Par un arrêt du 27 janvier 2021[1], la Cour de cassation a autorisé le juge français à ordonner une mesure d’instruction in futurum, sur le fondement de l’article 35 du Règlement Bruxelles I bis[2], remettant au goût du jour, la question de l’articulation entre les mesures d’instruction in fututrum de l’article 145 du code de procédure civile[3] et le régime des mesures provisoires ou conservatoires du règlement Bruxelles I bis.
En l’espèce, deux sociétés françaises avaient cédé à une société allemande des droits exclusifs sur la distribution d’un film et d’une série télévisée. Deux contrats de cession avaient alors été conclus, stipulant chacun, une clause attributive de compétence en faveur du juge allemand. A la suite d’un différend entre les parties, la société allemande a saisi, par voie de requête, le juge français, en désignation d’un huissier de justice aux fins de procéder à des investigations informatiques et à la récupération de données. La cour d’appel a refusé d’ordonner les mesures sollicitées estimant qu’elles avaient un caractère probatoire (et dont l’objet était de préparer le procès au fond) et non pas provisoire ou conservatoire.
Saisi d’un pourvoi, la Cour de cassation censure la cour d’appel, pour ne pas avoir recherché, si les mesures demandées « n’avaient pas pour objet de prémunir la société [allemande] contre un risque de dépérissement d’éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige ».
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si les mesures envisageables en application de l’article 145 du Code de procédure civile français pouvaient être qualifiées de mesures provisoires et conservatoires, notion autonome du droit de l’Union Européenne et développée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (« la CJUE »).
La CJUE a précisé qu’il s’agit des mesures « destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond » [4]. Selon elle, ne relève pas de cette notion, notamment, « une mesure ordonnant l’audition d’un témoin dans le but de permettre au demandeur d’évaluer l’opportunité d’une action éventuelle, de déterminer le fondement d’une telle action et d’apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre »[5].
Si pendant un temps, la Cour de cassation a semblé s’écarter de cette définition restrictive développée par la CJUE, estimant « la juridiction française était compétente pour ordonner, avant tout procès, une mesure d’expertise devant être exécutée en France et destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige »[6], elle est venue avec cet arrêt reprendre la solution donnée par le juge de l’Union Européenne. Désormais, lorsqu’une juridiction étrangère est compétente au fond selon une clause attributive de juridiction, les juges du fond doivent vérifier, si la mesure d’instruction demandée devant le juge français correspond aux mesures provisoires ou conservatoires telles que prévues par l’article 35 du Règlement Bruxelles I bis [7].
Partant, solliciter des mesures d’instruction in futurum devant le juge français, sur le fondement du règlement Bruxelles I bis reste possible. Il est cependant, conseillé de motiver sa demande par la nécessité de prévenir un risque de dépérissement de preuve.
[1] Cass. Civ. 1ère, 27 janvier 2021, n° 19-16.917
[2] L’article 35 du Règlement Bruxelles I bis dispose : « Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ».
[3] L’article 145 du code de procédure civile dispose : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Ainsi, trois conditions doivent être réunies: (i) la demande doit être formée avant tout procès ; (ii) la demande doit être basée sur un motif légitime, c’est-à-dire que le litige ultérieur doit être raisonnablement prévisible ; et (iii) la mesure demandée doit être légalement admissible. Il convient de rappeler que ni, l‘urgence ni l’absence de contestation sérieuse ne sont des conditions des mesures d’instruction in futurum.
[4] CJCE 26 mars 1992, aff. C-261/90, Reichert c. Dresdner Bank AG, pt 34
[5] CJCE 28 avril 2005, aff. C-104/03, St Paul Dairy Industries NV c. Unibel Exser BVBA, D. 2005. 1376.
[6] Cass. Civ. 1ère, 14 mars 2018, n° 16-19.731
[7] Stavroula Koulocheri, « Mesures d’instruction devant la juge français et règlement Bruxelles I bis », Revue Lamy, Droit civil, 3 mars 2021