Alors que les juridictions françaises et anglaises reconnaissent le principe de compétence-compétence qui établit que les tribunaux arbitraux sont compétents pour connaître leur propre juridiction[1] , elles se positionnent différemment quant à l’acception de son effet négatif, à savoir la priorité qui serait accordée aux tribunaux arbitraux par rapport aux juges nationaux pour connaître de cette question.
L’arrêt Excalibur[2] est l’exemple flagrant de la renonciation à l’application absolue de l’effet négatif du principe de compétence-compétence de la part des tribunaux anglais et illustre l’interventionnisme des juges saisis de la question de la validité de la convention d’arbitrage. Sûr de sa primauté quant à l’invalidité d’une convention, le juge anglais n’hésite pas à prononcer une injonction anti-arbitrage pour interdire à une partie de poursuivre un arbitrage CCI, dont le siège est à New York, alors même que la Cour de la CCI avait décidé que l’arbitrage pouvait démarrer.
Cet arrêt est l’occasion pour la juge Gloster de définir les circonstances permettant d’intervenir dans une procédure d’arbitrage pour statuer sur la validité de la clause compromissoire avant le tribunal arbitral et d’ordonner une injonction à l’encontre de la poursuite de la procédure d’arbitrage.
Il est intéressant de comparer l’application du principe de non interférence du juge français[3] (A) à l’approche du juge anglais privilégiant apparemment l’efficacité juridique en autorisant la possibilité d’intervenir, même lorsqu’une instance arbitrale a été initiée par l’une des parties (B).
A. Un nouveau principe de non-interférence appliqué par les juridictions françaises
L’article 1448 du NCPC impose au juge étatique saisi au fond du litige au mépris d’une clause d’arbitrage de se déclarer incompétent, à moins que, lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la clause d’arbitrage soit « manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Cette règle a été étendue à l’arbitrage international[4] et réaffirmée dans deux arrêts de 2010 par le TGI de Paris[5] .
La première espèce a été jugée en appel et confirmée en cassation[6] . Les demandeurs ont sollicité du juge français de faire interdiction aux arbitres, qui avaient été désignés à leur avis irrégulièrement, de poursuivre leur mission dans l’attente d’une décision définitive sur le fond par le TGI de Paris. En décidant : « qu’il n’entrait pas dans les pouvoirs du juge étatique français d’intervenir dans le déroulement d’une instance arbitrale internationale », la Cour de cassation confirme l’interdiction du juge étatique d’ordonner quoique ce soit à un Tribunal arbitral international, quel que soit le fondement et quelle que soit la façon dont l’injonction est demandée – « même en référé, même si l’urgence, un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite est allégué »[7] . Cette position traduit la volonté d’appliquer absolument le principe de non-interférence : le juge français se montre favorable coûte que coûte à l’institution de l’arbitrage.
Mais il est permis de s’interroger sur la justification d’une conception aussi radicale du principe de non-interférence. Comme le pose le Professeur Seraglini : « à quoi bon contraindre une partie à aller devant l’arbitre si manifestement la clause ne lui est pas opposable ? »[8] .
Offrons à ce débat la solution adoptée par la jurisprudence anglaise qui détaille dans l’arrêt Excalibur la procédure permettant au juge de prononcer une injonction anti-arbitrage, faisant fi de l’effet négatif du principe de compétence-compétence dans l’intérêt des parties.
B. L’importance de l’efficacité pour le juge anglais, confirmée par l’arrêt Excalibur
L’arrêt Excalibur démontre que les juges anglais ont préféré l’efficacité commerciale face au principe de non interférence. Tout d’abord, l’Arbitration Act ne prévoyant pas la possibilité d’ordonner des injonctions anti-arbitrage, la juge Gloster a dû revenir sur les dispositions du Senior Courts Act 1981 afin d’affirmer de manière non-équivoque l’existence du pouvoir d’interdire la poursuite d’une procédure arbitrale située devant une juridiction étrangère (§54). Ensuite, l’arrêt rappelle la renonciation de la part des juges anglais à l’adoption totale de l’effet négatif du principe de compétence-compétence et énonce que l’Arbitration Act 1996 n’impose aucune priorité temporelle au tribunal arbitral vis-à-vis des cours nationales pour déterminer si le litige est arbitrable ou non (§62).
