CA de Versailles, 14ème chambre, 19 mars 2014, n°13/05954

Beaucoup d’entreprises françaises appartenant à des groupes internationaux sont tentées de n’utiliser, par souci de simplicité, que la langue anglaise pour travailler et gérer leurs relations de travail. 

En France, cette pratique n’est pas interdite à condition que les documents comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail soient également traduits en français.

À ce titre, la loi dite « Toubon » du 4 août 1994 [1], ayant consacré la langue française comme langue officielle de la République française, vise, par exemple, expressément les dispositions relatives au contrat de travail (art. L. 1221-3), aux conventions et accords collectifs (art. L. 2231-4), et au règlement intérieur (article L. 1321-6). Dans le domaine des procédures d’information/consultation des instances représentatives du personnel, le Code du travail ne vise que les documents remis aux représentants du personnel des salariés du Comité d’entreprise européen (art. L 2343-17), du comité de la société européenne (art L. 2353-21) ou du Groupe Spécial de négociation de la société coopérative européenne (art L. 2362-8). La loi reste néanmoins silencieuse en ce qui concerne les documents transmis aux élus du Comité d’entreprise.

Dans un arrêt du 19 mars 2014, la Cour d’appel de Versailles rappelle l’importance, pour l’employeur, de traduire en français tous les documents qu’il remet au comité d’entreprise dans le cadre des procédures d’information-consultation.
En l’espèce, le comité d’entreprise de la Société Wolters Kluwer France (WKF) – appartenant au groupe international d’édition Wolters Kluwer – était consulté sur un projet de cession de pôle « santé ». Celui-ci a refusé de rendre son avis estimant qu’il avait été insuffisamment informé dans le cadre de la procédure d’information-consultation. Il soutenait notamment que certains documents lui avait été communiqués en anglais ou partiellement traduits en français, et ce 19 jours avant la fin de la procédure.

Le comité d’entreprise a donc saisi le Président du Tribunal de Grande Instance en référé pour qu’il ordonne la suspension de l’opération jusqu’à ce qu’une information complète lui soit fournie. Ce dernier a refusé de reconnaitre le trouble manifestement illicite. Le comité d’entreprise a donc interjeté appel de la décision rendue.

La Cour d’appel a accueilli sa demande en indiquant que l’employeur est tenu, en raison de son obligation de fournir au comité d’entreprise une information complète et loyale en temps utiles, de traduire en français les documents qu’il lui transmet dès lors qu’un court délai lui reste imparti pour rendre son avis.

Pour soutenir son argumentation, le comité d’entreprise invoquait les dispositions de la « loi Toubon » qui impose le français dans de nombreux domaines des relations de travail. Dans cet arrêt, la Cour d’appel écarte la question de l’application de la loi (elle indique « sans même qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le caractère impératif de la loi [Toubon]»). Elle considère que la remise de documents traduits partiellement et ce dans un délai très court avant la fin de la procédure d’information/consultation empêche le comité d’entreprise d’en prendre intégralement connaissance et constitue donc un manquement de l’employeur à son obligation de délivrer une information complète et loyale telle que prévue par les articles L 2323-3 et L 2323-4 du Code du travail.

Contact : jean-marc.sainsard@squiresanders.com


[1] Loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française