Cass. 1ère ch. civ., 5 juin 2019, 18-19.011

Dans un arrêt rendu le 5 juin 2019, la Cour de cassation a renvoyé devant le Tribunal des conflits la question relative à la juridiction compétente pour trancher le litige opposant des patients au laboratoire Merck commercialisant le Levothyrox.

En novembre 2017, des patients ont assigné en référé les laboratoires commercialisant le Levothyrox afin d’obtenir leur condamnation sous astreinte à reprendre la distribution de l’ancienne formule de ce médicament. Pour ce faire, ils se sont fondés sur l’article L. 5121-9-1 du Code de la santé publique (CSP) qui prévoit que lorsqu’un médicament est autorisé dans un autre État membre de l’UE mais qu’il ne fait l’objet ni d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) ni d’une demande en cours d’instruction en vue d’une telle autorisation, l’ANSM peut pour des raisons de santé publique autoriser la mise sur le marché de ce médicament. Les défendeurs ont ainsi opposé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.

Conformément à l’article L. 5121-8 du CSP, toute spécialité pharmaceutique doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché pour pouvoir être commercialisée et distribuée. C’est d’ailleurs l’ANSM qui a pour mission de délivrer de telles autorisations ainsi que de prendre toute décision relative à la fabrication, l’importation, la distribution et la mise sur le marché de médicaments.

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle que la juridiction administrative est compétente pour connaître de tout recours introduit contre les décisions prises par l’ANSM en matière de police sanitaire. Cette règle est valable même dans le cas d’un litige opposant des personnes privées.

Toutefois, la mesure sollicitée par les patients n’implique pas uniquement que l’ANSM use de ses prérogatives en matière de police sanitaire pour la mettre en œuvre. En effet, si l’ANSM est un établissement public qui jouit de prérogatives en matière de police sanitaire, il ne peut imposer à un laboratoire pharmaceutique la mise sur le marché de l’ancienne formule de sa spécialité pharmaceutique. Conformément à la décision de la Cour de cassation, enjoindre à un producteur de reprendre la distribution d’une spécialité pharmaceutique « ne constitue pas une mesure de police sanitaire relevant de la compétence du juge administratif ».

Opposition entre la liberté économique d’une part et les prérogatives de puissance publique, d’autre part

Si la décision peut a priori sembler porter uniquement sur une question de compétence, elle peut également figurer parmi les décisions jurisprudentielles qui reflètent l’opposition entre la liberté économique d’une part et les prérogatives de puissance publique, d’autre part.

La décision du Tribunal des conflits permettra de confirmer la juridiction compétente pour connaître la compétence respective des juridictions pour les deux demandes des patients, étant précisé que les requérants se fondent sur l’article L. 5121-9-1 du CSP pour justifier l’injonction de commercialiser l’ancienne formule sur le marché français, cet article ne mentionne en aucun cas une quelconque injonction de faire.

La difficulté sérieuse de la question sur laquelle la Cour de cassation devait se prononcer, consiste dans le fait qu’il s’agit en réalité de deux demandes distinctes. La première est une demande d’AMM de l’ancienne formule du Levothyrox. La seconde consiste dans l’injonction faite au laboratoire de commercialiser l’ancienne formule sur le marché français, une fois l’AMM obtenue.

Article rédigé par Stéphanie Simon