Nous avions alors établi un parallèle avec l’instruction française « in futurum » visée à l’article 145 du NCPC , qui permet de mettre en oeuvre, en référé ou sur requête (i.e. sans débat contradictoire), des mesures conservatoires permettant au demandeur d’établir judiciairement une atteinte à ses droits pour fonder, le cas échéant, une action au fond.

La procédure de l’article 145 du NCPC

Sur le fondement d’un « motif légitime », le juge, saisi sur requête, peut en effet ordonner à un huissier de réaliser n’importe quelle mission de constatation, afin d’établir ou non la véracité des faits allégués. Cette mission doit être précisément délimitée et encadrée.

En matière informatique, comme dans de nombreux domaines techniques, l’huissier n’est pas techniquement compétent pour réaliser les missions qui lui sont confiées. La requête introductive d’instance déposée par le demandeur prévoit donc généralement la désignation complémentaire d’un expert informatique pour assister techniquement l’huissier instrumentaire et répondre au mieux à la mission ordonnée (constat ou saisie par exemple).

La justification d’atteintes à des droits personnels

Les mesures in futurum permettent donc la réalisation de saisies et/ ou constats touchant des domaines très sensibles, comme le secret des correspondances, celui des affaires ou plus généralement l’accès à des données personnelles protégées.

Sur un simple motif légitime, l’ordonnance permet de passer outre certains droits pour imposer au saisi qu’il remette, par exemple, à l’huissier ses codes d’accès à une boite e-mail ou à un site Internet de vente aux enchères ou encore de mettre à disposition les clés d’accès de son serveur informatique (pour vérifier, par exemple, le type et la destination des produits vendus, notamment en matière de contrefaçon).

La Cour de cassation a toujours indiqué que « le respect de la vie personnelle du salarié » ou « le secret des affaires » , ne constituaient pas en eux-même « un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du NCPC, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » .

L’impératif d’impartialité

Bien que non contradictoire (i.e. le défendeur subi une saisie sans être prévenu à l’avance), cette procédure n’en doit pas moins respecter les droits de la défense et notamment le droit à un procès équitable. La Cour de cassation a déjà recouru à l’article 6§1 de la CEDH en 2000 pour confirmer que l’expert présent lors de la saisie-contrefaçon de logiciel devait être indépendant des parties. Le 23 novembre dernier le TGI de Bobigny a également prononcé la rétraction de deux ordonnances sur requête, introduites par France Telecom pour procéder à un constat sur l’ordinateur d’un salarié mis à pied,… l’expert désigné pour aider l’huissier n’étant autre que celui du demandeur !

Bien mal acquis profite toujours ?

La rétractation des ordonnances n’intervenant qu’à posteriori, elle peut conduire à la nullité des missions réalisées et à la destruction des pièces ou informations déjà saisies ou constatées. Est-ce suffisant ?

On mesure quelle utilisation détournée peut être faite de cette procédure. En effet, même en cas d’ordonnance de rétractation, l’atteinte au secret des correspondances, à celui des affaires ou à la protection de données personnelles est réalisée et ne pourrait être réparée que par l’allocation de dommages et intérêts.

Survivent alors les informations visualisées par la partie à l’origine de l’action, soit au cours de l’opération si sa présence a été autorisée par le juge, soit à la lecture du constat qui lui sera remis par l’huissier… La mémoire humaine ne s’effaçant pas avec autant de facilité que celle d’un ordinateur, la divulgation des informations obtenues avant la rétraction d’une ordonnance est un bien précieux… bien mal acquis, mais dont l’utilisation détournée peut avoir de sérieuses conséquences.
Dans la mesure du possible, il conviendra donc de s’opposer, au mieux, au déroulement de l’opération ou, à défaut, d’exiger à bref délai et en référé la mise sous séquestre des documents.