Moins d’un an après la dernière loi dite de « simplification et d’amélioration de la qualité du droit » (loi du 17 mai 2011, précédemment commentée dans La Revue), le législateur vient, sur proposition du député Jean-Luc Warsmann, d’adopter une nouvelle loi de « simplification du droit » et d’« allégement des démarches administratives ».
Cette loi, qualifiée par la doctrine de « volumineuse » (134 articles), contient, notamment, de nombreuses dispositions relatives au droit des sociétés, dont nous vous présentons les principales ci-après (les modifications relatives aux SCPI, aux SEL et aux SCOP, les modifications « mineures » relatives aux associations loi 1901 et les modifications des sanctions et injonctions relatives aux sociétés commerciales et aux G(E)IE ne sont pas étudiées ici).
Comme à l’accoutumée, sauf précision contraire ou mise en œuvre subordonnée à la parution d’un décret, ces mesures sont entrées en vigueur le jour suivant la parution de la loi au Journal Officiel, soit le 24 mars 2012.
1. Dispositions relatives au dépôt des comptes sociaux
La loi prévoit que les sociétés commerciales (c’est-à-dire, les SNC soumises au dépôt au greffe des comptes annuels, les SARL, les SA, les SCA et les SAS) autres que les sociétés cotées, ne sont désormais plus tenues de déposer au greffe du Tribunal de commerce leur rapport de gestion annuel.
De nombreuses structures pour lesquelles la diffusion d’informations à caractère « stratégique » contenues dans le rapport de gestion présentait souvent des difficultés, notamment vis-à-vis des concurrents, vont certainement accueillir favorablement cette dispense.
Notons toutefois que :
• les SA à directoire et conseil de surveillance et les SCA restent tenues de déposer au greffe le rapport du conseil de surveillance (ce dernier comportant cependant souvent beaucoup moins d’informations sensibles) ;
• les sociétés tenues d’établir des comptes consolidés restent tenues de déposer au greffe le rapport de gestion du groupe (ce qui suppose désormais de bien dissocier physiquement le rapport de gestion annuel du rapport de gestion du groupe, afin de ne déposer que ce dernier) ;
• les sociétés qui ne sont plus tenues de déposer au greffe leur rapport de gestion doivent le tenir à la disposition de toute personne qui en fait la demande, dans des conditions qui seront précisées par décret ;
• Toute société doit communiquer le rapport de gestion à l’administration fiscale si celle-ci en fait la demande.
En principe, en l’absence de précision contraire, cette dispense aurait dû s’appliquer immédiatement, les sociétés concernées n’étant donc plus obligées, depuis le 24 mars 2012, de déposer leurs rapports de gestion (établis ou à venir).
Cependant, en pratique, la position du greffe du Tribunal de commerce de Paris, interrogé par l’un de nos formalistes, est beaucoup plus restrictive : le greffe a en effet indiqué qu’il estimait que l’entrée en vigueur de cette dispense était subordonnée à la parution du décret précisant les conditions dans lesquelles les sociétés concernées devaient tenir leur rapport de gestion à la disposition de toute personne qui en faisait la demande.
De facto, et si, comme c’est probable, les autres greffes s’alignent sur la position du greffe de Paris, la dispense prévue par la loi est inapplicable tant que le décret susvisé n’est pas paru (ce qui, à notre sens, ne paraissait pas nécessairement être la volonté du législateur).
Espérons que, contrairement à de nombreux autres décrets d’application dont on attend toujours la parution, le décret susvisé paraîtra rapidement. A défaut, cette dispense, intéressante pour de nombreuses sociétés, notamment pour des raisons de protection contre la concurrence, risque de rester lettre morte.
Enfin, notons que la loi prévoit désormais que le greffier qui constate le défaut de dépôt des comptes doit en informer le Président du Tribunal de commerce, pour que ce dernier puisse mettre en œuvre la procédure d’injonction de le faire à bref délai sous astreinte.
Il est donc fort possible que la politique des greffes concernant l’absence de dépôt des comptes se durcisse ostensiblement et que ces derniers utilisent cette nouvelle disposition pour contraindre les sociétés à procéder au dépôt de leurs comptes, tout en refusant – pour l’instant du moins – d’appliquer la dispense de dépôt du rapport de gestion.
Sous couvert d’une « simplification », la loi nouvelle pourrait donc, en définitive – dans l’attente de parution du décret d’application – se révéler plus coercitive que les dispositions anciennes !
2. Dispositions relatives au régime des apports en nature
Que ce soit en cas d’apport en nature lors de la constitution ou d’une augmentation du capital d’une société par actions ou d’une SARL, la désignation d’un commissaire aux apports peut désormais être effectuée à l’unanimité des actionnaires ou associés, sans qu’il soit nécessaire de demander cette désignation en justice.
Rappelons qu’auparavant, cette possibilité était uniquement offerte aux associés d’une SARL en cours de constitution, lorsque le recours à un commissaire aux apports était obligatoire.
