La Sainte Edwige a eu lieu le 16 octobre. A cette occasion, tous les opposants au nouveau fichier du ministère de l’Intérieur souhaitaient montrer leur détermination à lutter contre « le fichage policier ». Ces protecteurs de la liberté et de la démocratie n’hésitent d’ailleurs pas à dresser des parallèles avec le fichier juif de Vichy…
« Les imbéciles… ! » aurait dit Georges Bernanos. En effet, ils se trompent bien de cible. Car le véritable danger n’est pas EDVIGE ou les autres fichiers que l’Etat et ses différents démembrements ont déjà mis en place et pourraient développer et améliorer.
Nous sommes en réalité devenus notre propre police. Comme en rêvait Fouché :
« Le vrai pouvoir sera aux subalternes, aux espions, aux délateurs – et personne ne saura jamais s’il est en règle, car la règle sera équivoque et redoutable. C’est ainsi que je vois la police : indéfinie… protéiforme. Invisible et toute puissante. Elle sera dans chaque conscience. Alors, Monsieur, ce sera l’ordre avec un grand O »
Ce dialogue apocryphe du Souper de Jean-Claude Brisville, entre Fouché et Talleyrand lors du retour de Louis XVIII, est bien révélateur de ce qu’est devenu aujourd’hui l’Internet et ce qu’il promet de devenir. Ce n’est pas EDVIGE le plus grand danger pour chacun d’entre nous, mais bien Google, Google Chrome, Facebook, MySpace, Linkedin, Viadeo, ou encore d’autres logiciels d’aide à la navigation sur Internet.
Il faut bien dire que les dossiers des fameux « RG » – Renseignements Généraux – sont bien pauvres. L’article du Monde daté du 26 septembre 2008 relatant les expériences de Jean-François Kahn, Bernard Carayon, Yves Jacomet et Philippe Mounier montre combien les RG disposent de peu d’informations, rarement pertinentes, voire obsolètes.
En revanche, grâce aux multiples informations que laissent volontairement sur des sites comme Facebook ou Linkedin, sur leurs blogs personnels ou encore sur des newsgroups, les mêmes personnes que celles qui s’insurgent contre EDVIGE – c’est l’exhibitionniste qui porte plainte pour voyeurisme… – les sites Internet (sites sociaux, portails, moteurs de recherche, agrégateurs, etc.) disposent d’une idée assez précise de chaque individu. C’est ce que l’on appelle le « profilage » ou « ciblage comportemental ».
Ainsi, les RG n’ont plus à s’inquiéter de compiler de l’information sur les individus : ceux-ci le font volontairement et avec bien plus de précision que ne pourrait en rêver un agent de police. Si ces policiers ne trouvent pas suffisamment d’informations sur MySpace ou Facebook, ils pourront toujours consulter les blogs des internautes qui leur raconteront leur dernière soirée trop arrosée, leur dernière conquête sexuelle – avec « orientations », bien entendu – ou encore leur extase spirituelle quelle qu’en soit la religion…
Par ailleurs, grâce à son moteur de recherches, et aux cookies implantés dans votre machine, Google – notamment, mais on pourrait citer Yahoo, Chrome, Lycos, etc. – connaît, en permanence et en temps réel, vos habitudes de navigation sur la toile, vos sites préférés, leur durée de consultation, la zone des pages qui vous intéresse le plus. Si vous cochez les options d’enregistrement des codes secrets, les Spywares ou Trojans peuvent les récupérer. Et comme vous êtes un peu pressé et que « c’est tellement pratique », vous n’hésitez pas à télécharger la barre de navigation Google : elle permet alors à ce merveilleux moteur de vous fliquer seconde par seconde, lors de chacune de vos sessions sur internet.
Grâce aux informations ainsi récupérées, Google détermine en temps réel quelle est votre envie immédiate (le sujet de votre recherche et/ou le but de votre navigation), afin de proposer à ses clients (les annonceurs) des publicités adaptées à vos habitudes, besoins, souhaits, etc. Pour faciliter ce travail, certains petits modules sont implantés – sans que vous le sachiez – sur votre ordinateur, comme les « adwares » ou « spywares », qui n’ignorent rien de tous les modes d’utilisation de votre ordinateur (présence d’une webcam, albums photos partagés ou non, téléphonie en mode IP, télévision, connexion WiFi, …). Ils traquent vos moindres faits et gestes, hors navigation et pendant vos navigations : URL visités, pages vues, mots-clés utilisés, données saisies dans des formulaires, programmes utilisés, documents médias vus, écoutés et téléchargés…
Cela permet de dresser votre profil de consommateur (« profilage ») et vous servir la bonne publicité au bon moment. Ces informations, vendues et consolidées sur les « adservers » des régies publicitaires, permettent l’obtention de gigantesques bases de données contenant le profil de tous les internautes. Celles-ci sont consolidées par l’échange d’informations entre régies publicitaires, couplées à des données reçues d’autres sources (caisses enregistreuses, paiements par cartes bancaires, appels téléphoniques, abonnements carte Navigo, badge Liber-T, etc.).
Comme cela ne suffit pas, Google a inventé le Google Phone, dit « G1 », qui permet de vous connecter en permanence à l’Internet mobile, via le moteur de recherche Google, bien sûr… Google ne disposait pas, en effet, de suffisamment d’informations sur vous. Grâce au GPS intégré au téléphone, il sait désormais, instant par instant, à quel endroit vous vous situez exactement. Cela lui permet de vous adresser une publicité pour la pizzeria la plus proche. Et comme vous trouvez cela formidable, vous vous demandez comment vous avez pu vivre sans jusqu’à maintenant.. ?
Ainsi donc, le réseau de police intégral, auto-généré et auto-maintenu par chacun des individus et rêvé par Fouché, a été réalisé par Google et ses avatars, Twitter, Facebook, MySpace, Viadeo, Yahoo et autres moteurs aux fonctionnalités étendues.
Il est donc particulièrement piquant que les internautes s’émeuvent que la police puisse disposer d’informations à peine plus complètes que celles que l’on peut trouver dans l’annuaire, alors que ceux-ci se répandent sur leur vie privée sur la toile. La bêtise et le non-sens sont sans limites.
Je vous invite à visiter le site de la CNIL ( www.cnil.fr) à la rubrique « vos traces ». Vous pouvez également relire mon éditorial dans La Revue du 28 février 2007, « La planète interdite » et surtout lire le Souper de Jean-Claude Brisville ou goûter le film qu’en a tiré Edouard Molinaro, avec Claude Brasseur et Claude Rich. Un clin d’œil amusant vous réjouira sur le site de nos amis d’Axess-it ( www.axessit.com), « Big Brother is watching you… » du 3 octobre 2007.