Arthur Weidmann, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

Article co-écrit avec Maxime Olivier

La Direction Générale du Trésor (DGT) a publié ses premières Lignes Directrices en matière de contrôle des Investissements Etrangers en France (IEF), au mois de septembre 2022. 

Après un bref rappel du système de déclaration actuel, nous revenons sur les apports pratiques les plus importants de ces Lignes Directrices. 

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Obligation de déclaration au titre du contrôle IEF

Le contrôle IEF consiste essentiellement en un régime de demande d’autorisation préalable auprès de la DGT, avant la réalisation de toute opération relative à :

  • un investissement (par exemple, une opération de M&A) …
  • … réalisé par un investisseur (personne physique ou morale) étranger, c’est-à-dire non français …
  • … dans un secteur considéré comme « sensible ».

Cette demande d’autorisation est encadrée par des délais prévus par le Code Monétaire et Financier (CMF), délais durant lesquels les parties ne peuvent réaliser l’opération d’investissement, sous peine de voir cette opération frappée de nullité civile et faire l’objet de sanctions pécuniaires (de type administrative et pénale).

Lignes Directrices IEF

Bien que les Lignes Directrices insistent sur l’approche casuistique (au « cas par cas ») retenue par la DGT en matière de contrôle des IEF, elles apportent des clarifications importantes et bienvenues sur un certain nombre d’aspects.

Notion d’investissement

Objet de l’investissement 

Toute acquisition à titre onéreux ou gratuit de société, fondation, trust et même d’une « partie d’une branche d’activités » rentre dans le champ d’application du contrôle des IEF.  Prudence concernant la notion de « partie d’une branche d’activités », car celle-ci peut être entendue comme comprenant l’un ou plusieurs des éléments suivants (et semble ainsi élargir, dans une certaine mesure, le champ d’application du contrôle des IEF) :

  • un portefeuille de contrats sensibles ;
  • un nombre significatif de droits de propriété intellectuelle ;
  • une cession de brevet ou l’octroi d’une licence exclusive ou non ;
  • les matériels, véhicules, mobiliers et machines servant à l’exploitation de la branche d’activités.

En revanche, ne sont pas soumises à cette obligation :

  • les créations d’entreprises en France (i.e. les investissements dits « greenfield ») ;
  • les opérations dont la réalisation est soumise à un aléa, tant qu’elle demeure incertaine.
Nature de l’investissement

Celui-ci peut résulter :

  • de l’acquisition d’un contrôle, exclusif ou conjoint, sur l’objet de l’investissement – y compris par le biais d’un contrôle conjoint établi via des droits de véto sur les décisions stratégiques (dirigeants, budgets, investissements et business plan), ainsi que sur la base de mesures contractuelles / statutaires relatives aux conflits de gouvernance ou encore de clauses d’interdiction temporaire de cession.  L’approche de la DGT semble ainsi suivre en partie l’approche retenue en matière de contrôle des concentrations, bien que le passage d’un contrôle conjoint a un contrôle exclusif ne déclenche pas d’obligation de notification en matière d’IEF.

ou

  • du franchissement direct ou indirect, seul ou de concert[1], de 25% des droits de vote d’une entité de droit français, sans contrôle par un investisseur non-européen (abaissé temporairement à 10% pour les sociétés françaises dont les actions « sont admises en négociations sur un marché réglementé » – France, UE et EEA).

Notion d’investisseur étranger

Celle-ci est entendue de manière très large puisqu’elle couvre tout type d’entités (société, succursale, association, trust, véhicule d’investissement, groupements, Etat, collectivités territoriales, SPAC, etc.) et s’intéresse à chaque entité et/ou individu intermédiaire composant la chaîne de contrôle de cet investisseur, pour déterminer le caractère « étranger », peu importe d’ailleurs, si l’investisseur ultime contrôlant l’ensemble de la chaine de contrôle est une entité de droit français.

Les Lignes Directrices attachent sur ce sujet une importance particulière aux opérations réalisées par les fonds d’investissement et à leur chaine de contrôle, pour lesquelles la DGT procédera à une analyse « au cas par cas », afin de déterminer tout élément « étranger » au sein de cette chaine de contrôle et tiendra compte de « la spécificité de chaque structure, des droits et obligations des investisseurs et de la société de gestion et accorde une attention particulière au mode de gestion (interne ou externe), ainsi qu’aux dispositions du règlement du fonds » – les Lignes Directrices reconnaissent néanmoins que le contrôle des IEF ne devrait pas impliquer que soit « précisée l’identité de tous les investisseurs participant à ce fonds »[2].  Enfin, les Lignes Directrices rappellent que les transferts d’entité entre des fonds contrôlés par une même société de gestion peuvent, dans certains cas, donner lieu à une obligation de déclaration préalable distincte.

