Depuis la signature de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet en février 2013, ce projet a connu bien des vicissitudes. Alors que son entrée en vigueur est conditionnée à la ratification de 13 États, parmi lesquels les trois États les plus importants (en terme de nombre de brevets européens), France, Allemagne et Royaume-Uni, seuls 11 États ont ratifié l’Accord avec quelques notables retours en arrière, en particulier le retrait du Royaume-Uni officialisé en juillet 2020 et trois recours déposés en Allemagne contre les textes de ratification de l’Accord. Le premier recours avait conduit en février 2020 à l’invalidation par la cour de Karlsruhe de la première loi de ratification. Le Parlement allemand a dû voter une seconde loi de ratification qui a été de nouveau attaquée mais cette fois, la cour constitutionnelle allemande a annoncé le 9 juillet qu’elle avait rejeté les recours.
Il semble donc que la voie soit désormais libre pour que la JUB puisse être opérationnelle au printemps 2022.
Chez Squire Patton Boggs nous avons constitué une équipe spécialement dédiée à la JUB.
Nous répondons ici aux questions qui nous sont posées de façon récurrente.
Quels seront les compétences et pouvoirs de la JUB ?
En bref, la JUB sera un tribunal paneuropéen, qui sera compétent pour rendre des décisions sur les brevets unitaires et les brevets européens pour les 24 États membres participants (c’est-à-dire les 27 pays de l’UE à l’exception de l’Espagne, de la Pologne et de la Croatie). Cela signifie que les brevetés pourront obtenir des injonctions effectives dans tous les États membres contractants pour lesquels leur brevet produit ses effets et des dommages-intérêts tenant compte du préjudice subi sur tout ce territoire.
En particulier, elle aura une compétence exclusive pour les actions en contrefaçon, les actions en déclaration de non-contrefaçon, les actions visant à obtenir des mesures provisoires, conservatoires et des injonctions, les actions en nullité et les demandes reconventionnelles en nullité. Les juridictions nationales resteront compétentes pour tout ce qui ne ressort pas de la compétence exclusive de la JUB.
LA JUB aura également le pouvoir de prendre les mesures provisoires suivantes, dont certaines par défaut (c’est-à-dire sans entendre le défendeur), si des conditions spécifiques sont remplies :
- ordonner des mesures provisoires de conservation des preuves et d’inspection des locaux, ou « saisie-contrefaçon »,
- ordonner à une partie de produire des preuves,
- ordonner à une partie de ne pas soustraire des biens à la juridiction de la JUB (ordonnances dites de « gel »),
- accorder des mesures provisoires et conservatoires, telles que des injonctions à l’encontre d’un contrevenant présumé ou de tout intermédiaire,
- ordonner la saisie ou la remise des produits soupçonnés de porter atteinte à un brevet, ainsi que la saisie conservatoire des biens meubles et immeubles du prétendu contrefacteur, y compris le blocage des comptes bancaires et la saisie des autres biens du défendeur.
Où sera située la JUB ?
Le Tribunal de première instance sera composé d’une division centrale ayant son siège à Paris et une section à Munich, ainsi que de plusieurs divisions locales (une division locale par Etat membre qui le demande) et régionales (lorsque plusieurs États membres se regroupent). La cour d’appel et le greffe seront situés à Luxembourg. En outre, des centres de médiation et d’arbitrage seront situés à Ljubljana (Slovénie) et à Lisbonne.
À l’origine, les trois sections du Tribunal de première instance étaient censées être spécialisées dans certains domaines :
- Paris pour les transports, les textiles, le papier, les constructions fixes, la physique, l’électricité, l’électronique et les télécommunications,
- Munich pour la mécanique, l’éclairage, le chauffage, l’armement et le « sautage » (càd les explosifs) et
- Londres pour les sciences de la vie, la santé, la chimie et la métallurgie.
Avec le retrait du Royaume-Uni, Londres disparaît du paysage et on ignore encore comment seront réparties les compétences qui lui avaient été dévolues.
A quel style de procédure doit-on s’attendre ?
Pour engager une action, il faudra déposer une requête auprès du greffe de la JUB, qui devra contenir les éléments minimums requis par le règlement de procédure.
La procédure en première instance et en appel comprendra trois étapes :
- La procédure écrite : au cours de cette première phase, les parties échangent des mémoires et des pièces (généralement deux à trois jeux de mémoires chacune).
- La procédure de mise en état : pendant cette phase, le juge de la mise en état s’assure que le dossier contient tous les éléments nécessaires pour permettre de rendre une décision et de préparer l’audience. Il peut ordonner aux parties de produire davantage de preuves ou d’expériences techniques, de répondre à des questions spécifiques ou de fournir des éclaircissements sur certains points. Le juge rapporteur peut également tenir des audiences préparatoires avec des témoins ou des experts.
- La procédure orale : La procédure orale consistera en principe en une seule audience. Les juges pourront ordonner l’audition de témoins et d’experts qui pourront être entendus et interrogés par les parties (cross-examination à l’anglo-saxonne) et les juges – toujours sous le contrôle du président du tribunal – soit au cours d’une audience spéciale, soit au cours de la procédure orale.
