Décret n° 2014-754 du 1er juillet 2014 modifiant l’article R. 4228-20 du code du travail

Certaines occasions festives sont facilement prétexte à boire un verre au bureau : pots organisés lors du départ d’un collègue, de résultats atteints ou encore l’achèvement d’une semaine de dur labeur.  Or, dorénavant, il se pourrait que les salariés doivent trouver d’autres moyens de fêter de tels évènements puisqu’un décret, publié le 3 juillet, autorise les employeurs à interdire ou contrôler la consommation d’alcool dans l’enceinte du lieu de travail.

Selon le décret, la consommation d’alcool pourra être interdite dès lors qu’elle peut affecter la sécurité et la santé mentale ou physique des employés. Il s’agit de permettre à l’employeur d’éviter les accidents dû à l’abus d’alcool tout en protégeant la santé des salariés. Le décret ne prévoit pas explicitement une interdiction totale mais laisse une opportunité de restriction à la discrétion des employeurs. L’Article R.4228-20 du code du travail restreignait déjà la consommation d’alcool sur le lieu de travail, en la limitant au vin, bière, cidre et poiré. En novembre 2012, le Conseil d’État a jugé que l’article R.4228-20 ne pouvait pas être utilisé par les employeurs pour empêcher complètement la consommation d’alcool sur le lieu de travail, toute restriction ou interdiction devant être impérativement « proportionnée au but recherché ». C’est à dire, selon l’article L.4121-1 du Code du travail que les mesures doivent être « nécessaires pour assurer la sécurité et pour protéger la santé mentale et physique des travailleurs ».

Le nouveau texte ne modifie pas fondamentalement la règlementation antérieure. À présent, une restriction relative à la consommation d’alcool doit être justifiée par le risque d’atteinte à « la santé physique et mental des travailleurs ». Ce qui ne va pas nécessairement plus loin que les obligations préexistantes de l’employeur figurant à l’article L.4121-1 concernant la sécurité et la protection de la santé mentale et physique des travailleurs.

Le ministre du Travail justifie les nouvelles mesures par le fait que l’alcool est « la substance psychoactive la plus largement consommée » en France. Inévitablement, des statistiques alarmistes sont en jeu. Selon l’Institut Gustave-Roussy, la consommation excessive d’alcool est une cause de cancer et de maladies cardiovasculaires contribuant à la mort d’environ 49 000 personnes tous les ans en France. Les statistiques sur la consommation quotidienne d’alcool sont également inquiétantes. En moyenne un adulte français consomme 27 grammes d’alcool par jour, ce qui correspond à approximativement 2.7 verres de vin par jour. Cependant, malgré la preuve irréfutable de l’effet négatif de l’absorption répétée de boissons alcoolisées, il semble que le texte doive s’appliquer de façon ciblée, en prenant en compte, par exemple, les risques encourus dans chaque entreprise. Enfin, il reste à voir dans quelle mesure on peut argumenter que le petit dommage physique causé par chaque verre est compensé, voire plus que compensé par le considérable bénéfice psychologique d’un ou deux verres pris en toute convivialité avec vos collègues à la fin d’une semaine difficile ou lors de l’achèvement d’un projet.

Voilà typiquement le genre de texte qui va être largement, voire totalement ignoré jusqu’à ce qu’un accident grave ne soit causé par la consommation d’alcool dans une entreprise. Dès lors, peut-être y aura-t-il une brève effervescence et un enthousiasme un peu démesuré en faveur de l’interdiction de toute consommation d’alcool sur les lieux de travail. Cependant, il semble peu probable que les attitudes changent sur le long terme.

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