(Années 2010, un bilan socio-culturel)

 

Décembre 2019, une décennie s’achève, l’heure des bilans.

Ça bouge, ça balance, ça tremble, ça collapse en Australie et partout ; ambiance Philippulus (Tintin, L’étoile mystérieuse), Mad Max 2…“My life fades, the vision dims. All that remains are memories. I remember a time of chaos, ruined dreams, this wasted land. But most of all, I remember the road warrior, the man we called Max. To understand who he was we have to go back to the other time.” Sur London bridge, contre les terroristes, ne pas oublier sa défense de narval. Montherlant dit qu’il ne faut pas plaisanter des dangers car cela les excite… Les français, réfractaires, résilients, luttent. « Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à la retraite » (Muray). Pour garder l’espoir, nous raccrocher au temps long, prendre du recul, retrouver des repères, la Culture reste un amer rassurant.

Étalon-or et coryphée de la Culture branchée, progressiste, politiquement correcte, Les Inrockuptibles publient un numéro spécial « Années 2010 ; le bilan » ; l’occasion de sortir de notre zone de confort ou d’inconfort, avec séance de rattrapage sur la post-trans-modernité X, Y, Z.

  1. Top et ‘best of’ de la décennie

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur, tout ce que les plus de quarante ans ne peuvent pas connaitre : « L’antisystème, le brown-out, la charge mentale, l’empowerment, l’écocide, l’ubérisation, la disruption, les influenceu.r.se, le ghosting, la spoilophobie, la racialisation, MeToo, l’inclusivité, l’appropriation culturelle », sans oublier, dans les universités américaines, les trigger warnings, safe spaces et la woke attitude, c’est-à-dire, « Le fait d’être conscient des injustices qui pèsent sur les minorités politiques, au sens large…d’être au fait des combats menés, comme de ses propres privilèges, dans un système patriarcal et oppressif ». Casse les masques / Actes manqués, Le sectarisme/ C’est la misère ; de beaux anagrammes. Le Cool de la décennie selon les Inrocks ? « La queue de cheval de PNL (Tarik et Nabil Andrieu), Tinder, les stories, le burkini, le vin nature, la trottinette électrique, la cigarette électronique, la poupée Barbie gender neutral » (…)  « Qu’il s’agisse de genre ou de codes sociaux, la mode, le design et la cuisine ont mis l’accent sur les échanges et la transversalité… La cheffe Céline Pham cuisine aussi bien le kebab que le homard et Alix Lacloche, franco-américaine, relit le street food d’un œil qui donne ses lettres de noblesse aux plats traditionnellement snobés… ». Bon appétit !

Plusieurs artistes sont mis à contribution : Leila Slimani (Ecrivaine), La Femme (Musiciens),  Edouard Louis (« Ecrivain ; Il est apparu de façon fracassante en 2014 avec En finir avec Eddy Bellegueule, et a continué à nous passionner avec Histoire de la violence et Qui a tué mon père ») ; Lomepal (« Rappeur ; Avec la trilogie Flip Jeannine et Amina, Antoine Valentinelli alias Lomepal a cassé les barrières entre rap et pop française, malaxé les traditions pour inventer la bande son de la jeunesse de la fin des années 2010 »), Pablo Servigne (« Penseur ; Ce chercheur in-terre dépendant a inventé le terme de collapsologie, donnant naissance au mouvement Extinction-Rébellion »), Paul B Preciado (« Philosophe, dans la fiction d’une masculinité le philosophe appelle à un changement radical de nos modes de représentation »), Christine and the Queens (« Musicienne ; Elle infuse du trouble dans le genre »).