Quelles sont les conditions permettant au juge de prononcer une injonction anti-arbitrage ?
La Professeure Clavel synthétise les facteurs cumulatifs permettant de légitimer l’octroi d’une injonction anti-arbitrage contre une procédure arbitrale se trouvant hors du Royaume-Uni : (i) l’existence de la convention d’arbitrage doit être « questionnable » ; (ii) les défendeurs sont exposés à des coûts et contraintes injustifiés, imposés par le demandeur ; (iii) la procédure arbitrale n’a tout au plus fait que commencer ; et (iv) le droit du pays du siège de l’arbitrage ne permet pas aux défendeurs d’obtenir des mesures adéquates[9] . Ajoutons à ces circonstances la condition selon laquelle le tribunal doit avoir des liens suffisants avec l’affaire, lui permettant d’être prioritaire sur la procédure arbitrale étrangère.
Ainsi, la procédure arbitrale ne résiste pas au doute, quand bien même la Cour d’Arbitrage de la CCI avait confirmé que l’arbitrage pouvait se poursuivre entre les parties. En l’espèce, le tribunal n’était pas encore constitué. En comparaison avec une autre affaire décidée par la même juge, l’injonction demandée avait été refusée en raison notamment de l’avancement de la procédure arbitrale (Internet FZNO v. Ansol Ltd [2007] EWHC 226 (comm.).
Observations finales
En interdisant aux parties de recourir à la procédure d’arbitrage initiée dans une juridiction étrangère, le juge anglais se reconnait un pouvoir d’interférence avec l’arbitrage que le droit français, en application stricte de l’effet négatif du principe de compétence-compétence, ne s’accorde pas. Certes, il s’agissait ici d’une décision aux circonstances exceptionnelles notamment en raison du fait que, ainsi que le rappelle le juge, la partie souhaitant faire jouer la clause compromissoire litigieuse avait elle-même intentée une action parallèle devant les juges anglais. Mais il est intéressant d’observer que la juge motive sa décision par des raisons d’efficacité économiques (§ 67) et de procédure équitable (§ 69). Est-ce à dire que le juge français dénigre ces considérations en refusant d’ordonner des injonctions anti-arbitrage?
[1] Fouchard Gaillard, Traité de l’arbitrage commercial international, 1996, §650 et suviants.
[2] [2011] EWHC 1624 (Comm).
[3] L’arrêt Excalibur intervient quelques mois seulement avant un arrêt de la Cour de cassation témoin de la stricte application de ce principe en France (Civ 1ère, 12 octobre 2011, Elf Aquitaine c/ Interneft, n°11-11058)
[4] Civ. 1re, 7 juin 1989, société Anhydro v. société Caso Pillet et autre, Rev. arb., 1992. 61, note Y. Derains.
[5] L. Degos, « L’absence du pouvoir d’injonction du juge étatique envers l’arbitre en application d’un principe de non-interférence », Cahiers de l’arbitrage,01 juillet 2010, n°3 p.853.
[6] Civ 1ère, 12 octobre 2011, n° 11-11058.
[7] L. Degos, L’absence de pouvoir d’injonction du juge étatique envers l’arbitre en application d’un principe de non-interférence, Cahiers de l’arbitrage, 1 juillet 2010 n°3, p. 853.
[8] Ch. Seraglini, JCP E n°45, 6 novembre 2003, 1588 §33.
[9] S. Clavel, « Exceptional Circumstances Allowing English Courts to Issue Injunctions Restraining Foreign Arbitration Proceedings », Cahiers de l’arbitrage, 2012, n°2.