Notion d’activités sensibles

Sans surprise, peu d’indications sont fournies sur la notion d’activités sensibles, fixée à l’article R151-3 CMF, la détermination de la sensibilité devant « se faire au cas par cas, en fonction des caractéristiques de chaque opération » au regard notamment « des clients de l’entité cible, la nature, la spécificité et les applications des produits/prestations de services fournis et de savoir-faire, la substituabilité des activités, la dangerosité des activités menées ». 

Les Lignes Directrices clarifient néanmoins qu’un chiffre d’affaires « peu élevé » de la cible française ne permet pas d’exclure le caractère sensible de ses activités.

Conditions pouvant être imposées par la DGT

Les Lignes Directrices demeurent brèves et opaques sur le sujet des conditions pouvant être imposées par la DGT, ainsi que sur l’analyse substantielle que la DGT opère sur les investissements soumis à déclaration.  Elles insistent néanmoins sur le suivi des conditions qui sera opéré par les services compétents de la DGT, par l’intermédiaire du « point de contact opérationnel », désigné au sein de l’entité cible de l’investissement et rappellent que les conditions peuvent être révisées à la demande de l’investisseur, mais également du ministre chargé de l’Economie. 

Confidentialité

En matière de confidentialité, les Lignes Directrices rappellent les règles très strictes établies par le Code des relations entre le public et l’administration : les conditions imposées dans le cadre du contrôle IEF sont confidentielles vis-à-vis de toute partie tierce, afin de préserver, entre autres, les secrets de la défense nationale et des affaires – bien que ces obligations puissent être aménagées sur sollicitation préalable des services de l’Etat.

Procédure

En termes de procédure, les Lignes Directrices apportent des clarifications bienvenues :

  • Des dérogations à l’obligation de déclaration préalable sont prévues dans le cas (i) d’opérations intra-groupe (c’est-à-dire entre entités détenues à plus de 50%, capital/droits de vote, par le même actionnaire) ou (ii) d’opérations déjà autorisées – sauf exceptions (par exemple s’il s’agit de déplacer à l’étranger certaines activités de la cible) ;
  • Possibilité de pré-notification (non-obligatoire) pour des opérations « complexes » ;
  • Clarification sur les délais de procédure qui commencent à courir au jour du dépôt de la demande d’autorisation et sont suspendus par chaque demande d’informations en Phase 1 (et ne sont pas suspendus en Phase 2) – à ce titre la DGT peut requérir « toute information ou pièce complémentaire nécessaire ». Les Lignes Directrices rappellent, par ailleurs, que la DGT n’est pas liée par les délais de closing prévus contractuellement par les parties, en revanche elle peut tenir compte « dans la mesure du possible » des contraintes spécifiques attachées à certaines opérations (procédure collective, défaut de trésorerie, etc.) ;
  • Des sanctions sont applicables en cas de défaut de dépôt de demande d’autorisation (que cette omission soit délibérée ou résulte d’un oubli/négligence) ou de l’obtention d’une autorisation par fraude.  Ces sanctions ne font l’objet d’aucune publication ;
  • Possibilité de régulariser un défaut de dépôt de demande d’autorisation – cette régularisation purge la nullité civile de l’opération mais n’exonère pas du risque de sanctions pécuniaires (dont le montant est fixé en fonction de chaque cas d’espèce – la bonne foi de l’investisseur est prise en considération dans ce cadre) ;
  • Rappel de l’obligation d’informer la DGT de la réalisation de toute opération autorisée.

Notre équipe IEF à Paris

Notre équipe IEF à Paris dispose d’une expérience significative en matière de déclarations d’investissements étrangers en France et à l’international, dans des secteurs variés tels que la défense, les communications électroniques, les matériaux complexes, la fabrication et la distribution de composants et produits électroniques, l’aérospatiale et les transports.  Notre équipe est en relation régulière avec la DGT et a ainsi été consultée dans le cadre de la mise en œuvre de ces Lignes Directrices.


[1] Par le biais d’un accord verbal ou écrit, express ou tacite, ayant pour objectif la mise en place d’une politique vis-à-vis de la société.

[2] Confirmation de la jurisprudence administrative suivante : Conseil d’Etat, 6ème et 5ème chambres réunies, 3 avril 2020, n°422580, §4