Lomepal le rappeur n’est pas serein sur l’avenir : « Les gens ont désormais internet sur eux et plus seulement chez eux. L’humanité toute entière s’est reprogrammée en fonction de ça. C’est flippant, c’est pas naturel d’avoir son téléphone comme meilleur ami, mais je suis le premier à le faire. Finalement la suite est assez floue pour moi ». Pablo Servigne reste prudent : « Par définition on ne peut pas prévoir les cygnes noirs…Logiquement cela donne des ruptures sociales, politiques, économiques, écosystémiques, plus fréquentes, plus brutales ». Paul B Preciado est tranchant : « Soit nous changeons de paradigme de représentations et nous entrons dans une nouvelle redistribution des valeurs, soit ce sera le collapse ». Plus tradi et old school, Blake et Mortimer de la lutte des classes, François Ruffin et Robert Guédiguian devisent sur la décennie passée, l’avenir ; ils ont trouvé un programme commun : « Il faut transformer l’angoisse en espérance ».

  1. “Wok, wok, around the cloud…”

« Pour tout bagage on a vingt ans / On a l’expérience des parents / On se fout du tiers comme du quart / On prend le bonheur toujours en retard » (Ferré). Les jeunes générations Y, Z, sans beaucoup de bagages, d’expérience, de repères culturels ou historiques, sont engluées dans un espace-temps numérique et virtuel, mode horloges molles de Dali. Les obsessions, la frénésie contemporaine, sur le corps, le fluide, une économie psychique fondée sur les dons d’orgasmes, relayées ad libido, (euh non, ad libitum) par les médias de la planète auto-proclamée « moderne », laissent songeur. Sur les réseaux sociaux, à l’université, triomphe du Je de l’amour et du bazar. « Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle / Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » ; Sexualité de l’histoire et Histoire des folles à l’âge classique… Le village planétaire se shoote aux MythesToo (toutous) déclinés à toutes les sauces. La parole se libère enfin pour faire avancer la cause… des femmes, de la biodiversité, des végans, des pangolins, des invisibles, des visibles, les Amish, la loutre d’Europe, le gecko à queue feuillue, les arbres, les autres, les hommes, la couche d’ozone, Dieu… Dans tous les cochons, il y a un homme qui sommeille. Les femmes s’inventent mais Dieu reconnaitra les seins. Les grandes communions pourtousistes, hashtaguiennes, les incantations iréniques, planétaires (« J’adhère des der », « Rien ne sera plus comme avant », « Balance ton quoi »), laissent sceptiques ; « Tuer n’est pas aimer, Aimer n’est pas tuer ». Les Métamorphoses du vide, Ainsi parlait Haroun Tazieff…

S’agissant de l’art, la création, dégoût et des couleurs, beaucoup de réchauffé et d’esbroufe chez les champions des fusions Wok, hérault.es de l’hybridation transversale et inter-sectionnelle. Les petits malins, à Dada sur leur bidet, en attendant gogo, font passer des anchois avariés pour des produits exotiques. Il y a plus d’un siècle que Duchamp a retourné son urinoir ; le premier monochrome de Malevitch (‘carré blanc sur fond blanc’), c’était en 1918, les boîtes de soupe Campbell, en 1962. Un siècle plus tard, surenchères de supercheries, cuistrerie, course au buzz, trempettes de la renommée, écroulement de la Culture et des Humanités ; le niveau bais s e. « L’art vit de contrainte et meurt de liberté » (Michel-Ange). Borges, provocateur, disait que le plus grand drame de l’humanité, c’est l’alphabétisation… c’est aussi l’analphabétisation. Pas facile de choquer les bourgeois, le Bobo gentilhomme (accompagné de son maître de sociologie, d’écologie et de révolte citoyenne). « C’est bien joli d’avoir 20 ans et la cuisse longue, mais ça ne suffit pas pour vous donner du talent ! » (Molinaro). Homère, Shakespeare, Cervantès, Bosch, Bach, sont plus modernes que tous les Trissotins et Philaminte de l’auto-friction, les Tartuffes des pseudos avant-gardes qui travaillent l’antimatière, les plis, les replis du pur et de l’impur, à la recherche d’émois cosmiques et de subventions du Conseil régional. Ce n’est pas le multi qui manque, mais le culturel. Glandeurs et misère de la scène littéraire, artistique et intellectuelle contemporaine. « – Tout le monde ne peut pas être artiste -Tu as raison, cela ferait de l’encombrement » (Anouilh).

