie privée dans le cas d’un simple téléchargement de fichiers à usage privé sans mise à disposition des autres internautes ? La réponse ne semble pas tranchée…
Enfin, sur les sanctions pénales pour contrefaçon, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions du texte prévoyant une peine de contravention à l’encontre des utilisateurs de logiciels peer to peer : le Conseil a en effet estimé que la "contraventionalisation" de cette infraction conduisait à une inégalité de traitement injustifiée devant la loi entre les contrefacteurs utilisant un logiciel de peer to peer et les autres types de contrefacteurs de droits d’auteur, pour lesquels la contrefaçon est un délit correctionnel. On peut s’interroger sur l’opportunité d’une telle censure : la "contraventionalisation" n’était-elle pas en effet une réponse pragmatique à la contrefaçon de masse que constitue le téléchargement d’œuvres via le peer to peer ? La spécificité de ce type d’infraction aurait pu justifier une sanction différente, qui quoique contravention, n’en demeure pas moins une sanction pénale.
La lecture du texte définitif, dont des dispositions importantes ont été censurées par le Conseil Constitutionnel, laisse, on le voit, un grand nombre de questions en suspend. D’autant que l’on attend encore plusieurs décrets d’application et la mise en place d’une Autorité de régulation (une nouvelle "AAI", autorité administrative indépendante) qui aura la charge de préciser les modalités d’application de principes essentiels au titre desquels, entre autres, la conciliation des MTP et du principe de copie privée… Bref, du travail en perspective pour les juges, les professionnels et les praticiens du droit de la propriété intellectuelle.