Le 19 janvier 2019, conformément à ce que nous vous annoncions dans un précédent article, le Parlement a autorisé le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances les mesures de préparation à un retrait sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne (« no deal » Brexit)[1]. Depuis, cinq ordonnances ont effectivement été adoptées, relativement :

  • à la réalisation en urgence des travaux requis par le rétablissement des contrôles à la frontière avec le Royaume-Uni[2];
  • à la poursuite de la fourniture de produits liés à la défense et de matériels spatiaux à destination du Royaume-Uni[3];
  • à l’entrée, au séjour, aux droits sociaux et à l’activité professionnelle des ressortissants britanniques sur le territoire français[4];
  • au transport routier de personnes et de marchandises dans le tunnel sous la Manche[5]; et
  • aux services financiers[6].

L’ordonnance adoptée en matière de services financiers entrera en vigueur à compter de la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, aujourd’hui fixée au 29 mars 2019. Elle emportera diverses modifications et adaptations de la règlementation actuelle, notamment en matière de contrats-cadres financiers. En effet, certains de ces contrats-cadre (tels que les contrats de produits dérivés de type ISDA), utilisés par de nombreux acteurs financiers (en ce compris les entreprises) sont essentiellement régis par le droit anglais.

Sur proposition du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris, lequel a développé un nouveau contrat-type ISDA de droit français, il a été décidé, notamment, que les parties à ce type de contrat pourront librement déterminer les modalités de capitalisation des intérêts. On rappelle que les dispositions de l’article 1343-2 du Code civil ne permettent la capitalisation des intérêts que pour les seuls intérêts échus dus pour au moins une année entière, à condition que le contrat l’ait prévu ou que le juge ne le décide.

L’article 1er de l’Ordonnance n° 2019-75 du 6 février 2019 relative aux services financiers dispose que l’article L. 211-40 du Code monétaire et financier sera complété par un nouvel alinéa autorisant la capitalisation des intérêts échus dus pour des durées plus courtes, telles que celles-ci seront stipulées dans les conventions du type de celles mentionnées à l’article L. 211-36-1 du même code (conventions relatives aux obligations financières de l’article L. 211-36).

Précisons, au cas où un doute pourrait subsister, que cette dérogation à un principe fondamental du droit financier français ne s’appliquera pas aux contrats courants de nature autre que ceux précisés dans l’ordonnance.

Cette mesure, éminemment pragmatique, doit être louée en ce qu’elle contribue à la stabilisation juridique du marché des dérivés, en permettant aux acteurs concernés de poursuivre leurs relations sur des bases très similaires à celles qui sous-tendaient les principes ISDA.

Le champ de l’ordonnance couvre, en outre, la supervision des activités liées à la titrisation, la continuité de certaines opérations de type ISDA sur la base de nouveaux contrats-cadre de droit français, et ce y compris en l’absence d’acceptation formelle du client, ou encore, notamment, les pouvoirs de supervision de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) sur certains établissements britanniques opérant en France.

Certaines de ces adaptations et modifications, toutes guidées par une volonté de réaction rapide et de maintien de la stabilité des systèmes financiers, ne manqueront pas de générer des questions, peut-être même des controverses relatives à certains principes du droit civil.

Notons enfin que les dispositions de cette ordonnance sont transitoires et devront faire l’objet d’une ratification par le Parlement, sous peine de caducité.

À suivre, donc.

Cet article a été co-rédigé par Véronique Collin et Achille Gerbouin

[1] Loi n° 2019-30 du 19 janvier 2019 habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne

[2] Ordonnance n° 2019-36 du 23 janvier 2019 portant diverses adaptations et dérogations temporaires nécessaires à la réalisation en urgence des travaux requis par le rétablissement des contrôles à la frontière avec le Royaume-Uni en raison du retrait de cet Etat de l’Union européenne

[3] Ordonnance n° 2019-48 du 30 janvier 2019 visant à permettre la poursuite de la fourniture à destination du Royaume-Uni de produits liés à la défense et de matériels spatiaux

[4] Ordonnance n° 2019-76 du 6 février 2019 portant diverses mesures relatives à l’entrée, au séjour, aux droits sociaux et à l’activité professionnelle, applicables en cas d’absence d’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne

[5] Ordonnance n° 2019-78 du 6 février 2019 relative à la préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en matière de transport routier de personnes et de marchandises et de sûreté dans le tunnel sous la Manche

[6] Ordonnance n° 2019-75 du 6 février 2019 relative aux mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en matière de services financiers