Pour changer la vie et accoucher du nouveau monde, l’activisme doit faire dans le cliché, le slogan, le simple. Fini les concepts, la dialectique, Althusser, Foucault, Deleuze ; trop subtil et prise de tête. Vive le Bien et Bon (le changement, le progrès, le toutlemondisme, la Nouvelle Jérusalem solaire) ! À bas le Mauvais et le Mal (les populistes, les réacs, le passé, les traditions, l’écrit, la Culture) ! Il faut être dans le créneau, le credo, la ligne du progrès, comme autrefois dans la ligne du Parti. Toréadors de la vertu, les activistes ont le sang qui bout, mais ils mordent avec de fausses dents et sont terrifiés par le retour du tragique. Dans le vent, on s’enrhume vite. « Les terreurs, moi j’en suis revenue ; elles ont surtout la terreur du boulot » (Arletty, Hôtel du nord). Tout flou le camp… Brumisateurs de conformismes, des régiments de Zérostrate, Hercules Farniente, Blague.bock, Anti.gone with the wind, du haut d’un BTS Bohème-Sans culotte, d’un Master Street art, Movida et participation participative, pontifient sur « Le vent mauvais qui revient et qui nous rappelle les pages les plus sombres de notre histoire » (Appellation d’Origine Contrôlée). Rappel : « Là où se lève l’aube du Bien, des enfants et des vieillards périssent, le sang coule » (Grossman). Il y a 50 ans, Pasolini, enragé et lucide, déplorait la déchéance culturelle et spirituelle de l’homme unidimensionnel. « La culture est une résistance au divertissement ». Que dit-on de l’école de Francfort, Marcuse ou L’évangile selon Saint Matthieu, sur YouTube et Instagram ?

Les mutins de Panurge, tendenceurs et influenceuses en tous genres, n’aiment pas le « système », dénoncent le consumérisme, mais ils/elles ont le dernier IPhone, le sens de la com, des marques et des affaires. Il faut travailler son look ; soigner son image, son public. « J’écris pour les vieilles, les lesbiennes, les frigides, les névrosés, les psychopathes » (Virginie Despentes dans Harper’s). La farce des choses. Les rap.peurs.de.rien, aiment le business, lancent des lignes/ griffes de caleçons et crèmes hydratantes ; les jambes non épilées (body positive) d’Arvida Byström, vantent/vendent une marque iconique de street shoes ; dans les défilés de haute-couture, les dessous et teeshirts chics des mannequins chocs, sont floqués, We should all be feminists (Chimamanda Ngozi Adichie). L’indignation et l’insoumission, sont hype ; ou comment mettre des épinards bio dans son beurre. Brasseurs de simulacres, les modernes rebelles ont une cause : la leur. La fureur de rire ! Le capitalisme de la révolte se porte bien. « Quoi ! Ne t’ai-je point dit qu’elle était ma querelle ? » (D’Arlincourt).

  1. Les incandescentes

Je ne jette la pierre philosophale à personne. Nourrie par les réseaux sociaux, une féroce, régressive et désastreuse re-féodalisation est à l’œuvre. « Ce n’est pas ce que vous savez qui compte, mais qui vous connaissez ». Chaque génération doit (ré)apprendre le difficile métier de vivre. « A sept ans, il faisait des romans, sur la vie / Du grand désert, où luit la Liberté ravie » (Rimbaud). Tout se transforme, se recycle ; dandys, dadas, surréalistes, zazous, existentialistes, blousons noirs, hippies, punks…Tournez manège !  Comment les Confessions des enfants du sexe, du royaume enchanté du Bien, du Bon, du Beau, du Benêt, et du rien-pensant, traverseront-elles le temps ? Laisseront-elles des traces? Le millésime 2009-2019 n’est pas un grand cru ; manque de gouleyant, de tanin, de talent, de profondeur ; il ne restera pas dans les annales.

« Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra » (Proverbe turc). Il ne s’agit pas de penser neuf, mais de penser juste, d’enchanter, de transmettre. Ni prudes, ni soumises, George Sand, Colette ou Virginia Woolf ne péroraient pas sur leur sexualité pour écrire une œuvre, faire avancer la cause des femmes et de la littérature. Elles avaient du talent. Elisabeth Bart vient de consacrer un bel essai à trois incandescentes : Simone Weil (La pesanteur et la grâce, 1940-42), Cristina Campo (Gli imperdonabili, 1987), Maria Zambrano (Filosoia y poesia, 1939). Magnifique écholalie chez ces Antigones, mystiques, antimodernes, étrangères au mentir faux des rentières du fulminisme pavlovien, et autres Bélises bienpensantes de France Culture. Les femmes qui pensent ne manquent ni de fêlures, ni de sprezzatura; profondes, subtiles, spirituelle, elles continuent leur vie d’artiste. « À quoi se réduit désormais l’examen de la condition de l’homme, si ce n’est à l’énumération, stoïque ou terrifiée, de ses pertes ? Du silence à l’oxygène, du temps à l’équilibre mental, de l’eau à la pudeur, de la culture au règne des cieux. » (Cristina Campo). Polymnie est une fille de la liturgie, le renouveau c’est un retour aux sources. « L’homme de l’avenir c’est celui qui a la plus longue mémoire » (Nietzsche).

  1. Anniversaires et commémorations en 2020

Il y a 1000 ans À la mort de Gagik Ier d’Arménie, le fils cadet Achot IV opposé à son aîné Smbat III fonde le royaume de Lorri ; À Rome tremblement de terre le jour du Vendredi saint, le pape Benoît VIII s’en prend aux juifs. Il y a 500 ans Entrevue du Camp du Drap d’Or entre François Ier et Henri VIII. Il y a 100 ans Naissance de : Charlie Parker, Amália Rodrigues, Ray Bradbury, Isaac Asimov, Jean Dutourd, Maureen O’Hara, Alberto Sordi, Federico Fellini. Il y a 50 ans La Culture à l’honneur : Les damnés, Les choses de la vie, Tristana, Le cercle rouge, Peau d’âne, S/Z, Morphologie du conte. Décès de : Nasser, de Gaulle, Salazar, Sukarno, Rothko, Mauriac, Dos Passos, Giono, Mishima. La relève est assurée avec les néo-quinquas : Mariah Carey, André Agassi, Anna Gavalda, Virginie Despentes. Sans oublier : Chris Jericho (catcheur canadien), Amjad Sabri, (chanteur de qawwalî pakistanais), Erick Cortés (matador vénézuélien), Sylvain Mirouf (illusionniste français), Edouard Philippe (Premier Ministre).

A venir en 2020 20, comme les faces d’un icosaèdre, les noces de porcelaine ou le nombre de coups possibles en ouverture d’une partie d’échecs. 2020, année bissextile et du rat de métal en Chine avec COP 15 sur la biodiversité, Championnat d’Europe de football, JO à Tokyo, exposition internationale de Dubaï (« Connecter les esprits, créer l’avenir »), Congrès mondial d’Espéranto à Montréal et commencement de la fin du début du dernier acte du Brexit.

Proust, général du temps qui passe, pour conclure : « La grandeur de l’art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature ; cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu’ils ne cherchent pas à l’éclaircir (…) » (Le temps retrouvé).

Squire Patton Boggs, le bureau de Paris et l’équipe éditoriale de ‘La Revue’, vous remercient de votre fidélité.

Nous vous adressons nos meilleurs vœux de santé, bonheur et réussite pour la nouvelle année 2020 !

Bonne année, Happy new year, Frohes neues Jahr, Feliz año,

Ευτυχισμένο το νέο έτος, سنة جديدة مباركة

 с новым годом, Feliç any nou, Godt nytt år, baxtli yangi yil, šťastný nový rok

2020 !