L’Autorité des marchés financiers a publié son cinquième rapport annuel sur les agences de notations. Dans ce document, l’AMF met en évidence le rôle joué par ces organismes dans la crise sur la base de deux constats fondamentaux : les agences de notations auraient contribué à durcir les conditions de financement des entreprises en abaissant brutalement les notes des sociétés intervenant sur le marché du crédit ; l’instabilité de la notation des produits financiers aurait précipité leur décote (notamment pour les produits structurés, dont les « subprimes » et dérivés).
Ces réalités ne sont pas contestables et aujourd’hui la régulation de cette activité s’impose. Mais ce besoin de régulation n’est pas une nouveauté. Il était déjà discuté dans les années 1990 par la mise en place des « muraille de Chine » et de règles de rémunération indépendantes des cadres des agences. Avant la crise actuelle, les failles s’étaient déjà révélées à l’occasion de quelques affaires, dont celle ayant concerné Morgan Stanley. La question se pose toujours : comment réformer ces agences ?
Le « Credit Rating Agency Reform Act », loi instituée en 2006 aux Etats-Unis, prévoit de contraindre les agences de notation à présenter un rapport annuel sur l’historique de leur notation, dans lequel la fonction de conseil et de notation apparaîtraient de manière distincte et la mise en place d’un système de rémunération des cadres indépendant des résultats de l’agence.
L’AMF préconise, quant à elle, davantage de transparence quant aux méthodes de notation des agences et d’encourager des modèles alternatifs de gestion du risque financier, comme recourir à d’autres spécialistes de l’analyse du crédit (sociétés d’assurance crédit ou de crédit export, par exemple). Une forme de concurrence du « marché » des agences en quelque sorte.
Quoiqu’il en soit, avant que la réforme des agences de notation fasse l’objet d’un consensus au niveau européen, dans un premier temps, puis lors de la réunion du G20 le 2 avril 2009, rappelons-nous une chose essentielle : les agences sont basées sur un modèle économique qui ne facilite pas l’indépendance ! Elles sont rémunérées par les sociétés émettrices qu’elles sont chargées de noter. Elles sont également soumises à un problème de rentabilité : la notation est une activité complexe, très consommatrice de temps et donc les agences doivent sélectionner des sociétés sur lesquelles se concentrer. Une marge d’erreur est donc possible, comme dans tous les métiers. Le défaut est que les marchés prennent parfois leur « rating » comme argent comptant.
Un autre modèle est possible, basé sur une rémunération par les investisseurs (au moyen d’une sorte d’impôt de bourse perçu sur les transactions, par exemple). Mais il est beaucoup moins populaire et plus compliqué à gérer (qui centralise les paiements, comment sont-ils distribués, etc…). Ce système a aussi le défaut de transformer les agences en une forme d’administration, un peu déresponsabilisée et générant des pesanteurs. Les sociologues appellent cela le « phénomène bureaucratique », lequel touche toutes les grosses organisations.
Il n’y a donc pas de modèle parfait en la matière ! Reste qu’instiller un peu plus de déontologie dans le fonctionnement interne semble inévitable. Comme on dit aujourd’hui, ce serait de bonne gouvernance. Mais cette réforme aura un coût, qui se ressentira au bout de la chaîne pour l’investisseur. Au final, la rentabilité marginale de son placement va baisser et il paiera toujours une part de la nouvelle régulation en place. A quoi bon changer de modèle économique dans ce cas ?
Les agences nous renvoient donc au visage la problématique essentielle de notre société de marché (financier), à savoir celle de la rentabilité adéquate. Il va d’ailleurs falloir commencer à penser sérieusement à ce que certains économistes ont appelé la croissance durable. Cette économie basée sur « un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », comme disait le rapport Brundtland dès 1987, devient une nécessité face aux difficultés constatées récemment. Elle va devoir être intégrée à la réflexion du G20 sur l’économie du 21ème siècle pour trouver un nouvel équilibre. Le challenge est passionnant !