Cass. Com. 19 Mars 2013, 12-14407

Le salarié démissionnaire mais toujours associé, cofondateur d’une SARL et détenteur de 40% de son capital, a créé une société concurrente directe, s’appuyant sur l’aide d’un ancien sous-traitant. La SARL a assigné en paiement de dommages-intérêts l’associé pour avoir agi au mépris de son obligation de loyauté et de se livrer à des actes de concurrence déloyale. La Cour de cassation a rejeté la demande de la SARL au motif qu’il ne s’agissait pas d’un acte de concurrence déloyale pouvant caractériser une atteinte au devoir de loyauté d’un associé.

Dans cet arrêt la Cour de cassation va plus loin que la simple confirmation du principe posé dans son arrêt du 15 novembre 2011. En effet, si elle avait déjà affirmé que le devoir de non concurrence ne s’appliquait pas à l’associé d’une SARL, elle n’avait pas envisagé le cas d’un associé salarié. Il est ici jugé que l’associé d’une SARL peut rompre le contrat de travail dont il est titulaire au sein de cette société afin de fonder une société potentiellement concurrente. Il est important de souligner que cette possibilité s’exerce sous réserve de l’absence de clause de non concurrence dans le contrat de travail ou dans les statuts de la société.

Cet arrêt marque également une évolution puisqu’il n’ouvre pas seulement aux associés la possibilité de s’engager dans de nouveaux projets, mais permet à l’associé de la SARL, suite à sa démission en tant que salarié, de créer une société concurrente. Là où il ne s’agissait, dans le cas précédent, que de la mise en œuvre d’un projet pour le compte d’une société concurrente, il s’agit cette fois d’autoriser la formation d’une société qui exerce la même activité que la société initiale.

Reste la question de savoir si un devoir de loyauté de l’associé qui se manifesterait par une obligation de non-concurrence peut être déduit de l’article 1833 du Code civil. Ainsi, est-ce que le fait pour un associé, co-fondateur, détenteur de 40% du capital et salarié pendant un temps, de créer une société concurrente sans en informer sa société ne vient pas à l’encontre d’une certaine « obligation de non-concurrence » pesant sur tout associé ?

Si la décision de la Cour de cassation semble radicale, cette dernière est loin d’être absolue. C’est bien cette « qualité » d’associé qui est étrangère à l’obligation de non concurrence. En effet, dans les sociétés de capitaux où l’affectio societatis est plus ténu, en l’absence de stipulation contraire, ce devoir de loyauté et cette obligation de non concurrence ne pèsent que sur le dirigeant.

La Cour de cassation tente de reconnaître par un arrêt du 6 mai 1991 une obligation de non-concurrence pesant sur l’associé d’une SARL en jugeant qu’en sa seule qualité d’associé, le porteur de parts d’une SARL « avait l’obligation de s’abstenir de tout acte de concurrence à l’égard de celle-ci » .

Cependant, la doctrine n’a pas suivi et par un arrêt en date du 26 novembre 1996, la Cour a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que le fait pour un associé d’entrer au service d’une société concurrente « ne constituait pas ipso facto un acte constitutif de concurrence déloyale ».

Cette position a été confirmée le 15 novembre 2011 par la Chambre commerciale qui a posé le principe « sauf stipulation contraire, l’associé d’une SARL n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyaux ».

La Cour de cassation vient finalement cerner un peu plus la vaste notion d’acte de concurrence déloyale, limite classique à toute liberté du commerce.