Quelle sera la langue de la procédure ?
Devant la division centrale, la langue de la procédure est la langue dans laquelle le brevet a été délivré.
Devant une division locale, la procédure se déroule en principe dans la langue officielle ou l’une des langues officielles de l’État membre contractant accueillant cette division locale.
Devant une division régionale, c’est en principe la ou les langues officielles désignées par les États membres qui ont décidé de créer cette division régionale.
La langue de procédure devant la Cour d’appel est la même langue que celle qui avait été utilisée devant le Tribunal de première instance.
Il existe des exceptions aux principes ci-dessus. Par exemple, les parties peuvent convenir, ou le Tribunal de première instance peut décider à la demande d’une partie, que la procédure sera menée dans la langue du brevet.
En général, tout document doit être traduit dans la langue de la procédure. Les frais de traduction sont à la charge de la partie qui soumet le document.
Comment les juges seront-ils nommés ?
Nombre de commentateurs prédisent que le succès de la JUB dépendra essentiellement de la qualité de ses premières décisions qui dépendra bien sûr de la qualité de ses juges. Les juges seront des ressortissants des États membres participants et seront répartis en deux catégories, les juges « qualifiés sur le plan juridique » et les juges « qualifiés sur le plan technique ». Ils devront tous avoir une expérience avérée en contentieux des brevets.
- Les chambres des divisions locales et régionales seront composées de trois juges qualifiés sur le plan juridique. Un quatrième juge qualifié sur le plan technique pourra être ajouté à la demande d’une partie ou à l’initiative de la chambre.
- Les chambres de la division centrale seront composées de trois juges, un juge qualifié sur le plan technique et deux qualifiés sur le plan juridique, les trois juges étant de nationalités différentes.
- Au niveau de la Cour d’appel, chaque chambre sera composée de cinq juges, deux qualifiés sur le plan technique et trois qualifiés sur le plan juridique.
Les juges qualifiés sur le plan juridique doivent posséder les qualifications requises pour être nommés à des fonctions judiciaires dans un État membre. Les juges qualifiés sur le plan technique doivent avoir un diplôme universitaire et une expertise avérée dans un domaine technique. Ils doivent également avoir une connaissance avérée du droit civil et de la procédure dans le domaine du contentieux des brevets.
Après deux périodes de candidatures, l’une en 2016 et l’autre en 2019, le comité consultatif de la JUB (composé de juges de brevets et de praticiens du droit des brevets et du contentieux des brevets) a établi une liste des candidats les plus aptes. Sur la base de cette liste, le comité administratif, composé d’un représentant de chaque État membre contractant, nommera les juges.
Combien coûtera la procédure en première instance ?
L’un des avantages annoncés de la JUB est la réduction du coût des litiges car les parties n’auront plus besoin d’engager des procédures parallèles dans différents États membres.
En 2016, le comité préparatoire de la JUB a publié des règles sur les frais de justice et les coûts récupérables. Selon ces règles, il y aura :
- Une taxe fixe, qui est due pour l’introduction d’une action (contrefaçon, déclaration de non-contrefaçon et révocation), les demandes de perquisition et de saisie de preuves, l’autorisation d’interjeter appel et d’autres procédures. Le montant de cette taxe varie entre 100 et 20.000 euros, en fonction de l’action.
- Un honoraire basé sur la valeur, applicables aux affaires de contrefaçon et de déclaration de non-contrefaçon d’une valeur supérieure à 500 000 euros. Cet honoraire supplémentaire varie de 2.500 € à 325.000 €.
Les honoraires peuvent être réduits dans certaines circonstances, notamment lorsque l’action est retirée ou réglée (de 20 à 60 % selon le stade auquel cela se produit) ou pour les petites entreprises et les micro-entreprises, qui paieront 60 % des honoraires standard.
Les frais de justice raisonnables et proportionnels encourus par la partie gagnante (par exemple, les frais de la JUB et les honoraires d’avocats) seront généralement récupérables auprès de l’autre partie, à moins que l’équité ne s’y oppose et jusqu’à un plafond fixé conformément au règlement de procédure (article 69 de l’Accord sur la JUB). Le comité préparatoire a établi un projet de grille des coûts recouvrables en fonction de la valeur du litige. Le plafond est fixé à 3. 000 euros pour les actions dont la valeur est inférieure ou égale à 250.000 euros et passe à 2 millions d’euros pour les actions dont la valeur est supérieure à 50 millions d’euros. Dans des situations complexes ou compte tenu de la situation économique d’une partie, le tribunal aura le pouvoir, à sa discrétion, de relever ou d’abaisser ces plafonds.
Est-il judicieux de déroger à la compétence exclusive de la JUB et quand dois-je prendre cette décision ?
Pendant une période transitoire de sept ans, les brevetés peuvent choisir de déroger à la compétence exclusive de la JUB. Quels sont les avantages et inconvénients de cet « opt-out » ? Nous avons préparé une check list spécifique pour vous guider dans cette décision.
Notre équipe JUB est constituée d’avocats ayant une grande expérience en contentieux des brevets au niveau national et international.
Contacts
Catherine Muyl
Associée, Paris
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Marion Cavalier
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