Cette disposition, qui simplifie sensiblement les modalités de désignation d’un commissaire aux apports, en en raccourcissant les délais et en en limitant le coût, sera certainement appréciée par de nombreuses structures, notamment dans le cadre de leurs restructurations internes.
Notons que, compte tenu du renvoi par l’article L. 236-10 du Code de commerce (relatif à la nomination et au rôle du commissaire aux apports dans le cadre d’une opération de fusion) à l’article L. 225-8 dudit Code (relatif à la constitution d’une SA par voie d’apport en nature et modifié par la loi de simplification du droit comme indiqué ci-dessus), cette simplification de la procédure de désignation d’un commissaire aux apports semblerait s’appliquer également aux commissaires aux apports intervenant lors d’une opération de fusion.
Si tel était le cas, cela simplifierait les opérations de fusion, notamment en termes de délais (la nomination d’un commissaire aux apports par désignation en justice nécessitant, en général, un délai d’environ 15 jours à 3 semaines, entre la préparation de la requête et le rendu de l’ordonnance).
On peut toutefois s’interroger sur la réelle volonté du législateur sur ce point, l’extension de cette procédure simplifiée de désignation du commissaire aux apports ne découlant que de renvois entre divers articles du Code de commerce.
Par ailleurs, les apports des biens suivants, consentis à une SA, une SCA ou une SAS lors de sa constitution ou lors d’une augmentation de capital, pourront être dispensés de l’évaluation d’un commissaire aux apports si les fondateurs (en cas de constitution) ou le Conseil d’Administration, le directoire, le Président ou le Gérant (en cas d’augmentation de capital), le décident :
• les valeurs mobilières donnant accès au capital ou les instruments du marché monétaire, s’ils ont été évalués au prix moyen pondéré auquel ils ont été négociés sur un ou plusieurs marchés réglementés durant les 3 mois précédant la date de la réalisation effective de l’apport ;
• les autres éléments d’actif ayant été évalués, à l’occasion d’un précédent apport, par un commissaire aux apports, 6 mois au plus avant la réalisation effective du nouvel apport.
L’entrée en vigueur de cette dispense d’évaluation est toutefois subordonnée à la parution d’un décret définissant les informations relatives à ces apports qui devront être portées à la connaissance des actionnaires ou associés.
Par ailleurs, l’évaluation de ces biens devra faire l’objet d’une révision par un commissaire aux apports en cas de circonstances « exceptionnelles » ou « nouvelles ».
La tendance à la diminution des cas d’intervention obligatoire des commissaires aux apports ou à la fusion se confirme donc.
Notons que, contrairement aux nouvelles modalités de désignation d’un commissaire aux apports, pour lesquelles la question du champ d’application peut se poser (cf. ci-dessus), les dispositions relatives aux dispenses d’évaluation des apports par un commissaire aux apports, qui sont introduites dans le Code de commerce par le biais de nouveaux articles (L. 225-8-1 et L. 225-147-1 dudit Code), ne devraient en principe pas s’appliquer de facto aux opérations de fusion. En effet, l’article L. 236-10 du Code de commerce (relatif, comme nous l’avons vu plus haut, à la nomination et au rôle du commissaire aux apports dans le cadre d’une opération de fusion) ne fait expressément référence qu’aux articles L. 225-8 et L. 225-147 dudit Code.
3. Dispositions relatives aux apports partiels d’actif entre sociétés de formes différentes
Le législateur étend le bénéfice du régime des scissions – auparavant réservé aux apports partiels d’actif réalisés entre SA/SAS/SARL – aux apports partiels d’actif réalisés entre toutes sociétés commerciales.
Comme le souligne le rapport de l’Assemblée nationale, « la scission est une opération fiscalement avantageuse et juridiquement plus sûre que l’apport isolé car elle entraîne transmission universelle de patrimoine. La nouvelle mesure contribuera au développement des groupes de sociétés dont les restructurations d’activités seront facilitées, une société mère pouvant ainsi se recentrer sur son cœur de métier en apportant une partie de son activité à une filiale, plutôt qu’en l’abandonnant à la concurrence par cession à un tiers ».
4. Dispositions relatives aux informations sociales et environnementales du rapport de gestion
Rappelons qu’en application des dispositions de l’article L. 225-102-1 du Code de commerce, modifié par les lois du 12 juillet 2010 (Grenelle II) et du 22 octobre 2010 (de régulation bancaire et financière), les SA et les SCA cotées ou celles d’une certaine taille (à définir par décret) doivent inclure dans leur rapport de gestion annuel, « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité et sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable ».
Comme le souligne la doctrine, cette information aurait dû figurer pour la première fois dans les rapports établis en 2012 au titre de l’exercice 2011. Cependant, les nouvelles dispositions sont restées inapplicables, faute de publication du décret d’application.
L’entrée en vigueur de ces dispositions est donc reportée : les nouvelles mentions devront figurer pour la première fois dans les rapports établis en 2013, au titre de l’exercice ouvert « après le 31 décembre 2011 », soit en 2012.
Est corrélativement reportée la date à partir de laquelle, pour les sociétés cotées, ces informations devront être vérifiées par un organisme tiers indépendant et celle à partir de laquelle cette vérification devra donner lieu à un avis transmis à l’assemblée des actionnaires/associés en même temps que le rapport de gestion.
Cette date reste inchangée pour les autres sociétés tenue à l’information (sociétés d’une certaine taille) : c’est à partir de l’exercice clos au 31 décembre 2016 que les informations fournies par ces sociétés devront être vérifiées.
Enfin, lorsque la société établit des comptes consolidés, la société-mère devant fournir ces informations pour elle-même et pour l’ensemble de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle, lesdites filiales et sociétés contrôlées seront exonérées de cette obligation, à condition que :
• la société-mère présente ces informations de manière détaillée par filiale ou société contrôlée ;
• la filiale ou la société contrôlée indique, dans son propre rapport de gestion, comment accéder à ces informations.
Compte tenu des nombreuses dispositions légales récentes en matière de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (RSE), un article spécifique y sera consacré dans un prochain numéro de La Revue.
5. Autres dispositions
Parmi celles-ci, notons, en particulier :
• La dispense de publication des droits de vote dans un journal d’annonces légales après l’assemblée générale ordinaire annuelle, pour les SA et les SCA non cotées (les SAS n’étant déjà initialement pas concernées par cette obligation), lorsque le nombre de droits de vote n’a pas varié depuis la précédente assemblée (en l’absence de sanction, notons toutefois que cette obligation est actuellement loin d’être respectée, en pratique).
• La possibilité pour le commissaire aux comptes, sur autorisation de l’assemblée générale ordinaire, d’adresser directement au greffe son/ses rapports sur les comptes annuels (et consolidés, le cas échéant), ainsi que les documents relatifs à l’acceptation de sa mission ou à sa démission (l’intention du législateur étant, selon le rapport de l’Assemblée nationale, « de permettre à la société de transférer aux commissaires aux comptes la charge de déposer au greffe leurs rapports, attestations et certifications sans pour autant dispenser le commissaire de les adresser à la société, qui est la première concernée par leur contenu »).
• La fixation de la durée maximale des fonctions d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance d’une SA à 6 ans, tant pour les dirigeants nommés lors de la constitution de la société (dont le mandat étant auparavant limité à 3 ans dans les sociétés n’offrant pas leurs titres au public) que pour ceux qui sont nommés en cours de vie sociale.
• La suppression de la condition d’antériorité du contrat de travail dans le cadre du cumul des statuts de salarié et d’administrateur dans une SA, à condition que le contrat de travail corresponde à un emploi effectif et que la société soit considérée comme une PME au sens du droit européen (c’est-à-dire qu’elle ait un effectif inférieur à 250 salariés et un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros ou un montant hors taxe de chiffre d’affaires n’excédant pas 50 millions d’euros). Pour le calcul du pourcentage maximal du tiers des administrateurs liés à la société par un contrat de travail, les administrateurs devenus salariés sont pris en compte.
• L’alignement du régime de la SARL sur celui des sociétés par actions concernant la libération des parts sociales nouvelles souscrites lors d’une augmentation de capital (libération d’un quart au moins de leur valeur nominale).
• L’espacement de la consultation périodique des actionnaires/associés sur un projet d’augmentation de capital réservé aux salariés, le délai de 3 ans étant repoussé à 5 ans si, à l’occasion d’une augmentation de capital, les actionnaires/associés se sont prononcé depuis moins de 3 ans sur un projet de résolution tendant à réaliser une augmentation de capital réservée aux salariés.
En pratique, à notre sens, cette disposition doit être comprise de la manière suivante : pour une société dont les actionnaires/associés ont statué sur la consultation périodique en 2009 (N) :
o La prochaine consultation périodique doit en principe avoir lieu en 2012 (N+3) ;
o Si la société procède à une augmentation de capital en 2009 (après la consultation périodique), en 2010 ou en 2011, la prochaine consultation périodique est reportée à 2014 (N+5) et la consultation suivante aura donc lieu, au plus tôt, en 2017 (N+3).
• Le rétablissement de la dispense d’établissement de comptes consolidés pour les groupes « d’importance négligeable », introduite par la loi du 17 mai 2011, mais censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme.
• L’assouplissement des conditions de demande de réunion d’une assemblée par un ou plusieurs associés de SARL, la réunion pouvant désormais être demandée par 10% des associés détenant 10% des parts sociales.
• L’assouplissement des conditions de demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée spéciale réunissant les détenteurs d’une catégorie d’actions dans les SA et les SCA, la demande pouvant désormais être présentée par les actionnaires/associés réunissant au moins 10% des actions de la catégorie.
• L’augmentation du nombre total d’actions pouvant être attribuées gratuitement aux salariés et dirigeants d’une société par actions non cotée, le plafond étant porté de 10% à 15% du capital et le raccourcissement du délai pendant lequel les bénéficiaires d’actions gratuites ne peuvent pas céder celles-ci (celui-ci étant ramené de 10 à 3.